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opinion

Le grand pari pour sauver l'euro

Par Ben Chu et Michael Day
The Independent, mercredi 26 octobre 2011

article original : "The great euro rescue gamble"

Les espoirs que le sommet d'urgence d'aujourd'hui résolve la crise de la dette de l'UE
s'envolent très vite. Pourtant, beaucoup pensent qu'il aboutira à un nouvel ensemble
de mesures de sauvetage. Un tel plan peut-il empêcher le désastre ?


Le sommet de ce jour à Bruxelles a été plongé dans la confusion hier soir, alors que l'on apprenait qu'une réunion des ministres des finances européens avait été annulée. L'absence à ce sommet des ministres clés du continent, où ils devaient se réunir préalablement à la réunion des chef d'Etats européens, soulève des doutes sur le niveau des détails cruciaux qui seront dévoilés dans les plans censés sauvegarder l'avenir de la monnaie unique.

Des deux côtés de l'Atlantique, l'euro et les actions ont baissé à cette nouvelle, avec la crainte que l'Europe s'avère incapable, au bout de deux ans, d'attaquer de front la crise de sa dette.

En Grande-Bretagne, alors que M. Cameron a toujours l'intention de se rendre à Bruxelles, les officiels ont exprimé en privé leur pessimisme sur la perspective de parvenir à un accord final lors de cette réunion.

« A l'heure actuelle, notre sentiment est que ces questions pourraient ne pas être résolues à temps pour annoncer, demain soir, un plan détaillé », a déclaré hier une source au gouvernement [britannique]. « Il est assez probable que nous y reviendrons dans quelques jours ».

La Chancelière d'Allemagne, Angela Merkel, a également indiqué être farouchement opposée à l'inclusion dans ce plan du moindre mot qui permettrait à la Banque Centrale Européenne (BCE) d'acheter des obligations souveraines pour stabiliser les marchés européens de la dette. Se référant à un avant-projet de déclaration à ce sommet, mentionnant le programme de rachat d'obligations par la BCE, Mme Merkel a déclaré à des journalistes à Berlin : « Nous n'avons pas accepté cette phrase ». Mais de nombreux analystes soutiennent que sans un peu d'implication de la banque centrale, il s'avèrera impossible pour les dirigeants européens de résoudre la crise de l'endettement de la zone euro.

Toutefois, il y a des signes de progrès sur cette question quant au montant de la dette à effacer et qui devrait être imposé aux banques privées qui détiennent la dette souveraine grecque. Jean-Claude Juncker, qui dirige le groupe des ministres des finances de la zone euro, a déclaré : « La participation des créanciers privés devra être plus importante, d'environ 50% ».

Les détails d'un plan complexe pour accroître le puissance de feu du fonds de sauvetage européen, la Facilité européenne de stabilité financière (FESF), ont transpiré hier soir. On s'attend à ce qu'il implique un programme pour garantir une partie des obligations souveraines nouvellement émises, ainsi que la création d'un nouveau fonds conçu pour attirer l'argent des investisseurs mondiaux.

De plus, les préparatifs de ce sommet crucial ont été gênés par les grandes inquiétudes soulevées par la capacité du Premier ministre italien Silvio Berlusconi à garantir des mesures de réduction de la dette, afin de satisfaire les exigences des autres gouvernements de la zone euro sans provoquer l'effondrement de sa coalition morcelée.

Ce n'est qu'hier soir que cette perspective s'est éloignée, lorsque le partenaire incontournable de la coalition de Berlusconi, la Ligue du Nord, a déclaré qu'un accord avait été atteint sur les réformes prévues. Tandis que le dirigeant de la Ligue du Nord, Umberto Bossi, a dit qu'ils étaient parvenus à un accord avec Berlusconi sur une réforme clé des retraites, il était toujours pessimiste quant à la survie du gouvernement de coalition.

« Nous avons fini par trouver un moyen. Nous verrons maintenant ce que dira l'UE ", a déclaré M. Bossi aux journalistes. « Je reste pessimiste ». Un assistant de M. Bossi a déclaré au Wall Street Journal que le leader de son parti était parvenu à un compromis préliminaire avec le gouvernement pour modifier le système de retraites en Italie, mais il n'en a pas dit plus.

Cet accord semble avoir été conclu seulement quelques heures après que la Ligue du Nord a dit qu'elle bloquerait l'allongement du départ en retraite à 67 ans (lequel est fixé à 60 ans dans certains cas) - ce qui représente la contribution de l'Italie pour sauver l'euro.

Le ministre italien des infrastructures, Altero Matteoli, a admis que cette crise politique pourrait couler le gouvernement. « Nous sommes dans le processus de négociations. Il y a cette hypothèse [que le gouvernement pourrait tomber], mais une marge de manouvre existe », a-t-il dit.

Le Professeur Francesco Giavazzi, de l'Université de Milan, a déclaré : « A cet instant précis, une crise gouvernementale serait un désastre, parce que nous avons une quantité énorme de dette qui a besoin d'être re-financée ».

Lamberto Dini, un ancien Premier ministre italien, a dit sur la chaîne Sky Italia qu'il n'y avait « aucune alternative à l'allongement du départ en retraite », et que sans celui-ci, l'Italie « prendrait le même chemin que la Grèce ».


Les quatre stratégies clés. et leurs chances de réussite

Réduction de la dette grecque

L'Etat grec est piégé par sa dette. Un rapport confidentiel UE/FMI de la semaine dernière a révélé que les besoins accumulés de la dette à Athènes pourraient atteindre 444 Mds d'euros, malgré l'austérité imposée à sa nation par le gouvernement de George Papandréou face à une résistance publique considérable. 444 milliards d'euros représenteraient pour la Grèce un poids de la dette supérieur à 200% de son PIB. La Grèce a besoin manifestement que le gros de sa dette soit effacé pour avoir la moindre chance d'éviter un défaut de remboursement. Les créanciers de la Grèce, après avoir subi beaucoup de pressions, semblent désormais avoir accepté un effacement « volontaire » de près de 60% de la valeur faciale de leurs créances. Mais il y a là deux paris. D'abord, le risque que cette réduction pourrait déclencher les polices d'assurance sur la dette grecque, avec pour résultat que les pertes écrasantes se répandent dans des endroits inattendus du système financier mondial, comme cela s'est produit en 2008 lorsque Lehman Brothers a fait faillite. Le deuxième pari porte sur la proportion. Un effacement de 60% de la dette grecque pourrait ne pas être suffisant pour résoudre les finances publiques du pays. Même après ce niveau de mansuétude, le pays aurait toujours un taux d'endettement sur PIB égal à celui du Royaume-Uni [environ 86,5%].

Probabilité de réussite : 80%

Recapitalisation des banques européennes

Les amortisseurs en capital des banques européennes sont trop petits et tous les professionnels des marchés financiers le savent. C'est pourquoi autant de banques rencontrent de plus en plus de difficultés pour emprunter sur les marchés financiers. Personne ne veut prêter d'argent à une banque que l'on craindrait insolvable. Les régulateurs européens ont finalement reconnu que leurs tests de résistance effectués en juillet dernier sur le secteur bancaire n'ont convaincu personne. Les dirigeants européens vont maintenant dire à leurs banques d'augmenter à 9% dans les six prochains mois leurs ratios en capital par rapport à la valeur de leurs actifs. Il y a deux paris ici. Le premier est que l'augmentation de capital préconisée - estimée à 108 milliards d'euros pour l'ensemble des banques [européennes] - sera suffisant. Certains analystes disent que les besoins en capitaux sont sensiblement plus élevé que 108 Mds d'euros. Le deuxième pari est de permettre aux banques d'essayer d'augmenter leur capital par elles-mêmes, plutôt qu'en les obligeant à se servir dans les coffres des gouvernements nationaux. Les banques ont fermement indiqué qu'elles essayeraient de répondre à leurs nouveaux ratios en réduisant leurs actifs, plutôt qu'en levant de nouveaux capitaux. Etant donné que les actifs des banques ont tendance à être constitués de prêts aux personnes et aux entreprises, de telles ventes pourraient avoir un effet désastreux sur une économie européenne déjà fragile.

Probabilité de réussite : 60%

Augmenter le fonds de sauvetage de la zone euro

Le pays clé de la zone euro n'est pas la Grèce, mais l'Italie. Si l'Italie, la troisième économie de la zone euro, sortait avec fracas de la monnaie unique, c'est tout l'édifice qui pourrait s'écrouler. Et l'Italie est si liée à l'économie européenne et mondiale que les conséquences seraient véritablement catastrophiques. Le fonds de sauvetage européen actuel, qui est de 400 Mds d'euros, le FESF, est assez gros pour venir en aide à la Grèce, au Portugal et à l'Irlande. Mais il n'est pas assez gros pour protéger l'Espagne. Et il est certainement très insuffisant pour protéger l'Italie. Par conséquent, les décideurs politiques européens tentent de mettre au point des plans pour étendre la puissance de feu du fonds de sauvetage en le transformant en une sorte de programme d'assurance pour la dette italienne nouvellement émise. Le pari est ici de deux natures : ce programme - qui devrait proposer une garantie de 20% de la valeur faciale des ces obligations nouvellement émises - convaincra-t-il les investisseurs qu'investir dans la dette italienne est un placement sûr ? Et restera-t-il assez de liquidités dans ce pot commun pour couvrir toute la dette qui sera émise par l'Italie dans les années à venir ? Si les marchés pensent le contraire, la panique se poursuivra.

Probabilité de réussite : 20%.

Régler le problème de l'Italie

Il s'agit, jusqu'à un certain point, d'une crise de confiance dans la solidité des obligations souveraines de la zone euro. Une façon de convaincre les investisseurs que ces obligations souveraines sont solides - et qu'ils récupèreront leur argent, s'ils en achètent - est de faire pression sur les gouvernements pour qu'ils réduisent leurs déficits budgétaires et qu'ils réforment leurs économies afin de générer de la croissance. L'Italie est l'un des plus gros emprunteurs au monde, avec une dette nationale de 1,843 milliards d'euros. Et les investisseurs se méfient des obligations italiennes. C'est pourquoi, ces derniers jours, Angela Merkel et Nicolas Sarkozy ont formulé publiquement des exigences strictes à Silvio Berlusconi pour qu'il remette de l'ordre dans l'économie italienne. Mais c'est un pari. Les conséquences des pressions extérieures sur les gouvernements nationaux sont imprévisibles. En Italie, elles semblent avoir précipité une crise politique qui pourrait faire tomber la coalition de M. Berlusconi. Cela risque d'aggraver la situation.

Probabilité de réussite : 50%.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]


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