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Les liens turco-israéliens entrent dans des eaux inexplorées

Par Pierre Klochendler
Inter Press Service, 30 juin 2011

article original : "Turkey-Israel ties enter uncharted waters"

JERUSALEM - Au milieu des préparatifs de dernière minute pour une nouvelle flottille de la paix qui va essayer cette semaine de briser le blocus maritime israélien de Gaza, les signes d'une tentative de dégel des relations entre Israël et la Turquie, après une crise de deux ans, sont de plus en plus visibles.

Un reportage publié la semaine dernière dans le journal israélien Ha'aretz a révélé que le ministre [israélien] des Affaires stratégiques, Moshe Yaalon, conduisait des discussions secrètes à Genève avec Feridun Sinirlioglu, le vice-ministre turc des Affaires Etrangères.

Assez tôt, le voile du secret a été levé et le processus de réconciliation ressemblait plus à un exercice de diplomatie publique. Durant un entretien chaleureux accordé à un groupe de journalistes turcs, le vice-ministre israélien des Affaires Etrangères, Danny Ayalon, a déclaré : « Maintenant, nous devons nous détacher de ce jeu d'accusation mutuelle quant à la raison de la perte de confiance ».

Par « maintenant », Ayalon entendait la période qui a suivi les élections générales turques, il y a quinze jours. « Les tensions politiques en Turquie ont été laissées derrière après les élections », a-t-il affirmé.

Les diplomates israéliens pensent en effet que la victoire dans les urnes du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan et de son parti, l'AKP (le Parti de la Justice et du Développement), aura un impact « pragmatique » sur les relations orageuses entre les deux pays.

La Turquie a gelé ses liens avec Israël, suite à l'opération dévastatrice israélienne contre le Hamas à Gaza (2008-2009). Après la diffusion, l'année dernière, de la populaire série TV turque AYRILIK (Séparation), qui dépeignait les soldats israéliens comme des oppresseurs assoiffés de sang, violant les droits des Palestiniens, Ayalon avait convoqué l'ambassadeur turc et, en violation flagrante du protocole diplomatique, l'avait fait asseoir sur une chaise plus basse et exposer, comme il est d'usage, le drapeau du pays de l'hôte. Une équipe de télévision israélienne invitée pour l'occasion avait enregistré cette scène humiliante.

Les relations ont été proches de la rupture en mai 2010, lors du premier incident avec la Flottille pour la Paix à Gaza, quand des commandos de marine israéliens ont attaqué le navire MV Marmara et sont monté à son bord. Au cours de ce raid mal conçu, neuf militants turcs de la Fondation Islamique pour le Secours Humanitaire (IHH) ont été tués dans les eaux internationales.

Depuis, la réconciliation a trébuché sur l'exigence de la Turquie qu'Israël « fasse des excuses » officielles pour le meurtre de ces militants. Israël accepte seulement d'exprimer ses « regrets ». Les observateurs ne prédisent pas tous que l'actuel processus de rapprochement se terminera bien.

Suat Kiniklioglu, vice-président de l'AKP en charge des affaires extérieures, a déclaré, le 23 juin lors d'une conférence à Washington, parrainée par le Middle East Institute, que « s'il n'y a pas de changement radical dans le conflit israélo-arabe, je ne vois pas une ambassade turque à Tel Aviv dans cinq ans ».

A la suite de la confrontation avec la flottille, l'année dernière, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, a lancé une politique de renforcement des liens de sécurité avec la Grèce, le rival régional de la Turquie. Mais le volume des échanges économiques bilatéraux avec ce pays en faillite ne pourrait atteindre celui dont Israël bénéficiait précédemment avec la Turquie.

Netanyahou a donc été prompt à saisir l'occasion offerte par la victoire d'Erdogan. Il a félicité son homologue, en exprimant le souhait de gommer leur désaccord. Les diplomates israéliens voient dans le soulèvement syrien une autre occasion pour dégeler les relations. Ils font remarquer que l'ensemble de l'édifice de la politique étrangère turque de réalignement d'Ankara avec l'Iran, l'Irak et la Syrie, pour former un axe stratégique, semble s'effondrer.

En particulier, l'affaiblissement de la Syrie est perçu comme une bonne augure, car elle pourrait bouleverser le front oriental d'Israël (l'Iran, la Syrie et le Hezbollah, le mouvement chiite libanais).

En contraste avec la méfiance traditionnelle israélienne d'une poussée des Frères musulmans chez ses voisins, l'ancien chef des renseignements militaires, Amos Yadlin, a déclaré la semaine dernière que le printemps arabe était « bon pour Israël ». « Le fait que les Arabes attaquent leurs propres régimes et non pas Israël est historique », a-t-il ajouté.

Avec des rapports en provenance de la ville turque de Guvecci, affirmant que les troupes syriennes pourraient être considérées comme étouffant les troubles à la frontière, la Turquie craint que de telles opérations puissent déclencher un exode plus important de réfugiés, cette fois-ci kurde, vers son territoire. Les deux pays ont de fortes minorités kurdes.

L'inquiétude d'un regain de violence à la frontière, avec de graves conséquences régionales, a été reprise par la secrétaire d'Etat US, Hillary Clinton. « A moins que les forces syriennes ne mettent immédiatement fin à leurs attaques et à leurs provocations, lesquelles, désormais, n'affectent pas seulement leurs propres citoyens mais [élèvent] le potentiel d'affrontements aux frontières, alors nous allons voir une escalade du conflit dans cette région », a-t-elle déclaré de façon inquiétante.

Sous la pression des Etats-Unis et les « conseils » de la Turquie, l'IHH a annulé sa participation à la nouvelle flottille d'aides à Gaza, expliquant que cette décision visait principalement à empêcher la flottille de détourner l'attention de cette ONG qui soulage le sort des réfugiés syriens.

« Le fait que le MV Marmara [propriété de l'IHH] ne se rende pas [à Gaza pour une deuxième fois] est une bonne occasion pour nous de renouveler nos liens », a réagi Ayalon dans le quotidien turc Hurriyet.

Coïncidence ou non, ce qui semble être la raison la plus immédiate pour la réhabilitation actuelle entre les deux pays est le rapport du comité d'enquête des Nations Unies sur la première flottille, attendu dans les quinze jours.

Un haut responsable du gouvernement israélien a déclaré dimanche à Ha'aretz que la Turquie avait demandé à Israël d'accepter une « version édulcorée » du rapport du Secrétaire général.

Ce responsable aurait dit qu'Ankara est « très préoccupé » par la « critique sévère de la Turquie » attendue dans ce rapport. Un accord israélien à cette demande ferait partie d'un « ensemble de mesure » visant à oublier l'affaire de la flottille entre eux.

Depuis l'année dernière, les deux pays ont modifié leurs orientations stratégiques de telle sorte qu'elles ont miné ce qui a toujours été « une alliance de convenance », selon les mots d'Henri Barkey, un expert sur la Turquie au Carnegie Endowment for International Peace.

Les bonnes relations avec la Turquie faisaient partie d'une stratégie israélienne de compenser son manque de rapports avec ses voisins, en construisant des liens avec les nations non-arabe à la périphérie du Proche-Orient. La Turquie, pour sa part, appréciait le soutien d'Israël dans la guerre d'Ankara contre les nationalistes kurdes et encourageait les juifs américains à faire pression contre les mesures anti-turques au Congrès des Etats-Unis, soutenues par les Américains d'origine grecque et arménienne.

Cependant, avec la 16e plus grande économie mondiale et des liens croissants avec les anciennes terres ottomanes au Proche-Orient, en Afrique du Nord et en Asie centrale, « la Turquie s'épanouit et n'a plus besoin d'Israël ou de la communauté juive américaine », a déclaré Barkey. Il a également reproché à Israël de considérer la Turquie « comme acquise ».

Le printemps arabe a posé de nouveaux défis à la stratégie de la Turquie d'assister les autres musulmans et de « n'avoir aucun problème » avec ses voisins. Cependant, la réaction de la Turquie au printemps arabe a été proactive, alors qu'Israël s'est recroquevillé dans ses inquiétudes d'échanger des régimes autoritaires peu enclins à prendre des risques contre des régimes pro-palestiniens populistes.

En attendant, les protagonistes latents de la deuxième Flottille de la Paix mènent les dernières répétitions et exercices de simulation.

En Grèce et dans d'autres ports de la Méditerranée, les militants s'exercent à une résistance non-violente face à des commandos masqués abordant avec fracas leurs navires avec des fusils, des pistolets paralysants, du gaz lacrymogène et des canons à eau, en essayant d'imaginer des hélicoptères en vol stationnaire et des navires de guerre qui les encercleraient.

Dans les eaux territoriales israéliennes, les commandos de marine pratiquent l'abordage de navires - cette fois-ci, d'une manière qui n'est pas ouvertement provocatrice.

(Inter Press Service. Reportages additionnels de Barbara Slavin.)

Traduction [JFG-QuestionsCritiques].)

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