relations internationales
WASHINGTON - De plus en plus bouleversés par les conséquences possibles des récentes mesures prises par Israël pour punir l'Autorité Palestinienne (AP) et consolider son emprise sur la Cisjordanie, un certain nombre de voix de premier plan exhortent le Président Barack Obama à exercer une réelle pression sur le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou pour qu'il inverse son cap.
L'annonce par son gouvernement de construire 3.000 nouveaux logements à Jérusalem Est et en Cisjordanie, et d'accélérer le projet de développement de la zone connue sous le nom E-1, la dernière zone non-développée qui relie les parties nord et sud de la Cisjordanie, est vue à Washington comme une provocation particulièrement dommageable, tant pour les Palestiniens que pour l'administration [Obama] elle-même.
« La construction de la zone E-1 rendrait quasiment impossible à un futur Etat palestinien d'obtenir la contiguïté dont il a besoin pour être viable et le couperait de Jérusalem Est », a mis en garde Debra DeLee, la présidente d'Americans for Peace Now (APN) [Les Américains pour la paix maintenant], une association juive pour la paix.
« Sans un Etat palestinien viable en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, Israël serait condamné à devenir un Etat binational[1], ce qui signifierait la fin de la vision sioniste d'un Israël à la fois juif et démocratique », a-t-elle ajouté dans un appel à Obama pour qu'il « intervienne personnellement auprès [.] de Netanyahou pour que son gouvernement inverse sa décision ».
Sa voix est l'une des nombreuses autres qui exhortent le président [Obama] a agir beaucoup plus fermement contre le dirigeant israélien, qui refuse de verser à l'AP plus de 90 millions d'euros de taxes dont celle-ci a désespérément besoin, en représailles contre sa demande couronnée de succès à l'Assemblée Générale des Nations Unies, fin novembre, pour y obtenir le « statut d'Etat observateur ».
Contrairement à plusieurs pays européens, notamment la Grande-Bretagne, la France, le Danemark et la Suède, les Etats-Unis, l'un des neuf seuls pays - sur 188 - qui ont voté contre le rehaussement diplomatique de l'AP, n'ont pas encore protesté officiellement contre les actions d'Israël.
En effet, leur réaction initiale à l'annonce d'Israël a été relativement peu audible. En disant que ces mesures étaient « contre-productives » dans l'objectif de reprendre les pourparlers de paix, la Maison Blanche a simplement « vivement conseillé aux dirigeants israéliens de reconsidérer ces décisions unilatérales [.] » Après trois jours, le Département d'Etat a publié une déclaration faisant remarquer que la construction de la zone E-1 serait « particulièrement dommageable aux efforts visant à parvenir à une solution à deux Etats ». Obama lui-même est resté muet sur cette question.
A ce jour, la tiédeur relative de la réponse des Etats-Unis laisse supposer pour beaucoup de personnes, ici, que le président n'a aucune intention de se battre contre le dirigeant israélien dans un nouvel effort pour obtenir un accord de paix, un objectif qu'il avait poursuivi avec beaucoup de sincérité dans les 18 premiers mois de son administration, avant de tout abandonner en attendant l'issue de l'élection de cette année.
Etant donné la force du lobby d'Israël auprès des deux camps de l'hémicycle du congrès, Obama veut peut-être éviter, durant son deuxième mandat, d'encaisser de nouveaux coups de la part Netanyahou, dont la coalition d'extrême-droite devrait remporter les élections législatives du mois prochain, et de la part de ses supporters ici. Il préfère peut-être se concentrer sur les priorités intérieures, en réduisant un peu plus « l'empreinte » des Etats-Unis dans le grand Moyen-Orient et en consolidant son « pivot » dans la région Asie-Pacifique.
Néanmoins, la perte des bons sentiments entre Obama et [Netanyahou] est faible, puisque ce dernier avait soutenu publiquement, et de toutes ses forces, le challenger républicain d'Obama, Mitt Romney, durant la campagne électorale.
Une indication que cette mésentente a refait surface cette semaine est rapportée par la réunion privée de haut vol, entre des Israéliens de premier plan et leurs supporters américains, au Saban Center de la Brooking's Institution, où l'ancien secrétaire général de la Maison Blanche, Rahm Emanuel, qui reste proche d'Obama, a accusé Netanyahou d'avoir « trahi à plusieurs reprises » le président.
Emanuel, qui est aujourd'hui Maire de Chicago, s'en est pris aux dernières mesures prises par Israël contre l'AP, qu'il aurait dépeintes comme étant particulièrement vexantes, étant donné le soutien de Washington à Israël durant sa brève guerre contre le Hamas à Gaza, le mois dernier, et son opposition solitaire au rehaussement diplomatique de l'AP à l'ONU.
Certains pensent que le président attendrait pour agir d'avoir résolu des affaires plus urgentes, notamment éviter, à la fin du mois, ce que l'on appelle la « falaise fiscale » et ensuite négocier un plus gros déficit en début d'année prochaine, ainsi qu'assembler et faire fonctionner une nouvelle équipe aux Affaires étrangères.
D'autres, dont l'assistant numéro un de l'ancien président George W. Bush pour le Moyen-Orient et ardent défenseur de Netanyahou, Elliott Abrams, pensent qu'Obama joue peut-être un double-jeu en taisant, d'un côté, le mécontentement des Etats-Unis vis-à-vis d'Israël et en encourageant, de l'autre, les alliés européens de Washington à prendre leur distances avec Israël - comme ils l'ont fait au cours du vote de la semaine dernière à l'ONU.
La décision de l'Allemagne, qui a défendu pendant longtemps les actions de l'Etat hébreu dans les forums mondiaux, de s'abstenir sur le vote palestinien, aurait été perçue comme un véritable choc. En effet, la seule nation européenne qui s'est jointe aux Etats-Unis dans ce « non » solitaire était la République tchèque.
« Le sentiment que la coalition de Netanyahou ne puisse pas s'entendre avec l'Europe ou les Etats-Unis pourrait nuire à Netanyahou vis-à-vis des électeurs israéliens - ce qui est peut-être l'objectif précis de tout cet effort », a écrit Abrams dans National Review Online.
Tandis qu'une telle stratégie pourrait bien porter ses fruits, d'autres insistent pour dire que les enjeux pour les Etats-Unis sont trop élevés pour renoncer à des tactiques plus affirmées envers la direction israélienne, en particulier alors qu'elle dérive de plus en plus vers la droite. Cela est particulièrement vrai à la lumière du Réveil arabe et de la montée de l'Islam politique dans tout le Moyen-Orient.
« La tendance va manifestement vers une plus grande religiosité et une plus grande identification à la cause palestinienne », a fait remarquer l'ambassadeur à la retraite Chas Freeman, un spécialiste américain de haut-vol sur le Moyen-Orient, dans une conférence récente où il a soutenu également que « l'attaque par Israël de la mi-novembre contre Gaza avait tout simplement renforcé l'opinion dans la région qu'Israël est un ennemi avec lequel il est impossible de coexister pacifiquement » et que la saisie de terres par Israël rendait de plus en plus improbable une solution à deux Etats.
Zbigniew Brzezinski, qui a servi comme conseiller à la sécurité nationale auprès de l'ancien président Jimmy Carter, soutient qu'Obama devrait reprendre l'initiative contre l'influence du lobby d'Israël au Congrès, en soulignant qu'il peut y surmonter l'opposition « s'il se tient ferme pour 'l'intérêt national' ».
Le vote de la semaine dernière à l'ONU, a-t-il fait remarquer, « marque le nadir du respect mondial en très fort déclin vis-à-vis de la capacité des Etats-Unis à faire face à une question qui est moralement troublante aujourd'hui et qui sera explosive à long-terme ». La meilleure occasion pour agir, a-t-il ajouté, serait sans la première année de son deuxième mandat.
De façon similaire, Paul Pillar, un analyste de carrière de la CIA, qui a également servi en tant que Responsable des renseignements nationaux pour le Proche-Orient, de 2000 à 2005, a appelé cette semaine Obama, sur son blog nationalinterest.org, à traiter Netanyahou de la même manière qu'il négocie avec les Républicains au congrès sur le budget, « en faisant passer son message au pays de la même façon qu'il a mené la campagne électorale ».
« Le charme qu'il exerce sur les chefs des parlementaires est une reconnaissance que le parti de l'opposition ne comprend que le langage de la force politique. Mais M. Obama a eu également son compte d'expériences amères et frustrantes avec Netanyahou pour justifier qu'il parviendra à des conclusions similaires dans ses relations avec Israël », a-t-il écrit, faisant remarquer que la politique envers Israël est devenue « autant une question intérieure que le budget », en particulier à la lumière de l'interférence du Premier ministre israélien dans les élections américaines.
En outre, a-t-il observé, une enquête récente conduite par Shibley Telhami du Saban Center a découvert que 62% de l'électorat juif israélien avait une opinion favorable sur Obama, ce qui laisse supposer qu'une « offensive de charme », là-bas, par le président des Etats-Unis pourrait récolter des dividendes.(Copyright 2012 Asia Times Online / traduction [JFG-QuestionsCritiques])
Note :
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[1] Albert Einstein défendait l'idée d'un Etat binational pour les Juifs et les Palestiniens : « Je préférerais de beaucoup qu'un accord raisonnable ait lieu avec les Arabes sur le principe du vivre ensemble dans la paix, plutôt que d'assister à la création d'un État juif. » Retrouvez cette citation et beaucoup d'autres dans Le Conflit Israélo-Palestinien, par Jean-François Goulon (Le Retour aux Sources, Aube, 2012). Ce petit livre passionnant est une compilation de textes écrits par les plus grands auteurs juifs (et quelques autres) ayant traité ce sujet et qui retracent l'histoire de ce conflit, depuis les origines cananéennes de la Palestine à sa demande d'adhésion à l'ONU.
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