accueil > archives > édito


L’Iran lorgne sur un rôle de médiation au Bahreïn

Par Kaveh L. Afrasiabi
Asia Times Online, le 21 avril 2011

article original : "Iran eyes mediation role in Bahrain"

"L’Amérique essaye de semer la dicorde entre les Chhites et les Sunnites… ils veulent
créer une tension entre l’Iran et les Arabes… mais leur plan échouera.”

— Mahmoud Ahmadinejad (dans un discours prononcé lundi pour marquer le Jour des Armées)

Après des semaines de tensions croissantes avec l’Arabie Saoudite, suite à l’intervention militaire de cette dernière au Bahreïn, l’Iran projète de se repositionner comme médiateur plutôt que comme un intrus suspect dans l’impasse politique qui s’agrippe à la petite île.

Derrière le projet de Téhéran, se trouve la ferme conviction, reflétée par le discours d’Ahmadinejad le Jour des Armées, que les Etats-Unis et Israël ont un plan pour isoler l’Iran et empoisonner ses relations avec le monde arabe. Ceci empêcherait l’Iran de toucher les bénéfices politiques des soulèvements qui ont sapé le statu quo pro-occidental au Moyen-Orient.

Parmi ces bénéfices, le plus important est une nouvelle ère dans les relations irano-égyptiennes, avec les dispositifs de la politique étrangère iranienne qui travaillent sans compter pour accélérer le processus de normalisation des liens avec le Caire. Les relations irano-égyptiennes avaient été sérieusement mises à mal dans le sillage de la Révolution islamique de 1979 et s’étaient désagrégées après la reconnaissance d’Israël par l’Egypte, la même année.

Le ministre iranien des affaires étrangères, Ali Akbar Salehi, vient d’accueillir favorablement une proposition du Premier ministre égyptien nouvellement nommé, Nabil al-Arabi, visant à la promotion des liens bilatéraux. Salehi a déclaré que Téhéran était prêt à renouer les relations avec le Caire.

« L’Iran est un pays islamique et n’est pas un ennemi de l’Egypte », a déclaré le Maréchal Tantawi, le chef du conseil militaire égyptien, le 9 avril dernier.

Le rapprochement qui bourgeonne entre l’Iran et l’Egypte est un développement indésirable pour les Etats-Unis, Israël et l’Arabie Saoudite, en particulier pour Riyad. Les dirigeants saoudiens engagent actuellement des sommes considérables pour attiser la phobie de l’Iran, pas seulement dans le monde arabe, mais également à Washington et dans d’autres capitales occidentales.

Les sentiments de Tantawi sont partagés par un certain nombre d’Egyptiens de premier plan, dont Amr Moussa, le secrétaire-général de la Ligue Arabe. Ce dernier a récemment appelé à une « amélioration des relations, non seulement entre l’Iran et l’Egypte, mais également entre l’Iran et l’ensemble du monde arabe ».

Un autre partisan de l’Iran qui a endossé un nouveau rôle au Moyen-Orient est Ekmeleddin Ihsanoglu, l’actuel secrétaire-général de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI), [dont le siège se trouve à Djedda, en Arabie Saoudite]. Il a dit tout récemment que l’Egypte sous Moubarak maintenait les tensions avec l’Iran afin d’entretenir les flammes des conflits sectaires dans la Demeure de l’Islam.

Seyed Hossein Moussavi, un expert en politique étrangère à Téhéran, a déclaré dans une interview à www.IRDiplomacy.com que Téhéran devrait priver ses ennemis de toute excuse de l’isoler, en essayant de « calmer l’environnement régional ». Cela inclut d’établir un contact avec les dirigeants bahreïnis et de les assurer que l’Iran n’a joué aucun rôle dans les récents troubles de masse, tout en offrant ses services de médiation entre le gouvernement bahreïni et son opposition.

Le conseil néanmoins avisé de Moussavi a la faiblesse de négliger la valeur changeante du maintien de la pression sur l’Arabie Saoudite au sujet de sa transgression militaire au Bahreïn. Riyad pourrait interpréter le geste conciliant de Téhéran comme un signe de faiblesse et, par conséquent, comme un feu-vert pour prolonger son séjour au Bahreïn, un pays à domination chiite qui a de solides liens historiques avec l’Iran.

En attendant, après qu’un certain nombre d’étudiants anti-saoudiens se sont rassemblés devant l’ambassade d’Arabie Saoudite à Téhéran, les Saoudiens ont menacé de rappeler leurs diplomates, « à moins que Téhéran ne les protège ».

Une réponse iranienne plus prudente aurait été de rappeler immédiatement leur ambassadeur à Riyad, ce qui aurait constitué un message sérieux laissant entendre qu’il n’y aurait aucune relation normale avec Téhéran, tant que l’Arabie Saoudite ne quittera pas le Bahreïn. Un précédent historique pour ce type de réponse fut la réaction des Etats-Unis à l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979.

Après son agression au Bahreïn, on ne devrait pas laisser l’Arabie Saoudite faire la pluie et le beau temps en matière de diplomatie, peu importe son énervement par les revers actuels qu’elle a encaissés – perdant de proches alliés en Egypte et au Liban, et en ne parvenant pas à manipuler le système politique en Irak.

Cependant, beaucoup dépend de la concurrence actuelle qui s’exerce entre l’Iran et l’Arabie Saoudite pour conquérir les cœurs et les esprits des dirigeants arabes, dont les Egyptiens, à la lumière de la récente visite au Caire de Mohammed Khazaï, le représentant permanent de l’Iran aux Nations-Unies. Ceci a été largement interprété par la presse égyptienne comme un signe évident d’amélioration des relations bilatérales, tant redoutée par les Saoudiens, dont l’ambassadeur en Egypte, Ahmed Algathan, est allé jusqu’à menacer l’Iran d’une action militaire.

Heureusement, tout le monde en Arabie Saoudite n’est pas au diapason avec les rodomontades d’Ahmed Algathan contre l’Iran. Un ministre-adjoint saoudien à la défense, Khaled Ben Soltan Ben Abdelaziz, a conseillé de ne pas porter de jugements irréfléchis et il a avisé de « la nécessité d’être raisonnable vis-à-vis de l’Iran ». Il a fait ces remarques après un virulent communiqué du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), qui descendait l’Iran en flammes.

Depuis lors, malgré une visite largement couverte, dans la région, du Secrétaire US à la Défense Robert Gates, au cours de laquelle il a apporté un soutien explicite à la stratégie saoudo-bahreïni de faire de l’Iran le bouc-émissaire des problèmes politiques internes au Bahreïn, la roue diplomatique est en train de tourner lentement en faveur de l’Iran. Ceci est dû en partie à la décision de l’Iran de jouer la carte de la démocratie et d’en appeler à la communauté internationale pour qu’elle condamne la répression soutenue par les Saoudiens des Chiites bahreïnis qui réclament la démocratie.

Le ministre iranien des affaires étrangères, Ali Akbar Salehi, a écrit en avril au secrétaire général des Nations-Unies, Ban Ki-Moon, pour savoir comment cette institution peut justifier son inaction au Bahreïn, après la résolution qui a été votée pour la Libye. Dans un signe évident que le discours diplomatique de l’Iran sur le Bahreïn est en train de payer, Ban Ki-Moon, durant son récent voyage à Doha, au Qatar, a mis les dirigeants bahreïnis sur la défensive en les appelant à faire preuve de modération vis-à-vis des protestataires et de moderniser leur système politique.

Toutefois, avec le « grand frère » saoudien qui renforce son influence au Bahreïn, sapant la marge d’action indépendante de ce pays dans le domaine de la politique du CCG, la suggestion de Ban Ki-Moon devrait s’adresser à ceux qui détiennent le pouvoir dans la Maison des Saoud.

Copyright 2011 Asia Times Online Ltd / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]


Cet article vous a intéressé ?

Pensez à faire un don... merci !
Pourquoi ?
Montant en euros: