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diplomatie

Ukraine: les rebelles battent en retraite. Et après?

Par M. K. Bhadrakumar
India Punchline, le 11 juillet 2014

article original : "Rebels in Ukraine in retreat"


La prise des fiefs rebelles pro-russes dans la région orientale de l'Ukraine par les forces gouvernementales a de quoi interpeller. Les rebelles battent-ils en retraite ? Est-ce annonciateur d'une levée de drapeaux blanc ? Quid de la réaction de la Russie ? La fin de partie a-t-elle sonné ? Les questions abondent.

En analyse fondamentale, cela se réduit à se demander ce que le Kremlin à Moscou pourrait bien avoir en tête. Un commentaire de la meilleure experte de la BBC à Moscou, Bridget Kendall, signale, dans un article publié le 25 juin, que personne ne connaît vraiment la réponse. Kendall ne prend pas de risque en disant que Vladimir Poutine joue une « partie compliquée » distillée par des réflexes bien affûtés acquis au judo - faisant un pas « d'abord sur la droite, puis sur la gauche, afin de laisser ses opposants dans l'expectative ». Kendall résume que le cour nationaliste de Poutine est avec les anti-occidentaux, mais que sa tête, pragmatique, pourrait être avec les réformateurs économiques » - c'est-à-dire que le spectre des sanctions occidentales écrasantes qui sont dans l'air dissuadent Moscou de prendre des initiatives en Ukraine.

Mais la réalité est qu'une intervention militaire russe directe en Ukraine n'était sans doute pas dans les tuyaux. La perspective d'une guerre qui s'éternise aurait dépassé la capacité des forces armées russes, même s'il est exagéré de dire que « l'armée russe n'aurait bas besoin d'être déployée sur le champ de bataille pendant plus de cinq jours - le temps qu'il lui a fallu pour vaincre les Géorgiens dans la guerre de 2008 ». (Voir : Russia Can't Conquer Kiev [La Russie ne peut pas conquérir Kiev])

A mon avis, le point de bascule a probablement été atteint durant la visite de Barack Obama à Varsovie, le 4 juin dernier pour le 25ème anniversaire de l'Indépendance polonaise, lorsqu'il a recouru ouvertement à la rhétorique de l'isolement et de la dissuasion contre la Russie.

Surtout, il a recalibré ou réorienté le « pivot » des Etats-Unis vers l'Asie et souligné le retour de l'attention et des moyens des USA vers l'Europe comme priorité absolue, signalant par-là un ajustement potentiel à grande échelle de la stratégie mondiale des Etats-Unis.

Le message a forcément été compris à Moscou, que l'annexion officielle de la Crimée a changé les calculs de l'administration Obama dans ses relations avec la Russie. Alors que la Chine est perçue par l'administration Obama comme étant plutôt pragmatique, la Russie est considérée comme étant imprévisible - bien que la Chine constitue un plus grand défi en tant que concurrente. Bien sûr, cela ouvre à l'avantage de la Chine, mais c'est une autre histoire.

Certes, la très forte concentration de ses ressources diplomatiques à l'égard des événements en Ukraine a distrait la Russie et a déjà affaibli sa présence par rapport à d'autres contextes. C'est une chose.

Mais le problème principal sera d'adoucir l'humeur populaire en Russie, laquelle ne devrait pas être séparée de l'attitude prudente du gouvernement et de sa stratégie naissante de realpolitik vis-à-vis de l'Ukraine orientale et qui se démène pour monter en puissance. Des critiques se soulèvent déjà dans une opinion publique qui est dans tous ses états en Russie (ainsi qu'en Ukraine et ailleurs), disant que Moscou n'en fait pas assez pour aider les victimes d'origine ethnique russe en Ukraine, qui font face à un « nettoyage ethnique ».

En termes géopolitiques, plus longtemps dure le conflit en Ukraine, plus grand sera le renforcement des liens de l'alliance euro-atlantique, ce qui isolerait la Russie. Le projet d'Union économique eurasienne ou la reprise des relations sino-russes est un maigre substitut en ce qui concerne les élites russes ; ce qui importe beaucoup plus est l'accentuation de la distance à l'Europe. 60% des exportations russes sont actuellement destinées au marché européen.

Inutile de dire que la Russie a besoin d'apprendre à se consoler du fait que la « doctrine d'Obama » va principalement vers la désescalade et le dialogue - « Ce n'est pas parce que nous avons les meilleurs marteaux que cela veut dire que tous les problèmes sont des clous », ainsi que l'a formulé Barack Obama dans le fameux discours qu'il a donné à l'Académie militaire de West Point. Or, Moscou semble penser que la boîte à outils de l'administration Obama est toujours cette même boite à outils périmée de l'époque de la guerre froide - actions agressives et punitives pour appuyer une attitude dont la motivation géopolitique est de chercher un avantage unilatéral et de refuser de traiter la Russie sur un « pied d'égalité ». Par conséquent, il est vraisemblable que « l'humeur anti-occidentale » en tant que telle en Russie ne change probablement pas dans un avenir proche.

Ceci dit, les événements en Ukraine de la semaine dernière illustrent le fait que les options du Kremlin sont plutôt limitées. Une intervention militaire directe en Ukraine orientale serait une idée folle et peut être écartée. Une carte maîtresse est l'énergie.

En effet, la question énergétique sert de multiples objectifs à long terme, en particulier le message qu'il envoie à l'Union européenne qu'intégrer un trou sans fond comme l'Ukraine signifie des sorties continuelles de capitaux prélevés sur le contribuable européen, avec absolument aucune certitude que ces subventions seraient utilisées correctement par l'oligarchie corrompue et vénale au pouvoir à Kiev.

Les prochains jours ajouteront de la pression sur le Kremlin si Kiev persévère avec ses récents gains sur le champ de bataille et décime les séparatistes pro-russes qui ont juré de continuer le combat. La conférence téléphonique de 45 minutes qu'ont eu Obama et François Hollande avec Poutine lundi dernier avait pour but d'étayer la correction en cours du Kremlin d'une « désescalade » de la crise en Ukraine et d'ouvrir la voie politique. Obama et Hollande ont exhorté Poutine à faire pression sur les rebelles en Ukraine orientale pour qu'ils engagent des pourparlers avec Kiev. (Voir: Ukraine Rejects Talks With Rebels Until They Disarm [L'Ukraine rejette tout pourparler avec les rebelles tant qu'ils n'ont pas désarmé].)

 

Traduction [JFG-QuestionsCritiques].

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