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La Russie est “à bord”, mais pas en ligne

Par M K Bhadrakumar
Asia Times Online, le 17 février 2010

article original : "Russia 'on board', but not in line"

Le Conseiller à la Sécurité Nationale des Etats-Unis, James Jones, qui est habituellement taciturne, a eu besoin de 24 mots pour résumer le politique étrangère actuelle de la Russie. « La Russie nous soutient et est à bord ; elle a été une amie et une alliée constante à ce sujet avec le Président [Barack] Obama », a-t-il déclaré sur Fox News, dimanche dernier.

« A ce sujet », que Jones a utilisé, se référait à la manœuvre d’Obama d’accroître la pression contre l’Iran. Il s’exprimait alors que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou venait juste d’arriver à Moscou afin d'insister auprès du Président russe Dimitri Medvedev pour qu’il soutienne les sanctions punitives contre la république islamique.

Curieusement, Vladimir Nazarov, le secrétaire-adjoint du Conseil de Sécurité Nationale de la Russie, disait aux médias, à peu près en même temps, que le Kremlin ne voyait aucune raison de retarder la vente de ses systèmes anti-aériens S-300 à l’Iran. « Il y a un contrat qui a été signé et que nous devons honorer, mais les livraisons n’ont pas encore commencé. Cet accord n’est pas restreint par quelque sanction internationale que ce soit, parce que ce ne sont que des armes défensives. »

Tandis que les missiles pourraient être appelés « défensifs », cette arme pourrait en fait rendre l’espace aérien iranien inviolable et cela change la donne, ce qui explique pourquoi Washington et Tel Aviv veulent sortir tous les stops pour s’assurer que le Kremlin ne les livre pas à l’Iran.

« La Russie a reçu et continue de recevoir de nombreuses demandes et même des demandes de fournir ou de ne pas fournir des armes », a fait remarquer Nazarov. « Ces pays qui nous font de telles demandes devraient mieux regarder leurs propres accords avec la Georgie. » Ce qui le tourmente est que les Américains et les Israéliens ont fourni des « armes défensives » à ce pays du sud caucasien.

La semaine dernière, les services de renseignements russes ont rapporté qu’un contrat majeur d’armement avait été conclu entre Israël et la Géorgie. Mais Nazarov a rapidement changé de tactique. « Toute action militaire contre l’Iran fera exploser la situation et aura des conséquences négatives pour le monde entier, y compris la Russie, qui est voisine de l’Iran », a-t-il fait remarquer, soulignant que le problème du programme nucléaire iranien devrait être résolu par la diplomatie.

L’énigme de la « réinitialisation » russo-américaine

Jones et Nazarov ne se sont pas vraiment contredit l’un l’autre. La Russie proclame être un pur acteur pragmatique sur la scène mondiale. En novembre dernier, dans son adresse à la nation, Medvedev a déclaré que « Nous [la Russie] devons nous débarrasser de notre sens exagéré de suffisance […] Au lieu de mener des actions désordonnées dictées par la nostalgie et les préjugés, nous conduirons une politique intérieure et étrangère intelligente basée purement sur des objectifs pragmatiques. »

Un accord russo-américain sur l’Iran ne peut être exclu. L’administration Obama a proposé à Moscou une poignée de propositions. Le problème est que la Russie les voit comme ambivalentes. Prenez le nouveau traité START ! Cette proposition aide à perpétuer « l’équilibre stratégique » de la Russie. Cependant, les Etats-Unis refusent de lier ce traité à un engagement d’abandonner leur programme de défense antimissile, sans lequel la Russie n’est pas disposée à réduire son stock d’armes nucléaires.

En septembre dernier, Obama a débranché le plan de l’administration de George W. Bush de déployer un site de radar et des missiles intercepteurs en Pologne et en République Tchèque et Moscou a pris cette décision dans le meilleur esprit de la « réinitialisation » des liens entre les Etats-Unis et la Russie. Mais Moscou est bouleversé d’apprendre que les Etats-Unis vont maintenant déployer des missiles Patriot en Pologne et des intercepteurs SM-3 en Roumanie.

Les SM-3 ont poussé Moscou à exiger « des explications complètes » de la part de Washington. « Comment pouvons-nous rester calmes lorsque des infrastructures militaires étrangères, des infrastructures militaires américaines, sont arrivées dans la zone de la Mer Noire ? » a demandé Dimitri Rogozin, l’ambassadeur de la Russie auprès de l’OTAN, à la télévision russe la semaine dernière. Les SM-3 ne menacent peut-être pas immédiatement la dissuasion nucléaire de la Russie, mais que se passera-t-il si les Etats-Unis choisissent de les remplacer en fin de compte par des intercepteurs de deuxième génération ?

Une fois encore, Washington a autorisé la reprise des consultations entre l’Otan et la Russie, qui avaient été suspendues à la suite du conflit entre la Russie et la Géorgie, en août 2008. Mais les Américains refusent de concéder à la Russie un droit de veto sur l’élargissement de l’Otan. Lors de la conférence de Munich sur la sécurité, le 6 février dernier, le secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, a présenté une vision pour transformer l’alliance en une organisation de sécurité mondiale – « Le cœur d’un réseau de partenariats en matière de sécurité » - et il a exhorté la Russie de coopérer.

Il a essentiellement descendu en flammes le point de vue contraire de Medvedev en faveur d’une nouvelle architecture en matière de sécurité s’étendant de Vancouver à Vladivostok. S’exprimant à l’Ecole Militaire, à Paris, le 29 janvier, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton a également réprimandé Medvedev en faisant remarquer que la sécurité européenne est « bien plus » que des intérêts stratégiques et qu’elle est également « une expression de nos valeurs ».

C’est le genre de méthode pédagogique sur la clarification occidentale que l’Union Européenne réserve habituellement pour parler avec condescendance à la Turquie. Réfutant l’idée de « toute sphère d’influence », Clinton a appelé la Russie à respecter son accord de cessez-le-feu avec la Géorgie, elle a refusé de prendre note des « demandes de la Russie » quant à l’indépendance des Etats séparatistes géorgiens d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, elle a insisté sur le fait que l’élargissement de l’OTAN « augmentait en réalité la sécurité et la prospérité de la Russie » et elle a souligné que « l’Otan doit rester et restera ouverte à tout pays aspirant à en devenir membre ».

Clinton a considéré la proposition de Medvedev sur une nouvelle architecture de sécurité comme un « processus très long et très lourd » et n’en a ressenti de toute façon aucune nécessité, puisque « les objectifs communs sont mieux poursuivis dans le contexte des institutions existantes, telles que l’OSCE [l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe] et le Conseil Otan-Russie, plutôt qu’en négociant de nouveaux traités, comme la Russie l’a suggéré ».

La Russie « prend les devants »

Finalement, si Moscou supposait que ce que l’on appelle le Couloir Nord agirait comme route de transit pour les approvisionnements de l’OTAN pour l’Afghanistan et deviendrait un coup d’approche pour réinitialiser les liens russo-américains, il apparaît maintenant que les Etats-Unis utilisent cet itinéraire avec parcimonie et qu’ils préfèrent dépendre du transit par le Pakistan.

Il est évident que Washington veut maintenir la Russie hors de l’Hindou-Kouch et que les Américains continuent d’éconduire la demande russe pour des liens coopératifs entre l’OTAN et l’Organisation du Traité de Sécurité Collective.[1]

Lors de la conférence de Londres sur l’Afghanistan, le 28 janvier, la Russie a offert de réhabiliter plus de 140 projets économiques de l’ère soviétique, mais les Etats-Unis ont expédié cette proposition sans ménagements. En attendant, Moscou n’a pas beaucoup d’autre choix que d’accepter le plan de l’administration Obama de « réintégrer » les Talibans et de prétendre ne pas avoir remarqué le plan B – impliquant les services secrets britanniques, saoudien et pakistanais – pour réconcilier les dirigeants Taliban purs et durs avec le réseau de Djalaluddin Haqqani.

La dure réalité est que la promesse qu’Obama à faite à Moscou, d’une « relation plus positive et plus constructive, basée sur le respect et les intérêts mutuels », reste une promesse.

Moscou est confronté à ce que l’on ne peut qu’appeler un problème systémique, c’est-à-dire, comme l’a écrit récemment Fiodor Lukyanov, le rédacteur en chef de Russia in Global Affairs : « Développer des critères spécifiques pour ce qui constitue une politique gouvernementale pragmatique est compliqué, parce que le mot ‘pragmatique’ n’a jamais été clairement défini en termes politiques. »

Alors que les jours passent et que la campagne de l’administration Obama, visant à imposer des sanctions punitives contre l’Iran pour son programme nucléaire, arrive au Conseil de Sécurité des Nations-Unies, Moscou doit prendre une décision.

Dans ce cas, Jones pourrait bien avoir raison. Quatre jours avant de s’exprimer, Nikolai Petrushev, le chef du Conseil de Sécurité National de la Russie, a dit : « Les mesures qu’il [l’Iran] prend, y compris lorsqu’il a commencé à enrichir à 20% de l’uranium faiblement enrichi, soulève des doutes dans d’autres pays et ces doutes sont valides. Les méthodes politico-diplomatiques sont importantes pour trouver une solution. Mais il y a une limite à tout ». Le Ministre russe des Affaires Etrangères a depuis repris la remarque de Petrushev. Et mardi dernier, Obama a anticipé que le Kremlin « prendrait les devants », coopérant avec lui sur l’Iran.

Toutefois, rien n’est jamais aussi simple avec le Moyen-Orient. Le Ministre russe des Affaires Etrangères, Sergueï Lavrov, a accueilli à Moscou une délégation du Hamas conduite par son chef politique, Khaled Meshaal, juste avant l’arrivée de Netanyahou. Mais Netanyahou a soutenu, après les discussions de lundi au Kremlin, qu’il avait reçu l’assurance de Medvedev que Moscou repousserait la vente du système S-300 à l’Iran. « Sur cette question, la Russie prend en considération les nécessités de la stabilité régionale », a déclaré Netanyahou aux journalistes.

Le quotidien [israélien] Ha’aretz, citant des sources au ministère israélien des affaires étrangères, a rapporté que Moscou souhaitait lier la vente d’armes israéliennes à la Géorgie à la demande par Israël d’un gel du contrat S-300 avec l’Iran. Cependant, en ce qui concerne les sanctions contre l’Iran, Medvedev a seulement « entendu ma [Netanyahou] position sur la nécessité de sanctions avec les dents. Ils ne peuvent mordre que s’ils ont des dents. Les sanctions diluées ne marchent pas ». [2]

L’art de « motiver »

De même, à quel point la Russie peut-elle se permettre d’être pragmatique vis-à-vis de l’Iran, où ses intérêts ne sont pas sans substance ? Peut-être qu’un nouveau traité START, garantissant à la Russie sa dissuasion nucléaire et confirmant le lancement de la « réinitialisation » russo-américaine, fournira au Kremlin assez de raisons pour prouver le bien-fondé de sa crainte vis-à-vis du programme nucléaire iranien.

Par conséquent, peut-être que Netanyahou devrait alerter le lobby juif à Washington pour qu’il démarre le boulot en vue de « motiver » l’administration Obama afin de finaliser START et que la Russie puisse autoriser le vote d’un régime de sanctions punitives onusiennes qui pourrait dissuader l’Iran de défier Israël dans sa position de « manager régional » au Moyen-Orient.

Toutefois, que se passera-t-il si START est conclu et qu’un condominium stratégique se forme entre les Etats-Unis et la Russie, mais que Pékin rejette toujours une résolution pour des sanctions ? « Nous… allons passer par l’ONU ce mois-ci pour présenter les sanctions et obtenir la solidarité », est ce que Jones a dit. « Nous avons un soutien [international] considérable. Il nous faut travailler encore un peu la Chine […] sur cette question, is ne peuvent pas ne pas nous soutenir ».

Il est évident que la chaîne va bien au-delà des mains habiles de Netanyahou. Donc, malgré ses inquiétudes sur la santé de son mari, Clinton s’est envolée pour l’Arabie Saoudite, laquelle aide la Chine à constituer ses réserves stratégiques de pétrole. Mais le quotidien influent Al-Hayat a écrit vendredi dernier : « Il semble que Pékin est prêt à utiliser son veto pour rejeter toute décision anti-iranienne par le Conseil de Sécurité, étant donné que la Chine considère l’Iran comme un important partenaire commercial. »

D’un autre côté, la nappe de pétrole s’étend à des royaumes qui dépassent les mains adroites du Roi Abdallah – Google, le Dalaï Lama, Taiwan et le libre échange en matière de pièces détachées automobiles, de tuyaux d’acier, de coffrets cadeaux et de rubans. La chose pétillante à propos de l’affaire iranienne, qui est sinistre et abrutissante, semble qu’elle ne soit pas entièrement dans ce bazar.

L'ambassadeur M K Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière dans les services extérieurs indiens. Ses affectations incluent l'Union Sovétique, la Corée du Sud, le Sri Lanka, l'Allemagne, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie.

Copyright 2010 Asia Times Online Ltd / Traduction : JFG-QuestionsCritiques. All rights reserved.

Notes :
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[1] L’OTSC [Organisation du Traité de Sécurité Collective] est une organisation à vocation politico-militaire regroupant la Russie, la Biélorussie, l'Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan.

[2] La citation originale, en anglais disait: « … my position about the need for sanctions with teeth. They can bite only if they have teeth ». Netanyahou sous-entendait probablement « avec les dents qu’il faut pour mordre l’Iran là où ça fait mal… »

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