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diplomatie

Obama lâche une bombe sur le bouclier antimissile

Par M K Bhadrakumar
Asia Times Online, le 19 septembre 2009

article original : "Obama drops a missile bombshell"

Avec sa présidence de huit mois qui semble s’affaiblir, le Président des Etats-Unis Barack Obama a frappé. Un modèle familier dans sa carrière politique se répète. La décision qu’il a prise jeudi dernier d’abandonner les projets de son prédécesseur, George W. Bush, de construire un bouclier antimissile au cœur de l’Europe et donnant sur les frontières occidentales de la Russie, peut sembler justifiable, mais cela constitue néanmoins une inversion étonnante de la sécurité nationale.

Ce système de défense antimissile, financé avec l’argent que l’Amérique ne peut se permettre de gaspiller, devait être doté d’une technologie non-éprouvée et était conçu contre une menace qui n’existe probablement pas. Toutefois, la défense antimissile est une obsession des Républicains qui remonte à Ronald Reagan et à sa « Guerre des Etoiles ». Un Républicain ne doit ni flancher ni échouer et doit aller jusqu’au bout. Un Républicain combattra sur les mers et les océans, dans l’air, sur les plages et les terrains de débarquement, dans les champs et dans les rues, sur les collines, et ne se rendra pas. Un Républicain doit attaquer Obama pour avoir cédé au chantage de la Russie.

Obama a ouvert un autre front, au moment même où son projet pour la santé est sur le gril et où il a du mal en s’en sortir avec la guerre en Afghanistan. Le bouclier antimissile ne pouvait être développé qu’à un coût énorme et il peut utiliser ailleurs les économies réalisées. Ce projet était une pomme de discorde avec la Russie et Obama peut désormais remettre à l’ordre du jour les pourparlers avec Moscou sur la réduction des armes nucléaires. Et il peut même compter sur le Kremlin pour qu’il n’oppose pas son veto à une nouvelle série de sanctions contre l’Iran au Conseil de Sécurité des Nations-Unies.

Non seulement l’Europe Centrale, l’Ukraine et la Géorgie, mais également l’Iran, vont se recroqueviller dans une plus grande inquiétude et réfléchir aux implications de ce que Obama a fait. Sa décision repose sur l’argument que la menace posée par l’Iran est actuellement sous forme de missiles de courte et moyenne portées, qui seraient mieux contrés au moyen d’un système reconfiguré de missiles SM-3 plus petits, basés sur des technologies éprouvées et moins coûteuses, et qui peuvent être déployés dès 2011, en utilisant le système Aegis basé en mer.

Cette approche révisée prévoit qu’au fur et à mesure de l’évolution technologique il sera possible de répondre progressivement aux futures menaces, alors que les Etats-Unis ne rencontrent actuellement aucune menace plus immédiate que n’envisageait le programme précédent.

Fait révélateur, Obama a conclu en faisant une proposition à Moscou. « A présent que cette approche est en cohérence avec les efforts de défense antimissile de l’OTAN, elle offre également une occasion d’améliorer la collaboration internationale », a-t-il déclaré. Cette annonce arrive à peine une semaine avant la rencontre « privée » programmée avec son homologue russe, Dimitri Medvedev, et qui se tiendra à New York, en marge de la session de l’Assemblée Générale des Nations Unies.

De même, la veille de l’annonce d’Obama, le nouveau secrétaire général de l’Otan, Anders Fogh Rasmussen, a appelé à un « dialogue sans préjugés et sans précédent » avec la Russie en vue de réduire les tensions en matière de sécurité en Europe et pour faire face aux menaces communes. Il a dévoilé que des fonctionnaires de l’Otan se rendraient à Moscou pour écouter le point de vue du Kremlin sur la manière dont l’Otan devrait se développer au plan stratégique sur le long terme.

« Nous devons impliquer la Russie et écouter les positions russes », a-t-il dit. Il a souligné la nécessité d’une « conversation ouverte et franche [avec Moscou] qui crée une nouvelle atmosphère » pouvant conduire à un « véritable partenariat stratégique » dans lequel l’alliance et la Russie collaboreraient sur des questions comme l’Afghanistan, le terrorisme et la piraterie.

Rasmussen a conclu : « La Russie devrait réaliser que l’Otan est ici et que l’Otan est une structure pour nos relations transatlantiques. Mais nous devrions également tenir compte du fait que la Russie a des préoccupations légitimes en matière de sécurité. » Il a offert que l’Otan était prête à discuter de la proposition de Medvedev sur une nouvelle architecture de la sécurité en Europe. Rasmussen vient juste de se rendre à Washington.

Le Ministère russe des Affaires Etrangères n’a pas perdu de temps pour répondre à l’annonce d’Obama sur la défense antimissile. « Un tel développement serait en ligne avec les intérêts de nos relations avec les Etats-Unis », a déclaré un porte-parole. Il a ensuite réfuté les sous-entendus que la décision des Etats-Unis impliquerait une contrepartie. Il a dit qu’aucune sorte de marchandage avec les Etats-Unis n’était « en cohérence avec notre politique ou notre approche pour résoudre les problèmes avec quelque nation que ce soit, peu importe leur complexité ou leur sensibilité. »

Toutefois, le fait est que la décision d’Obama, tout en donnant un coup de fouet substantiel aux relations américaines avec la Russie, met aussi la pression sur le Kremlin. Le processus du « Groupe des Six »[1] sur le programme nucléaire iranien entrera dans une nouvelle phase le 1er octobre. La grande question est de savoir si, dans le pire des cas, Moscou mettra vraiment son veto à une résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU. Le moment critique arrivera juste une semaine après la rencontre Obama-Medvedev, lorsque le Sous-Secrétaire d’Etat américain en charge des Affaires Politiques, William Burns, rencontrera en face-à-face le négociateur nucléaire en chef de l’Iran, Saïd Djalili.

Il est vrai que la dernière présentation de la position russe qu’a faite Sergueï Lavrov, le ministre russe des affaires étrangères, il y a une semaine, était sans équivoque. Il a bien fait comprendre que Moscou ne bloquerait aucune nouvelle série de sanctions contre l’Iran et il a rejeté le calendrier des Etats-Unis en vue de garantir des progrès de la part des Iraniens, en ce qui concerne leur arrêt de leur programme d’enrichissement d’uranium.

Lavrov a déclaré : « Je ne pense pas que ces sanctions seront approuvées par le Conseil de Sécurité des Nations Unies… Ils [les Iraniens] ont besoin d’une place égale dans ce dialogue régional. L’Iran est un partenaire qui n’a jamais fait de mal à la Russie, de quelque manière que ce soit. » Lavrov a ajouté que même la mesure attendue, de la part des Etats-Unis, d’abandonner le projet de stationner un système de défense antimissile en Europe de l’Est, ne serait pas vu comme une concession faite à la Russie, car, selon lui, une telle mesure ne ferait que corriger une précédente erreur des Etats-Unis.

Mais aussi, en politique, une semaine, c’est long ! Quatre jours après que Lavrov s’est exprimé – et deux jours avant le discours d’Obama – Medvedev a déclaré : « Dans l’ensemble, les sanctions ne sont pas efficaces mais l’on doit parfois s’embarquer dans des sanctions et c’est la bonne chose à faire. » La main tendue à l’Ouest par la Russie a été immédiatement perçue comme un « changement subtil » de la position du Kremlin, là où les divergences russo-américaines sur l’Iran sont bien trop profondes et fondamentales pour être facilement éludées.

La décision d’Obama encouragera, dans un monde multipolaire, la réflexion au sein du Kremlin. En tant qu’expert de premier plan sur l’OTAN à l’Ecole Diplomatique du Ministère des Affaires Etrangères de la Russie, Vladimir Shtol a gentiment fait remarquer que toute redéfinition par les Etats-Unis du système de défense antimissile serait probablement le résultat de pressions économiques en lien avec la crise mondiale, et non pas un accord politique avec la Russie. « Je ne crois pas que les Etats-Unis feront complètement machine arrière sur le bouclier antimissile, parce que celui-ci est dans leurs intérêts à long terme et qu’il est étroitement lié à leur stratégie en Europe », a dit Shtol.

A Moscou, les réalistes remarqueront qu’au moment même où Obama s’exprimait à Washington, Dennis Blair, le patron des services secrets américains, publiait le dernier rapport de Stratégie des Renseignements Nationaux des Etats-Unis, qui est compilé tous les quatre ans. Ce rapport met en garde spécifiquement sur le fait que la Russie « pourrait continuer à rechercher des possibilités dans le but de réaffirmer sa puissance et son influence, ce qui compliquerait les intérêts des Etats-Unis. »

Mardi dernier, la Russie a signé des accords de défense avec les régions séparatistes de la Géorgie, l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud, permettant à Moscou d’y maintenir des bases militaires pendant les cinquante prochaines années. Le quartier général militaire de la Russie en Abkhazie sera installé dans le port de Goudaouta, sur la Mer Noire, assurant à Moscou de pouvoir contrecarrer les tentatives des Etats-Unis de transformer la Mer Noire en « lac de l’Otan »[2], même si le régime pro-américain à Kiev [Ukraine] force à la fermeture de Sébastopol.

Par conséquent, si l’on met tout cela en perspectives, Moscou pèsera minutieusement « l’ouverture » d’Obama. La bonne volonté des Etats-Unis d’abandonner l’expansion de l’Otan servira de mise à l’épreuve. L’intégration des pays d’Europe de l’Est dans les structures occidentales euro-atlantiques était contraire à l’interprétation qu’en avait faite l’ancien président russe, Mikhaïl Gorbatchev. Une fois encore, la Russie n’est pas l’Union Soviétique, mais les partisans de la Guerre Froide n’arrivent pas à le saisir. La conception à Moscou de la souveraineté nationale et des revendications d’intérêts spéciaux dans l’espace post-soviétique fait naître des sentiments négatifs à l’Ouest.

Moscou ne voit aucune raison de s’installer dans le rôle d’un simple partenaire, lorsque la Russie estime que les Etats-Unis sont une puissance en déclin et que centre de gravité de la politique mondiale se déplace vers l’Est. D’autre part, Washington poursuit une politique d’« engagement sélectif, isolement sélectif ». Sur l’Afghanistan ou l’Iran, Washington a besoin du soutien de la Russie. En même temps, le problème de l’espace post-soviétique reste aigu et la Russie se sent exclue des arrangements euro-atlantiques en cours en matière de sécurité, tandis que la « démilitarisation » des relations entre la Russie et l’Ouest reste insaisissable.

Pour Obama, la chose intelligente à faire, plutôt que cette décision sur la défense antimissile ne soit qu’une simple manœuvre assortie d’une contrepartie sur l’Iran, serait d’enchâsser sa décision à l’intérieur d’un format de travail de « réinitialisation » des liens avec la Russie. Moscou évaluera la décision d’Obama comme une simple étape pragmatique nécessitée par la crise économique que connaissent les Etats-Unis. En attendant, la Russie coopérera sur les toute nouvelles négociations START (Traité de Réduction des Armes Stratégiques) ou donnera un coup de main aux Etats-Unis en Afghanistan, ce qui est aussi dans ses intérêts.

M K Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière dans les services extérieurs indiens pendant plus de 29 ans. Ses affectations incluent l'Union Sovétique, la Corée du Sud, le Sri Lanka, l'Allemagne, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Ouzbékistan, le Koweït et la Turquie.

Copyright 2009 Asia Times Online Ltd / Traduction : JFG-QuestionsCritiques. All rights reserved.

Notes :
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[1] Les nations qui constituent le « Groupe des Six », appelé aussi E3 + 3 ou « Iran Six » en anglais, et qui sont chargées du processus de règlement sur le programme nucléaire iranien sont les membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU – les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine – plus l’Allemagne. L’Union Européenne est souvent associée à ses décisions.

[2] La Russie dispose d’une base navale à Sébastopol, en Crimée, qu’ils louent à l’Ukraine, et qui se trouvait en territoire soviétique avant l’éclatement de l’URSS. Les Ukrainiens ont menacé à plusieurs reprises de fermer cette base navale russe.
Lire à ce sujet : La Russie reste une puissance en Mer Noire, M.K. Bhadrakumar, AtoL, 29 août 2008