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La répugnante Maison des Saoud

Par Pepe Escobar
Asia Time Online, le 21 avril 2011

article original : "Fear and loathing in the House of Saud"


Au début de la semaine dernière, le président américain Barack Obama a envoyé une lettre au roi saoudien Abdallâh, délivrée en personne à Riyad par le conseiller à la sécurité nationale des Etats-Unis, Thomas Donilon. Ceci, moins d’une semaine après l’entretien de 90 minutes en tête-à-tête entre le roi et le chef du Pentagone, Robert Gates.

Ces deux manœuvres représentaient le sceau final d’approbation d’un accord passé entre Washington et Riyad, avant même le vote de la résolution 1973 par le conseil de sécurité de l’ONU[1]. En fait, l’administration Obama ne dira pas un mot sur la manière dont la Maison des Saoud conduit sa répression impitoyable des protestations pro-démocratiques au Bahreïn et dans tout le Golfe Persique. Pas d’opérations « humanitaires » ; pas de R2P (« Responsabilité de protéger ») ; pas de zone d’interdiction aérienne ou de circulation.

Les progressistes du monde en ont pris note : la contre-révolution américano-saoudienne contre la grande révolte arabe de 2011 est désormais officielle.


Ces « types plutôt influents »

Le clan, riche et agressif, qui se fait passer pour une monarchie absolue perpétuelle et qui s’appelle la Maison des Saoud, gagne sur tous les fronts.

Le « Jour de Colère » du mois dernier dans le royaume a été férocement contrecarré – en menaçant de (littéralement) couper les doigts des protestataires.

Avec le prix du brut qui atteint des niveaux stratosphériques et le refus des Saoudiens d’augmenter la production, il n’est pas compliqué pour Riyad de distribuer quelques milliards de dollars de son argent de poche pour apaiser ses sujets avec 60.000 emplois dans la « sécurité » et 500.000 appartements à faible loyer.

Le Roi Abdallâh a aussi « reçu récemment un message verbal » de l’émir du Bahreïn, le Cheikh Hamad bin al-Khalifa, sur les « questions bilatérales » fructueuses – comprendre : l’Arabie Saoudite qui réprime impitoyablement les protestations pro-démocratiques au Bahreïn en envahissant leur voisin et en y déployant ses conseillers en « sécurité ».

La réaction violente de la Maison des Saoud aux protestations pacifiques au Bahreïn ont peut-être été un message lancé à Washington – du genre « nous nous occupons du Golfe Persique ». Mais elle a par-dessus tout été dictée par une peur absolue que le Bahreïn devienne une monarchie constitutionnelle qui réduirait le roi à une simple personnalité de prestige, un exemple abominable pour les voisins saoudiens.

Pourtant, tout comme les réelles tensions entre Chiites iraniens et Chiites arabes peuvent persister, la réaction saoudienne finira par unir tous les Chiites et transformera l’Iran en unique sauveteur du Bahreïn.

Quant à la réaction de Washington, elle a été méprisable depuis le début. Quand les Sunnites irakiens ont oppressé la majorité chiite, le résultat fut que l’Irak a été écrasé jusqu’à la destruction par les néocons. Lorsque la même chose s’est produite au Bahreïn, les faucons libéraux [américains] ont laissé les Sunnites s’en tirer. Autant que la propagande affirmant le contraire est copieuse, Robert Gates savait dès le samedi que l’Arabie Saoudite envahirait le Bahreïn sur-le-champ (l’invasion a commencée le dimanche soir).

En fait, Washington se fiche pas mal que les choses tournent dans un sens ou dans l’autre. La semaine dernière, dans un restaurant de Chicago, le Président Obama a qualifié l’émir du Qatar, Hamad ben Khalifa, de « type plutôt influent ». Il a vanté ses mérites en tant que « grand promoteur de la démocratie qui la pousse dans tout le Moyen-Orient ». Mais Obama n’avait pas remarqué qu’un micro était ouvert et que CBS News écoutait ; il a alors ajouté, « il n’est pas lui-même vraiment réformateur. Il n’y a pas de grand changement vers la démocratie au Qatar. Mais vous savez que la raison est en partie que le revenu par tête d’habitant y est de 145.000 dollars par an. Cela amenuisera une bonne partie du conflit. »

Comprendre : peu importe que ces « types plutôt influents » dans le Golfe réforment ou non, tant qu’ils restent nos alliés !


La guerre de terreur saoudienne

Loin dans le passé, en 1965, au Bahreïn, l’opposition était accusée (par la presse coloniale britannique) de nationalisme arabe (le cauchemar de tous les colonialistes et aussi des desseins impériaux américains). A présent, elle est accusée (par les al-Khalifa et la Maison des Saoud) de sectarisme.

Comme on pouvait s’y attendre, la Maison des Saoud a terrorisé le mouvement démocratique de la majorité chiite au Bahreïn, par la peur, l’horreur et – qui plus est – le sectarisme, le pilier ultime de son idéologie wahhabite médiévale. Pour les Wahhabites intolérants, les Chiites sont aussi hérétiques que les Chrétiens. Les lieux sacrés chiites au Bahreïn sont démolis sous la supervision des troupes saoudiennes. Les Bahreïnis signalent au moyen de twitter que les Saoudiens utilisent des « tactiques israéliennes », en démolissant les mosquées « non-autorisées ».

Une fois encore, cela ne peut que conduire à la radicalisation totale de la division entre Sunnites et Chiites dans tout le monde arabe. Tous ceux qui ont suivi la tragédie irakienne provoquée par l’administration Bush se souviennent que lorsque al-Qaïda fit sauter le sanctuaire chiite d’al-Askari à Samarra, en 2006, ce fut le début d’une horrible guerre sectaire qui fit des dizaines de milliers de victimes et força des centaines de milliers de personnes à l’exil.

La Maison des Saoud (de même que les Etats-Unis et Israël) a soutenu Moubarak en Egypte jusqu’à la dernière minute. Ils savaient tous que si ce « pilier de stabilité » tombait, l’autre pilier (le saoudien) serait aussi en danger. Quoi qu’on en dise, les actions de la Maison des Saoud sont essentiellement dictées par la peur. Ces dernières années, elle a perdu son pouvoir au Liban, en Irak, en Palestine et maintenant en Egypte. Sa « politique étrangère » consiste à soutenir les régimes ultra-réactionnaires. Les peuples ? Qu’ils mangent des chiches-kebabs – si c’est ça. Leur dernier bastion de pouvoir est le Golfe – bourré de nains politiques, comme le Bahreïn ou le Koweït. Avec un petit effort, la Maison des Saoud pourrait tous les réduire à l’état de simples provinces.

Pas encore. Alors que la Maison des Saoud a développé sa stratégie contre-révolutionnaire, l’alliance israélo-saoudienne s’est métamorphosée en alliance entre l’Arabie Saoudite et le Qatar. Le Qatar pourrait être déstabilisé à travers le facteur tribal – les Saoudiens l’ont déjà tenté auparavant – mais ils ont désormais besoin d’un proche allié. Et cela, malheureusement, explique la couverture docile que la chaîne al-Jazeera, qui est basée au Qatar, a fait sur la répression au Bahreïn.

Il n’a fallut que quelques jours à la Maison des Saoud pour forcer le Conseil de coopération du Golfe (CCG) à suivre la nouvelle ligne dure : nous sommes les patrons ; il n’y a pas de place pour la démocratie dans le Golfe ; le sectarisme est la seule manière de fonctionner ; notre relation avec Israël est désormais stratégique ; et, l’Iran est responsable de tout. La « conspiration perse » est le thème clé qui est développé par la puissante propagande saoudienne, surtout au Bahreïn et au Koweït.

Il n’est pas surprenant que les faucons israéliens l’adorent. Il y a plein de rhétorique béate – ou carrément démente – dans la presse israélienne à propos d’une « alliance stratégique » entre Tel Aviv et Riyad, « similaire à celle entre l’Union Soviétique et les Etats-Unis contre les Nazis ».

Et devinez quoi ? C’est la faute d’Obama. Sans cette alliance stratégique, selon le récit israélien, l’ensemble du Golfe serait « victime d’un Iran nucléaire », et l’administration Obama ne lèvera pas le petit doigt pour sauver qui que ce soit. Obama est vilipendé comme quelqu’un qui « se contente d’affronter et d’abandonner ses alliés », tout en encourageant les « diaboliques » Syrie et Iran. C’est un véritable conte à dormir-debout !


Un trou dans les sables du désert, quoi qu’il arrive !

Essayant de comprendre les enjeux, le Wall Street Journal de Rupert Murdoch a tout mélangé, beuglant qu’il y a une nouvelle guerre froide entre l’Arabie Saoudite et l’Iran. C’est ce qui vous arrive lorsque vous recyclez les bobards des « officiels saoudiens ».

C’est la manipulation incendiaire du sectarisme par la Maison des Saoud qui met partout les Chiites en colère – pas seulement les Iraniens ; cela pourrait transformer la République Islamique en seul véritable défenseur de tous les Chiites contre le médiévalisme wahhabite.

C’est la contre-révolution de la Maison des Saoud contre la grande révolte arabe de 2011 – tolérée par les Etats-Unis – qui a fait voler en éclat la « crédibilité de l’Amérique en matière de démocratie et de réforme ».

Tout ceci, alors que « l’arrangement traditionnel en matière de sécurité » avec Washington ne fonctionne même plus. La Maison des Saoud ne stabilise pas les prix mondiaux du pétrole : en refusant d’augmenter sa production, elle laisse le baril atteindre très vite les 160 dollars. Et pendant ce temps, la Maison Blanche et le Pentagone continuent de protéger cette bande médiévale qui fut la première à reconnaître les Taliban au milieu des années 90, et dont les milliardaires financent les djihadistes dans le monde entier.

Les nains politiques du Golfe sont à présent en cours d’homogénéisation – et tenus en laisse – de force, par la Maison des Saoud. Ces rois et ces émirs du Golfe peuvent préserver leurs trônes dorés – pour l’instant. Mais il faut s’attendre à beaucoup de violence culturelle et religieuse à venir ; beaucoup de sales guerres tribales et sectaires, avec aucune évolution possible, ni aucun développement vers une société civile moderne. Il ne faut pas s’en étonner : la peur et la répugnance sont encastrées dans cette Maison réactionnaire – un axe de multiples maux en elle-même, qui ne mérite que d’être enterrée dans un trou dans les sables du désert.

(Copyright 2011 - Asia Times Online Ltd, traduction [JFG-QuestionsCritiques]. All rights reserved.)

Note :
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[1] Voir : Dévoilé : L’accord US-Arabie Saoudite sur le dos de la Libye, par Pepe Escobar, Asia Times Online, 1er avril 2011.


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