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Le Bahreïn détruit son propre peuple

Par Pepe Escobar
Asia Time Online, le 10 mai 2011

article original : "Bahrain topples its own people"


Le 14 mars 2011 restera dans l’histoire comme le jour tristement célèbre où la Maison des Saoud a lancé – avec le soutien total des Etats-Unis – une contre-révolution brutale pour écraser le chapitre du Golfe de la grande révolte arabe de 2011.

C’est le jour où les troupes saoudiennes – avec une poignée symbolique de soldats des Emirats Arabes Unis (E.A.U.) – envahirent le Bahreïn, en théorie à la demande de la dynastie sunnite au pouvoir, les al-Khalifa, pour « aider » à réprimer les protestations pro-démocratie généralisées.

Ce qui circule à Riyad est que de toute façon le Roi Abdallâh d’Arabie Saoudite ne gére pas la (détestable) Maison des Saoud ces temps-ci. A présent, cette opération est essentiellement celle du Prince Nayef. Le sinistre Nayef, âgé de 77 ans et demi-frère d’Abdallâh, est le second Vice-premier ministre d’Arabie Saoudite – nonobstant le fait qu’il a été ministre de l’intérieur pendant pas moins de 36 ans. Le premier Vice-premier ministre – et successeur désigné au trône – est le Prince royal Sultan, un octogénaire qui a été ministre de la défense pendant 48 ans.

Si Sultan venait à mourir et qu’Abdallâh le suivait dans la foulée – une réelle possibilité – Nayef, l’inquisiteur en chef dont le brillant curriculum vitae consiste surtout à expédier tout dissident pourrir en prison, à censurer la presse et à considérer les droits des femmes et de la minorité chiite comme inexistants, serait le prochain roi saoudien. Ceci, simplement pour montrer que la contre-révolution de la Maison des Saoud n’a même pas encore commencé.


Défoncez-leur le crâne, personne ne regarde !

Pendant ce temps, au Bahreïn, l’agence de presse d’Etat BNA a annoncé : « L’état de sécurité nationale sera levé dans tout le royaume du Bahreïn à partir du 1er juin 2011 ». C’est un décret du Roi Hamad al-Khalifa, qui s’avère être, malgré lui, un admirateur de l’auteur anglais George Orwell, puisqu’il caractérise un état d’urgence comme « un état de sécurité nationale ».

Dans ce cas précis, « sécurité nationale » inclut l’Etat qui rase – avec la pleine contribution saoudienne – plus 20 mosquées chiites, démolit des maisons, a démoli le rond-point Pearl, le symbole des protestations de masse, et passe à tabac et emprisonne des centaines de manifestants. Le meilleur ami de Nayef à Manama doit être le Premier ministre bahreïni Cheikh Khalifa ibn Salman al-Khalifa, 75 ans, qui a tenu ce confortable poste pendant pas moins de 40 ans – un record mondial.

En pratique, ce qui se passe au Bahreïn est une monarchie qui essaye de se débarrasser de son propre peuple. Les tactiques sortent directement du manuel de la punition collective – telle qu’appliquée par les Américains à Fallujah en 2004 et par les Israéliens à Gaza ces dernières décennies. Il se trouve que l’opposition aux al-Khalifa est l’absolue majorité de la population bahreïnie – et pas exclusivement chiite, comme le prétend le gouvernement dans sa propagande.

Pas moins de 24 docteurs et 23 infirmières bahreïnis devront comparaître devant un tribunal militaire – sur l’accusation de complot pour renverser le régime par la force. Ce qu’ils ont réellement fait était de soigner des manifestants qui avaient été rués de coups par la police et par l’armée. Selon l’association « Médecins pour les Droits de l’Homme », qui détient la preuve que la police et l’armée se sont comportés comme des bêtes sauvages, ces docteurs et ces infirmières ne sont pas subversifs.

Le silence assourdissant des grands médias occidentaux suffit à démontrer la complicité de Washington et des capitales européennes avec le sale boulot effectué par la Maison des Saoud et les al-Khalifa. On peut imaginer la fureur si cela se produisait en Syrie : une résolution autorisant à un changement de régime arriverait plus vite qu’un Nespresso.

Human Rights Watch (HRW) a au moins eu la décence de publier un rapport, dans lequel, toutefois, son directeur-adjoint chargé du Moyen-Orient, Joe Stork, a un peu trop diplomatiquement souligné l’évidence : « les objectifs de ces mesures brutales généralisées semblent être de réduire tout le monde au silence ».


Apportez le gaz lacrymogène !

Le dimanche 1er mai, le jour de la frappe contre ben Laden, Matar Ibrahim Ali Matar – l’un des 18 membres du parti al-Wefaq, qui ont démissionné du parlement en signe de protestation – a été kidnappé par des hommes masqués après avoir reçu un appel pour une réunion bidon. Un porte-parole du gouvernement a déclaré plus tard qu’il « a été convoqué pour une enquête ». La même chose est arrivée le même jour à un autre ancien député Wefaq, Jawaz Fairuz, qui a vu sa maison cernée par 30 hommes masqués.

21 autres membres de l’opposition ont également été déférés devant des cours spéciales (un procureur militaire, un juge militaire et deux juges civils), dont le dissident chiite Hassan Muchaimaa, le chef du groupe d’opposition Haq qui a appelé au renversement de la monarchie, et Ibrahim Charif , le leader sunnite du groupe laïc Waad, qui a réclamé une monarchie constitutionnelle.

L’accusation : « tentative de renverser le gouvernement par la force et en liaison avec une organisation terroriste travaillant pour un pays étranger » - c’est à dire : l’Iran. Sept autres personnes sont renvoyées devant la justice en leur absence. Les activistes des droits de l’homme soulignent qu’ils risquent tous la peine de mort.

Ensuite, il y a le nouveau sport de la Maison des Saoud et des al-Khalifa : « Démolissez la mosquée ! » Au moins 27 mosquées et un grand nombre de bâtiments religieux ont été détruits – dont la mosquée Amir Mohammed Braighi, vieille de 400 ans. Le ministre de la Justice et des Affaires Islamiques, le Cheikh Khaled ben Ali ben Abdallâh al-Khalifa, a soutenu : « Ce ne sont pas des mosquées. Ce sont des constructions illégales. »

C’est la cerise sur le gâteau des al-Khalifa, après avoir détruit dans sa quasi-totalité le système de santé (géré essentiellement par des Chiites), licencié des milliers de fonctionnaires chiites et annulé leurs pensions, emprisonné des quantités d’étudiants et de professeurs qui ont participé aux manifestations, battu et arrêté des journaliste, et fermé l’unique journal d’opposition.

Dans l’accord passé entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite, le Bahreïn – et par extension la Maison des Saoud – peut se permettre tout ce qu’il veut, puisque que les al-Khalifa sont félicités pour abriter la Cinquième Flotte des Etats-Unis. Aucune sanction onusienne ou même de remontrance, aucune zone d’exclusion aérienne approuvée par une résolution de l’ONU, pas d’armement des « rebelles », pas de bombardement par l’OTAN, pas de désir brûlant de changement de régime comme en Libye, pas de diplomatie du Tomahawk, et, bien sûr, pas d’assassinats ciblés.

Pour le moment, tout du moins, les assez gros investissements anglo-américains au Bahreïn sont « protégés » ; quant aux marchands de mort britanniques qui vendent des grenades, des explosifs de démolition, des bombes fumigènes et des thunderflashes, à la machine de répression des al-Khalifa, leurs affaires ne peuvent que prospérer.

(Copyright 2011 - Asia Times Online Ltd, traduction [JFG-QuestionsCritiques]. All rights reserved.)


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