Dans la lutte contre Daech, la Russie ne fera pas de quartier
Par Pepe Escobar
article original : "In the Fight Against ISIS, Russia Ain't Taking No Prisoners"
Asia Times Online, le 20 novembre 2015
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Le soi-disant Etat Islamique devrait avoir désormais compris qu'il a choisi le mauvais client pour chercher la bagarre. Celui-ci ne fera « pas de quartier ». Pour la Russie, tous les coups sont maintenant permis.
Surtout depuis que la publication en ligne terroriste Dabiq a publié une photo de la bombe qui aurait descendu le Metrojet : un dispositif rudimentaire placé à l'intérieur d'une canette de Schweppes, elle-même placée sous le siège d'un passager. Des photos des passeports de victimes russes ont également été publiées, lesquelles auraient été prises « par les moudjahidin ».
Leur sort collectif a été scellé à la minute même où, le 31 octobre, le Directeur du FSB (les services de sécurité russes), Aleksandr Bornikov, a dit au Président Poutine, à propos du crash du Metrojet en Egypte : « Nous pouvons dire avec certitude qu'il s'agit d'un acte terroriste ».
Les cinglés du Califat peuvent toujours se sauver — dans les déserts de « Syrak » ou au-delà — mais ils ne peuvent pas se cacher. Telle est la teneur du message présidentiel russe : « Nous les chercherons partout - où qu'ils se cachent. Nous les trouverons n'importe où sur la planète et nous les punirons. » Ce message est assorti d'un appât supplémentaire : la récompense de 50 millions de dollars offerte par le FSB pour toute information conduisant aux auteurs de cette tragédie dans le Sinaï.
Le message de Poutine s'est immédiatement transformé en plomb, sous la forme de pilonnages massifs contre 140 cibles du Califat, pilonnages délivrés par 24 missiles de croisières air-sol d'avant-garde et un déchaînement des bombardiers stratégiques de l'ours russe, des Tu-160, Tu-22 et Tu-95. C'est la première fois, depuis le djihad afghan des années 1980, que la force russe constituée de bombardiers stratégiques à long rayon d'action est déployée.
Et d'autres surprises sont à venir - le déploiement supplémentaire de 25 bombardiers stratégiques, huit avions d'assaut Su-34 « Fullback » et quatre chasseurs Su-27 « Flanker », qui seront stationnés en Syrie.L'énigme des camions-citernes
Lors du G20 à Antalya, Poutine avait déjà dévoilé de façon spectaculaire qui contribue au financement de Daech - exemples à l'appui « basés sur nos données sur le financement de différentes unités [de Daech] par des personnes privées ».
Le choc : les liquidités de Daech, « ainsi que nous l'avons établi, proviennent de 40 pays, et il y en a quelques-uns parmi les membres du G20. » Il n'y a pas besoin d'avoir fait polytechnique pour imaginer quels sont ces membres. Ils feraient mieux de prendre au sérieux le message « vous pouvez vous sauver mais pas vous cacher ».
En outre, Poutine a démystifié - images à l'appui - devant l'ensemble du G20 le mythe selon lequel Washington serait sérieusement engagé dans la lutte contre Daech : « J'ai montré à nos collègues des photos prises depuis l'espace et nos avions qui montrent clairement l'ampleur de ce trafic illégal de pétrole ». Il se référait à la flotte de camions-citernes utilisés par Daech pour la contrebande de pétrole, une flotte qui s'élève à plus de 1000 véhicules. Apparemment, donnant suite aux renseignements fournis par les satellites russes, le Pentagone a miraculeusement réussi à trouver des convois de camions-citernes s'étirant « au-delà de l'horizon », faisant la contrebande du pétrole syrien volé. Et le Pentagone a dûment bombardé 116 camions. Pour la première fois. Et cela, alors que ça fait plus d'un an que la « Coalition des Douteux Opportunistes » (CDO) combat théoriquement Daech. Le seul bombardement de ce type qui a eu lieu auparavant l'a été par les forces aériennes irakiennes.
La « stratégie » des Etats-Unis, poussée récemment à la vitesse supérieure par Obama, consiste à bombarder les infrastructures pétrolières syriennes (vieillissantes), actuellement expropriées et exploitées par Daech. En principe, elles sont la propriété de Damas et appartiennent donc au « peuple syrien ».
Et pourtant, Washington a semblé jusqu'à présent être plus focalisé sur l'autre « peuple » qui pourrait se remplir les poches pour reconstruire ces infrastructures dévastées, un désastre tout capitaliste, au cas où « Assad doit partir » marcherait.
Une fois encore, la Russie est allée droit au but. Bombarder le réseau de transport - les convois de camions-citernes - pas les infrastructures. Cela finira par mettre sur la paille les contrebandiers de pétrole.
La raison essentielle pour laquelle l'administration Obama n'y a pas pensé avant est la Turquie. Washington a besoin d'Ankara, membre de l'OTAN, pour utiliser la base aérienne d'Incirlik. Et puis, il y a ce sujet sensible : qui profite de cette contrebande de pétrole ?
Gursel Tekin, membre du parti socialiste turc, a établi que le pétrole de contrebande de Daech est exporté vers la Turquie par BMZ, une compagnie maritime contrôlée par nul autre que Bilal Erdogan, le fils du « Sultan » Erdogan. Cela viole, au minimum, la résolution 2170 du conseil de sécurité de l'ONU. A la lumière du message de Poutine, selon lequel il s'en prendra à tous ceux ou à toutes entités engagées dans la facilitation des opérations de Daech, le clan d'Erdogan ferait bien de produire des excuses vraiment valables.Le camp d'entraînement pour les nouvelles recrues djihadistes
La promesse de Poutine de s'en prendre à tous ceux ou à toutes les entités qui aident et/ou collaborent avec Daech devrait logiquement impliquer de revenir sur « Choc et Terreur 2003 » : le bombardement, l'invasion et l'occupation de l'Irak qui créèrent les conditions de l'établissement d'al-Qaïda en Irak, « dirigé » jusqu'en 2006 par Abou Moussab al-Zarqawi.
>Pepe Escobar
L'étape suivante lourde de sens fut Camp Bucca, près de Umm Qasr, dans le sud de l'Irak : un mini Guantanamo où au moins neuf membres de la future métastase d'al-Qaïda - l'Etat Islamique (EI) - l'ont engendré.
L'EI/EIIL/Daech est né dans une prison américaine. Abou Bakr al-Baghdadi, alias le Calife Ibrahim, y a passé du temps, de même que l'ancien numéro 2 de Daech, Abou Muslim al-Turkmani, et, surtout, le concepteur de Daech : Haji Bakr, un ancien colonel de l'armée de l'air de Saddam Hussein.
Le salafiste-djihadiste pur et dur rencontre d'anciens notables baasistes et trouve un objectif commun ; une offre que le Pentagone ne pouvait pas refuser et a laissé en réalité - délibérément - prospérer. Après tout, la GMCT (la Guerre mondiale contre la terreur) est une « guerre sans fin » concoctée par [Dick] Cheney et [Ronald] Rumsfeld.
L'obsession des néocons américains pour les changements de régimes a fini par renforcer la portée de Daech en Syrie.
Tout ce processus expose les multiples ramifications de la folie impériale, passée et future, que l'on peut comparer aux éclats d'une bombe-suicide ; des moudjahidin noyés dans le wahhabisme, entraînés et armés par la CIA (les « combattants de la liberté de Reagan »), se métastasant en « al-CIAïda », jusqu'à Hillary Clinton admettant que l'Arabie Saoudite est une source de premier plan du financement terroriste.
Paris 2015 - de mème que Sinaï 2015 - est essentiellement un effet secondaire de Bagdad 2002. Poutine le sait. Pour l'instant, la tâche consiste à briser, une bonne fois pour toute, ces rejetons impérialistes bâtards.
Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
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