La guerre du Sultan Erdogan contre... la Russie
Par Pepe Escobar
article original : "Sultan's Erdogan War on... Russia"
Sputnik News, le 26 novembre 2015
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Allons droit au but ! L'idée selon laquelle la Turquie aurait fait abattre un Su-24 russe par un F-16 de fabrication américaine sans obtenir le feu-vert de Washington, ni, au minimum, son « soutien » préalable, est une invitation à prendre des vessies pour des lanternes.
La Turquie est un simple Etat vassal, le bras oriental de l'Otan, elle-même le bras européen du Pentagone. Ce dernier a déjà diffusé un démenti - lequel, si l'on prend en considération son spectaculaire passé d'erreurs stratégiques, ne peut être pris pour argent comptant. Il est parfaitement plausible qu'il s'agisse d'un coup de force des généraux néoconservateurs qui dirigent le Pentagone, lesquels sont alliés à l'administration Obama, elle-même infestée de néocons.
Or donc, le scénario privilégié est celui d'une Turquie vassale, dirigée par le Sultan Erdogan, prenant le risque d'effectuer une mission suicide motivée par sa propre désespérance actuelle.
Voyons, en deux mots, quel est le raisonnement tordu d'Erdogan :
La tragédie parisienne a été [pour lui] un énorme revers. La France a commencé à discuter d'une collaboration militaire étroite, non pas au sein de l'Otan, mais avec la Russie. L'objectif non-déclaré de Washington a toujours été que l'Otan entre en Syrie. En faisant en sorte que la Turquie, membre de l'Otan, attaque la Russie (de façon grossière, à l'intérieur du territoire syrien), provoquant ainsi une riposte russe sévère, Erdogan pensait qu'il pouvait entraîner l'Otan en Syrie, au prétexte de défendre la Turquie (Article 5).
Même s'il se peut que ce scénario soit aussi dangereux que la Baie des cochons, ça n'a rien à voir avec la Troisième Guerre mondiale - comme les colporteurs apocalyptiques peuvent toujours le beugler. La question est de savoir si un Etat qui soutient, finance et arme la nébuleuse salafiste-djihadiste est autorisé à détruire les bombardiers russes qui transforment en cendres ses juteux actifs.Mariés à la Mafia (d'Erdogan)
Le Président Poutine l'a dénoncé : c'est « un coup de poignard dans le dos ». Parce que tout indique une embuscade : les F-16 pourraient vraiment avoir attendu les Su-24. Avec des caméras turques de télévision sur place pour un impact mondial maximum.
Deux Su-24 s'apprêtaient à frapper une bande de « rebelles modérés ». Ankara dit qu'ils étaient turkmènes (que les Turcs arment et financent). Mais, il n'y a qu'une petite bande de Turkmènes au nord de la Syrie...
Les Su-24 cherchaient en fait à déloger des Tchétchènes et des Ouzbeks - plus quelques Ouïgours - passés clandestinement en Syrie avec des faux passeports turcs (les services secrets chinois s'y intéressent aussi), tous opérant en tandem avec une vilaine bande d'islamofascistes turcs. La plupart de ces cinglés font des allers-retours incessants entre l'Armée Syrienne Libre (ASL) et le Front al-Nosra, deux groupes armés par la CIA. C'était eux, les cinglés qui ont mitraillé les pilotes russes, alors qu'ils descendaient en parachute après la frappe sur leur Su-24.
Les Su-24 ne présentaient absolument aucune menace pour la Turquie. La lettre adressée au Conseil de sécurité par l'Ambassadeur turc auprès des Nations unies, Halit Cevik, est une galéjade : deux avions russes « ont été avertis à 10 reprises en 10 minutes » qu'ils devaient changer de direction, alors qu'ils volaient « à plus d'un 1km et demi » à l'intérieur de la Turquie, pendant 17 secondes interminables. Toute cette affaire a déjà été amplement tournée en ridicule. Sans mentionner le fait que les avions turcs - et de l'Otan - « violent » la frontière syrienne tout le temps.
Erdogan sait très bien à quel point les néocons étasuniens étaient livides après que l'appel de François Hollande « à la guerre » a été poursuivi par sa volonté de travailler avec la Russie contre Daech/EI/EIIL.
La véritable cible n'était donc pas ce Su-24, mais la possibilité en cours d'élaboration, après les attaques de Paris, d'une véritable coalition - les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France, d'un côté, et le « 4+1 » (la Russie, la Syrie, l'Iran, l'Irak, plus le Hezbollah), de l'autre - faisant finalement converger leurs intérêts dans une lutte unifiée contre Daech.
Qu'en serait-il advenu d'Ankara qui, pendant des années, a lourdement investi dans la nébuleuse salafiste-djihadiste, depuis le Front al-Nosra jusqu'à Ahrar al-Sham et une myriade d'autres bandes, culminant avec l'aide et la complicité apportées à Daech, et même son financement ?
La Turquie, pour toutes sortes d'objectifs pratiques, a été un centre logistique et d'infrastructure salafiste-djihadiste, commode et tentaculaire ; elle offre tout, ses frontières poreuses permettent à d'innombrables djihadistes de rentrer en Europe depuis la Syrie, tickets de retour facilités par une police corrompue, et elle est un carrefour bien pratique pour toutes sortes de contrebandes et de grosses opérations de blanchiment d'argent.
Avec un simple missile, Ankara pensait donc pouvoir changer entièrement le fil de l'histoire.
Le Sultan peut toujours se brosser ! Il suffit de suivre l'argent à la trace. Même aux Etats-Unis et en Europe, le manège turc devient de plus en plus transparent. Une étude de l'Université de Columbia expose en détail au moins une fraction des multiples exemples de collusion entre la Turquie et Daech.
Bilal Erdogan, le fils du Sultan, est un profiteur majeur du commerce illégal de pétrole syrien et irakien volé. Imaginez sa terreur après que Poutine a révélé aux dirigeants du G-20 à Antalya - en territoire turc ! - comment les services secrets russes ont identifié la plus grande partie de ce dédale de liens mafieux pointant directement dans la direction de l'Etat Islamique/Daech.
Imaginez ce que peuvent ressentir les dealers turco-mafieux à la perspective de perdre leur part du gâteau avec l'impossibilité d'acheter le pétrole syrien volé au rythme de 50 millions de dollars par mois. Après tout, les forces aériennes russes ont déjà détruit des dépôts de pétrole, des raffineries et, par-dessus tout, plus de 1.000 camions-citernes - et ce n'est pas fini ; imaginez leur perspective de perdre tout ce flot de pétrole, ce flot d'argent, la Contrebande S.A. éparpillée dans le désert avec aucun endroit où aller.Et, nous faisons EGALEMENT dans l'extorsion
Le commandement de l'Otan peut bien se livrer à un spectacle comique - regardez juste le plus gros succès du Dr Strangelove/Folamour, cette mimique du général Philip Breedlove avec son « agression russe ». Mais les généraux ne sont pas fous. L'Otan ne partira pas en guerre contre la Russie pour le compte d'un simple vassal. Et la Russie ne fournira aucun prétexte à l'Otan pour la guerre.
>Pepe Escobar
Dans l'arène politique des grandes puissances, nous assistons certainement à un retour post-moderne de la tension historique entre les empires russe et ottoman. Mais cela se jouera dans le temps, lentement. La riposte russe directe sera froide, calculée, étendue, rapide - et surtout inattendue. L'absence de riposte impliquerait une carte blanche pour armer indéfiniment les « rebelles modérés » en Syrie.
Ce qui est certain est que la Russie va accroître ses bombardements de tous les corridors d'approvisionnement de Daech, de la Turquie au nord de la Syrie, ainsi que les routes de contrebande du pétrole syrien volé, qui mènent de la Syrie à la Turquie.
La Russie peut jouer avec tant d'options pour accroître la pression. Par exemple, ses systèmes de défense anti-aériens S-300 et S-400 couvrant la frontière turco-syrienne. Cela ferait partie d'une zone d'exclusion de l'espace syrien, tenue par les Russes et approuvée par Damas, pour tout avion osant s'y aventurer sans la permission explicite du gouvernement [syrien]. Le Sultan n'oserait pas « violer » cet espace aérien.
La tactique désespérée d'Erdogan révèle que la dernière chose que veut Ankara est un processus de paix en Syrie sous l'égide de Vienne. « Assad doit partir » n'est pas négociable - pour tout un tas de raisons, géopolitique (le néo-ottomanisme), politique (le besoin d'avoir un satrape syrien, docile et dominé par les Sunnites), et économique (le gazoduc proposé par le Qatar qui traverserait la Syrie et toute la Turquie).
Et, toute cette affaire va devenir encore plus brûlante. Non seulement un dédale mafieux turc aide, encourage et profite généreusement de faire des affaires avec Daech et autres représentants de la Djihad S.A. ; Ankara fait elle-même dans l'extorsion. Et la « victime » volontaire est - qui d'autre ? - l'Europe.
La Chancelière allemande Angela Merkel se devait de se rendre à Ankara pour baiser les pieds du Sultan afin de pouvoir « sauver » sa politique à propos des réfugiés. Erdogan est arrivé avec la proposition légendaire que l'on ne peut refuser. Vous voulez que je retienne les réfugiés ici ? Donnez-moi juste 3 milliards d'euros. Débloquez le dossier d'accession de la Turquie à l'UE (devinez quelle nation est en première ligne contre ça : la France). Et laissez-moi avoir ma « zone de sécurité » à la frontière turco-syrienne.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, l'Europe a cédé. La Commission européenne vient juste de donner à Erdogan ces 3 milliards d'euros. Il commencera à percevoir l'argent le 1er janvier 2016. Le baratin officiel est que ces fonds participent aux « efforts pour résoudre la crise des migrants ». Le Premier vice-président de la Commission, Frans Timmermans, à formulé en termes enthousiastes ce soi-disant « plan d'action commun » pour les réfugiés, comme étant « la fourniture d'un soutien pour améliorer la vie quotidienne et les conditions socio-économiques des Syriens cherchant refuge en Turquie ».
N'attendez pas que la Commission européenne contrôle la façon dont cet argent disparaîtra dans ce dédale mafieux (ou comment il sera utilisé pour continuer d'armer les « rebelles modérés »).
Erdogan se fiche bien des réfugiés ! Ce qu'il veut est sa « zone de sécurité », non pas en Turquie mais sur 35km dans le nord de la Syrie, interdisant l'accès à l'Armée arabe syrienne (AAS), aux milices sous commandement iranien, aux forces du Hezbollah et, surtout, aux forces aériennes russes. Il veut sa zone d'exclusion d'espace aérien et il veut que l'Otan l'obtienne pour lui.
Erdogan est en mission pour Allah - du moins, SA version d'Allah. Le Su-24 abattu n'est que le hors d'oeuvre. Attachez vos ceintures ! Parce que 2016 promet d'autres surprises encore plus fracassantes.
Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
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