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Proche-Orient

Le gouvernement syrien se lance dans les réformes

Par Sami Moubayed
Asia Times Online, le 22 avril 2011

article original : "Syria's government rushes in reforms"

Ces derniers jours ont été historiques pour la Syrie. Mardi, le nouveau gouvernement du Premier ministre Adel Safar — lors de son premier conseil — a arrêté un premier volet de réformes politiques que la rue syrienne exigeait depuis mars dernier, lorsque les manifestations se sont répandues dans tout le pays. Ces réformes avaient été promises par le Président Bachar el-Assad, lequel s'est adressé au gouvernement, le 16 avril, dans un discours télévisé.

Le nouveau gouvernement a levé l'état d'urgence qui avait été mis en place depuis l'arrivée des Baasistes au pouvoir, en 1963. Les lois d'urgence, imposées à une époque de coups d'état et de contre-coups d'état qui ébranlèrent la Syrie, ont été en vigueur pendant 48 ans. Abroger ces lois signifie que les fonctionnaires de la sécurité ne peuvent plus arrêter, détenir ou interroger des citoyens sans un mandat judiciaire établi en bonne et due forme. Toute personne citée à comparaître aura droit à un procès équitable et public en présence d'un avocat.

Le nouveau gouvernement a également révoqué le tribunal spécial de sécurité nationale, qui avait été établi en 1968. Ce tribunal controversé était chargé d'instruire toutes les affaires qui lui étaient soumises, en vertu les lois d'urgence, par le gouverneur militaire, connu en arabe sous le vocable de « al-Hakem al-Urfic », lequel était, dans ce cas, le ministre de l'intérieur. Toutes les affaires actuellement enregistrées auprès du tribunal désormais dissous seront immédiatement renvoyées devant les tribunaux civils pour un procès juste. Une précédente décision de remplacer les lois d'urgence par une loi antiterroriste, similaire au Patriot Act, a été annulée.

Il n'y aura ni lois d'urgence, ni lois antiterroristes en Syrie – ce qui fera certainement plaisir aux Syriens ordinaires.

De plus, le nouveau gouvernement a voté une loi permettant et régulant les manifestations pacifiques en Syrie. Bien que le droit de manifester soit un droit constitutionnel, les manifestations ont été interdites pendant des décennies à cause des lois d'urgence mentionnées plus haut. Tous ceux qui souhaitent aujourd'hui organiser une manifestation doivent demander un permis auprès de la police. Ils l'obtiendront sous réserve de spécifier une heure pour la démonstration, de même qu'un lieu, une durée et la garantie qu'ils ne recourront pas à la violence. Les manifestants auront également droit à la protection de la police pendant le temps où ils seront sur la voie publique.

Enfin, le gouvernement met la touche finale à une nouvelle loi sur les partis, qui doit être promulguée d'ici la fin avril et qui autorisera la création de partis avec des programmes différents de ceux du parti Baas au pouvoir. Les nouveaux partis auront le droit de créer des alliances, d'organiser des rassemblements, de participer à des conférences, de publier des revues politiques et de recruter des membres, à la fois dans le pays et dans la diaspora.

Ils ne pourront pas promouvoir leurs opinions dans les mosquées ou dans les églises et ils n'auront pas le droit d'accepter des juges, des policiers et des fonctionnaires de la sécurité dans leurs rangs. En outre, pour garantir la neutralité des services publics, ils ne pourront pas utiliser les agences gouvernementales pour promouvoir leurs idées dans la société — bien que le parti Baas ait bénéficié de ce privilège pendant près de 50 ans. Enfin, il y a une décision ferme dans les plus hauts échelons du pouvoir à Damas pour qu'aucun parti avec un agenda religieux ou ethnique ne soit toléré ou agréé. Tous ceux qui souhaitent établir un parti politique devront être citoyens syriens et âgés d'au moins 35 ans, avec un casier judiciaire vierge.

Il n'y a aucune spécification sur le niveau d'éducation nécessaire pour fonder un parti, mais il ou elle devra obtenir la signature d'au moins 20 membres fondateurs (âgés d'au moins 25 ans) qui représenteront « au moins » 10 gouvernorats syriens. Les membres fondateurs ne pourront pas détenir la double-nationalité et ils ne pourront pas accepter de financement de l'extérieur de la Syrie, même pas de la part de Syriens expatriés. Ils devront s'appuyer sur les cotisations et les donations de la part de Syriens vivant en Syrie. Une fois que tout cela sera mis en place, le quota établi du parti Baas, à la fois au gouvernement et au parlement, devra prendre fin, alors que les nouveaux partis auront le droit de contrôler la chambre et le gouvernement dans les années à venir.

Toutes ces réformes démocratiques stratégiques créeront certainement une Syrie qui sera très différente de celle qui a prévalu pendant 48 ans. Elles vont de pair avec une série d'autres changements qui ont balayé la société ces deux dernières semaines. Les gouverneurs impopulaires de Homs (dans le centre du pays) et de Daraa (dans le Sud) ont été limogés, de même que le chef de la sécurité de Banyas, sur la côte syrienne.

Le gouvernement impopulaire de l'ancien Premier ministre Naji al-Otari a été remplacé par une administration qui arbore de nouveaux visages, lesquels vantent des années d'expérience dans leurs domaines respectifs. Le nouveau ministre de l'industrie, par exemple, est un ancien dirigeant industriel à Damas, tandis que le nouveau ministre de la santé est l'ancien président du syndicat des médecins. La nouvelle ministre du logement, Hala al-Nasser, est une quadragénaire qui se consacre à sa vie professionnelle et qui a été la première femme dans le pays à diriger le syndicat des ingénieurs. Le nouveau ministre de l'information, Adnan al-Mahmoud, est un journaliste de carrière et expert en médias qui a servi auparavant comme directeur de la SANA (l'agence de presse arabe syrienne). Pour faire preuve de transparence, Adnan al-Mahmoud a donné une conférence de presse après le conseil des ministres de mardi, expliquant à la presse ce qui avait été décidé lors de la première réunion du cabinet Safar.

Lorsqu'il s'est adressé au nouveau gouvernement, le 16 avril, Assad a dit que lorsque ces nouvelles réformes entreront en vigueur, il n'y aura plus besoin de manifester car les exigences de la rue syrienne auront été satisfaites. Les médias rapportent que jusqu'à 200 personnes ont été tuées à ce jour dans les manifestations. Autre exemple : les salaires ont déjà été augmentés de 30%.

Il est prévu que les nouvelles réformes politiques se matérialiseront avant les élections législatives et municipales de l'été prochain et, lorsque ce sera fait, cela remettra en question et fera tomber l'Article 8 de la constitution syrienne, qui déclare que le parti Baas est le « chef de l'Etat et de la société ». Si cela se produit, ce sera une bénédiction déguisée pour les Baasistes, qui comptent actuellement 1,2 million de membres sur une population de 21 millions.

La majorité de ces membres ont rejoint le parti pour des raisons de mobilité professionnelle, étant donné que depuis les années 60 et jusqu'à l'an 2000, c'était indispensable pour faire carrière dans la fonction publique. Lorsque le parti ne sera plus un parti dominant, ceux qui l'ont rejoint par ambition plutôt que par conviction le quitteront automatiquement, laissant le parti Baas avec un noyau dur de vrais adeptes, plutôt que d'opportunistes.

Il a été fait appel aux ecclésiastiques populaires, qui prêchent un Islam modéré, afin qu'ils parlent aux gens pour réduire la tension dans la rue, en leur demandant de recourir au calme et d'avoir foi dans les réformes du gouvernement. Pour satisfaire ses ecclésiastiques, les autorités ont révoqué l'interdiction du port du nikab dans les universités, les ont autorisés à créer une chaîne de télévision religieuse et elles ont fermé le très controversés et très impopulaire Casino de Damas.

Sami Moubayed est professeur d'université, analyste politique et rédacteur en chef de Forward Magazine en Syrie.

copyright 2011 : Asia Times On Line / Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

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