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La guerre contre la charria

Un nouveau front s'ouvre au Pakistan

Par Syed Saleem Shahzad

Asia Times Online, samedi 14 juillet 2007
article original : "A new battle front opens in Pakistan"

VALLEE DE SWAT, Province de la Frontière Nord-Ouest -

Aux alliés occidentaux du Pakistan : l'attaque militaire contre la Mosquée Rouge radicale (Lal Masdjid) à Islamabad a constitué une mesure répressive sévère contre un actif important des Taliban. Cela ressemble fortement aux autres mesures sévères prises, dans tout le pays, contre d'autres organisations partisanes de la lutte armée.

Pour l'administration du Président pakistanais, le Général Pervez Musharraf, cette manœuvre est toutefois considérée comme le premier coup contre un mouvement armé extrémiste émergent, voué à l'application de la charria, la loi islamique.

Jeudi dernier, un personnage de premier plan de ce mouvement l'a résumé ainsi : "Par la volonté de Dieu, le Pakistan connaîtra bientôt une révolution islamique". C'est aux funérailles de son frère Abdul Rachid Ghazi, qui faisait partie des plus de 60 personnes tuées lors du siège de sept jours de la Lal Masdjid, que Maulana Abdul Aziz s'exprimait. Les deux frères dirigeaient la mosquée pro-Taliban et Aziz fut appréhendé à l'extérieur de la mosquée avant le début de la principale action militaire de mardi.

Avec la saga de la Lal Masdjid (qui est tout sauf terminée), la deuxième phase de la bataille contre la "révolution islamique" a commencé à pas mal de kilomètres de là, dans le district pittoresque de Swat, dans la Province de la Frontière du Nord-Ouest [North-West Frontier Province (NWFP)].

C'est ici que la réaction à ces événements a été la plus forte, puisque c'est le fief du mouvement pro-Taliban interdit, Tehrik-Nifaz-i-Shariat-i-Mohammadi (TNSM - Le Mouvement pour l'Application des Lois Islamiques).

L'armée pakistanaise a mobilisé des milliers de soldats dans la zone et, vendredi, celle-ci a été déclarée "hautement sensible". Des parties de cette zone ont été placées sous couvre-feu officieux. Durant ces quelques derniers jours, il y a eu des incidents dans lesquels plusieurs membres des services de sécurité ont été tués.

Au contraire du petit complexe de la Lal Masdjid, ce nouveau champ de bataille sera une immense vallée, où les partisans de la lutte armée pourront piéger les soldats dans des sites de leur choix et où l'armée sera libre de bombarder leurs caches, qui se trouvent dans ces montagnes élevées.

Calme Précaire

Jeudi soir, dans le District de Mingora, à Swat, l'armée avait déjà fait ressentir sa présence. L'aéroport et d'autres installations importantes étaient gardées par le Corps des Frontières et les Eclaireurs de Swat. Tous les bâtiments du gouvernement étaient protégés par des bunkers de sacs de sable.

Un peu plus tôt, un convoi de chars et de camions d'artillerie a traversé un pont conduisant en ville, deux secondes avant l'explosion d'une bombe. Les véhicules militaires ont pris de la vitesse mais ils ont été pris en chasse par une voiture civile qui est entrée en collision avec l'escorte policière et a explosé. Trois policiers et trois passants ont été tués sur le coup.

"J'ai jeté un bref coup d'œil sur le poseur de bombe suicide juste avant qu'il ne projète sa voiture sur le convoi. C'était un homme barbu d'environ 40 ans", m'a dit un policier visiblement secoué, Bakht Rahman..

Avec la bombe du pont et l'attaque suicide comme amuse-gueule, une opération militaire dans la Vallée de Swat ne fait aucun doute. Elle aura lieu probablement dans les semaines à venir, voire dans quelques jours.

Elle opposera les militaires à l'insurrection radicale armée dévouée à la révolution islamique, dont le but est d'établir une base solide en Afghanistan d'où elle pourra alimenter l'insurrection menée par les Taliban en Afghanistan et finir par annoncer un califat régional.

Un dirigeant à l'écoute

Dans la région, les cris sporadiques de "Vive Imam-Dhari !" sont précurseurs de la bataille à venir. Imam-Dhari est une petite ville du district de Swat, où vit Maulana Fazalullah, le chef du TNSM.

Le temps était venu de lui rendre visite. Aucun problème pour trouver mon chemin ici - il n'y avait que des membres du TNSM et tout le monde connaissait l'endroit.

Après avoir traversé une vallée étroite, nous avons rejoint la maison modeste de Fazalullah et, en l'espace de quelques minutes, je me retrouvais à discuter avec lui. Au début, il fut visiblement déconcerté par le fait que je n'avais pas pris rendez-vous ou que je n'en avais parlé à personne. Mais, selon la coutume locale, il accueille l'étranger qui se tient à porte. J'ai donc reçu l'accolade de ce petit homme de 28 ans, portant une longue barbe et un turban noir.

"Je suis vraiment désolé de ne pouvoir passer beaucoup de temps avec vous, parce que vous ne m'avez pas prévenu de votre arrivée et que j'évite les médias à cause de la situation qui est délicate ici ", m'a dit Fazalullah.

Fazalullah - "Radio Maulana" comme on le connaît un peu partout - dirige des stations FM qui ont été interdites par les autorités locales. L'un de ses sujets préférés est les appareils électroniques, qu'il veut détruire, y compris les télévisions.

"Ils [l'armée du Pakistan] sont ici parce qu'ils sont une armée pakistano-américaine. Ils ne sont pas ici pour nous protéger mais pour protéger les lois britanniques. Nous sommes des porte-drapeau de la charria islamique - c'est la raison pour laquelle ils sont ici, pour nous empêcher d'exiger la loi islamique."

Fazalullah est recherché pour un grand nombre de chefs d'accusation, notamment pour diriger ces stations FM et pour aider les Taliban. Mais, à cause de ses nombreux fidèles, les autorités sont réticentes à entreprendre une action contre lui.

"Le gouvernement s'est opposé à mes radios FM. J'ai rejeté ces objections. Ce sont des stations non-commerciales d'où je n'émets que des programmes islamiques. Il y a d'autres stations FM qui sont aussi illégales, mais, puisqu'elles émettent de la musique et de la vulgarité, le gouvernement n'en tient pas compte", a déclaré Fazalullah.

Toutes les routes de la région, y compris l'artère importante de la Route de la Soie, qui mène en Chine, ont été bloquées par les membres du TNSM. Fazalullah a insisté sur le fait qu'il n'a rien à voir avec cela, expliquant qu'il s'agit d'une réaction des masses contre les opérations menées par Islamabad contre la Lal Masdjid.

"Le TNSM n'est pas la seule organisation dans cette zone. Il y en a d'autres, dont le Jaish-i-Mohammed, le Harkatul Moudjahidin, the Jamaat-i-Islami. Mais, quoi qu'ils fassent, c'est moi que l'on accuse.

"Même l'attaque d'aujourd'hui contre les militaires me sera attribuée. Je vous le dis, j'étais avec Maulana Abdul Aziz et je suis toujours avec lui, mais je suis convaincu qu'appliquer la charria est le devoir du gouvernement, pas de n'importe quel individu. Notre seul objectif est d'exiger du gouvernement qu'il applique la charria", a dit Fazalullah.

Dans les mois précédant l'attaque contre la Mosquée Rouge, les étudiants des séminaires d'hommes et de femmes attenants ont livré une campagne intensive pour imposer la charria dans la capitale, y compris des enlèvements et des sit-in dans les bâtiments du gouvernement.

"En ce qui concerne la Mosquée Rouge, nous sommes avec elle. Et si nous disposions des ressources nécessaires, nous serions allés nous battre avec eux. La Lal Masdjid luttait pour une cause juste."

Fazalullah a fait peu de cas de l'accusation officielle selon laquelle il est membre du mouvement taliban. "Ce n'est pas une accusation, c'est un honneur. Je dis que je suis avec les Taliban et je considère le Mollah Omar [le chef des Taliban] comme mon émir [chef]."

Le TNSM a été fondé au début des années 90 par Soufi Mohamed, le beau-père de Fazalullah. Lorsque l'invasion menée par les Etats-Unis a commencé en 2001, il a rassemblé plus de 10.000 jeunes pour combattre en Afghanistan. Ce sont ces jeunes qui subirent tout le poids des pertes, lorsque les Taliban firent précipitamment retraite.

A son retour en Afghanistan, Soufi Mohamed a été arrêté et mis en prison, où il demeure. Le TNSM fuit presque détruit, mais, au cours de ces dernières années, sous les efforts de Fazalullah et de son réseau d'environ 107 stations FM dans la Vallée de Swat et dans la zone, tout proche, de Bajaur Agency, le mouvement c'est renforcé.

Des milliers de personnes - des jeunes et des vieux - font partie du TNSM. Fazalullah dit que c'est un mouvement pacifique en faveur de la vertu et contre le vice. L'alliance occidentale en Afghanistan dit que c'est un actif Taliban au Pakistan qui distribue des subsides énormes au mouvement Taliban. Le Pakistan, lui, dit que c'est une menace sérieuse à sa sécurité nationale.

Quelle que soit la perspective, une fois que l'affrontement commencera entre l'Armée pakistanaise et le TNSM, une chose est sûre : le conflit dépassera toutes les frontières.

Syed Saleem Shahzad est le chef du bureau au Pakistan de l'Asia Times Online.

Copyright 2007 Asia Times Online Ltd/Traduction : Questionscritiques


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