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Arrestation du Mollah Baradar

Le Pakistan livre un Taliban de premier ordre

Par Syed Salim Shahzad
Asia Times Online, publié le 17 février 2010

article original : "Pakistan delivers a Taliban treat"

ISLAMABAD – Avec l’armée pakistanaise qui fixe, dans une large mesure, les règles du jeu avec Washington, en vue de la réconciliation avec les Talibans afghans, le Mollah Abdul Ghani Baradar, le commandant suprême Taliban en Afghanistan, est devenu la première livraison d’importance pour la fin de partie des Etats-Unis en Afghanistan.

Baradar aurait été arrêté il y a plusieurs jours dans la ville portuaire méridionale de Karachi, dans une attaque organisée par des agents secrets pakistanais et américains. En ce moment, selon les reportages, il est interrogé par ces même agents.

La Maison Blanche, la CIA et le Pentagone n’ont fait aucun commentaire.

Toutefois, un dirigeant Taliban de haut rang, qui s’est adressé à l’Asia Times Online sous condition d’anonymat, a déclaré : « Ce n’est pas la première fois qu’une telle affirmation est faite à propos de son arrestation. Il y a encore quatre jours, il était en contact avec nous ».

Des responsables pakistanais de la sécurité ont confirmé à AtoL, également sous condition d’anonymat, que Baradar avait été arrêté dans le faubourg de Baldia, à Karachi.

Le Mollah Baradar a représenté, ces deux dernières années, le dirigeant Taliban, le Mollah Omar, dans tous les pourparlers de paix avec Washington, dont l’Arabie Saoudite était le médiateur, et l’idée derrière son arrestation semble être de diviser les cadres Taliban opérant dans le sud-ouest afghan. L’espoir est d’isoler le Mollah Omar et de lui mettre la pression pour qu’il participe aux négociations. Le Mollah Omar a fermement dit qu’il n’entamera aucun pourparler tant que les troupes étrangères n’auront pas quitté l’Afghanistan.

Ceci soulève une question complexe. Le Mollah Baradar est le seul membre très en vue de la tribu Populzai (Durrani) à faire partie de l’encadrement Taliban à prédominance Ghalzai (tribus rivales pendant des siècles). S’il accepte de coopérer avec le Pakistan et les Etats-Unis, il est loin d’être certain qu’il puisse exercer quelque pression que ce soit sur les commandants Taliban dans sa capacité individuelle, c’est-à-dire, sans le soutien du Mollah Omar.

Chez lui à Karachi

Tous les hivers, ces dernières années, le Mollah Baradar, en compagnie d’autres dirigeants et commandants Taliban, résidait à Lea Market, au sud de Karachi, d’où il rendait visite aux quartiers huppés de Gulshan-e-Iqbal, à l’est de Karachi, pour collecter des donations auprès de séminaires islamiques.

Inter-Services Intelligence [Les services secrets pakistanais] connaissaient tous leurs déplacements, mais ne les ont jamais interceptés, parce qu’ils n’étaient pas considérés comme une menace à la sécurité intérieure du pays. L’armée ne voulait pas créer de problèmes avec eux, alors qu’elle était convaincue qu’une fois les forces étrangères finalement retirées d’Afghanistan, ces Taliban auraient d’une façon ou d’une autre fait partie du système politique.

Tout compte fait, les relations entre le Pakistan et Washington ont maintenant évolué et le Pakistan a tout simplement attrapé le plus gros poisson qui se trouvait dans le coin pour aider Washington à entamer des pourparlers directs avec les Talibans.

Néanmoins, cela pourrait, jusqu’à un certain point, n’être qu’un mauvais tour de passe-passe, alors que tous les exercices précédents ont échoué. Une des conséquences du code Taliban très strict est qu’après avoir été appréhendé, l’influence d’un commandant puissant est réduite à néant. Un exemple de premier ordre s’est produit en 2003, lorsque le Mollah Abdul Razzaq, un ancien ministre Taliban, fut arrêté au Pakistan. Les autorités ont essayé de l’utiliser pour monter un canal de communication avec les Talibans, mais ce fut un coup d’épée dans l’eau puisqu’il n’avait plus d’influence. Razzaq finit par être libéré et rejoignit par la suite les Talibans.

Un ancien ambassadeur Taliban auprès du Pakistan, le Mollah Zaïf, est un autre exemple. Les Américains ont fait de leur mieux pour utiliser Zaïf dans le processus de réconciliation, mais sans succès.

L’arrestation du Mollah Baradar pourrait produire quelques bénéfices limités, puisqu’il pourrait divulguer les endroits où se trouvent certains dirigeants Taliban, comme le Mollah Hasan Rahmani et le Mollah Djalil, qui résidaient souvent avec lui à Karachi.

Cependant, obtenir des informations sur le Mollah Omar sera difficile, puisque ce dernier se déplace constamment. Même l’armée pakistanaise, malgré ses liens étroits avec les Etats-Unis, ne sera pas assez généreuse pour permettre l’arrestation du Mollah Omar, qui lui ferait perdre son meilleur atout de négociation.

La notion de pression croissante sur le Mollah Omar à travers le Mollah Baradar pourrait aussi connaître un revers, en ceci que cela pourrait pousser le Mollah Omar un peu plus vers al-Qaïda, qui a levé des milices impressionnantes dans la Province Frontalière du Nord-Ouest du Pakistan, en particulier dans les agences tribales des Mohmand et des Bajaur au Waziristân septentrional.

Syed Saleem Shahzad est le chef du bureau de l'Asia Times Online au Pakistan.

Copyright 2009 Asia Times Online Ltd/Traduction : Questionscritiques


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