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diplomatie

Le vote à l'ONU pour un « Etat » palestinien, un moment de crise

Par Victor Kotsev
Asia Times Online, 28 novembre 2012

article original : "Palestinian "state" vote a crisis moments"
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Des affiches du Président de l'AP Mahmoud Abbas brandies lors d'une rassemblement à Ramallah (Cisjordanie),
le 25 nov. 2012 en soutien à sa demande pour le statut d'Etat de Palestine non-membre de l'ONU. (Majdi Mohammed / AP Photo)

Jeudi pourrait être un grand jour dans l'histoire de la Palestine. 65 ans exactement après que la résolution des Nations Unies partageant la Palestine sous le mandat britannique fut adoptée (et rejetée à l'époque par les Arabes), l'Assemblée Générale votera sur la demande du président palestinien Mahmoud Abbas pour le statut d'Etat non-membre de la Palestine à l'intérieur des frontières de la période entre les guerres de 1948 et 1967.

On s'attend à ce que Abbas remporte une approbation écrasante, et tandis que les experts juridiques divergent sur ce que ce nouveau statut impliquerait, une confrontation diplomatique animée et potentiellement explosive avec Israël est garantie.

Pendant ce temps, bien que certains prédisent la violence et le chaos dans les jours à venir, un nouveau modéré surprenant a fait son réapparition sur l'horizon palestinien. Ses rivaux internes ayant été descendus par les attaques aériennes israéliennes, le chef du bureau politique du Hamas, Khaled Mechal, jadis partisan de la ligne dure et qui fut la cible d'un assassinat qui tourna au fiasco, ordonné par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, il y a 15 ans (durant son premier mandat), a soutenu un Etat palestinien dans les lignes de 1967 et s'est embarqué dans une campagne renouvelée pour la réconciliation avec l'Autorité Palestinienne de Abbas. Il a même indiqué que le Hamas pourrait passer à la « résistance non-violente ».

Ce n'est rien de moins qu'un changement tectonique dans le discours de l'organisation militante. Mechal refuse toujours de reconnaître officiellement Israël, mais son soutien à la demande de Abbas aux Nations Unies est un grand pas en avant par rapport à l'époque récente où les jusqu'au-boutistes l'avaient mis sur la touche, arguant entre autres choses que déclarer un Etat palestinien dans les frontières de 1967 reconnaîtrait implicitement « l'entité sioniste ».

En outre, en plein milieu des célébrations de la victoire et de leurs fanfaronnades menaçantes, les partisans de la lutte armée ont fait le serment de se réarmer, mais en même temps, un ecclésiastique de premier plan à Gaza, Suleiman al-Daya, a émis une fatwa (un décret religieux) contre la rupture de la trêve.[1]

Il est difficile de dire quelle part de cette rhétorique tiendra avec le temps. Mechal et Abbas ont essayé de se réconcilier l'année dernière lorsque leur accord fut torpillé par la faction du Hamas à Gaza. Maintenant que les dirigeants gazaouis ont pris une raclée, et malgré le fait que l'organisation elle-même ait été renforcée, une faction plus pragmatique et plus modérée au sein du Hamas semble avoir pris la main. Que cela dure dépendra d'une myriade de facteurs et beaucoup des développements dans l'Egypte voisine, qui sont difficilement prévisibles à l'heure actuelle.

D'autres acteurs étrangers pourraient également bousculer cet équilibre fragile. Le cessez-le-feu dans la Bande de Gaza a été largement perçu comme un coup, à la fois militaire et diplomatique, contre l'influence iranienne dans le Levant, et il est concevable que Téhéran cherche à le torpiller et à réduire les modérés au silence. Les dominos iraniens dans la région semblent être en train de tomber : les rebelles syriens, par exemple, sont en progression constante contre le régime et se sont emparés d'au moins cinq bases militaires et aériennes au cours des dix derniers jours.

La diplomatie tourne également à fond. Les missiles palestiniens tirés depuis Gaza auraient servi autant de dissuasion militaire contre Israël que d'atout dans les négociations nucléaires avec l'Ouest.

Cependant, le plus important est que les trois protagonistes naturels sur la scène diplomatique israélo-palestinienne - Israël, l'Autorité Palestinienne et le Hamas - sont passés à la vitesse supérieure pour se positionner et se repositionner entre eux, et il est difficile de prédire l'issue de cette négociation à trois compliquée. La semaine dernière, Israël et le Hamas se sont appropriés le devant de la scène avec leur confrontation militaire brève mais violente, et il a semblé que Abbas allait être le grand perdant. A présent, tout d'un coup, le Hamas lui tend la main, tandis qu'Israël observe de façon menaçante depuis le banc de touche. Jeudi, la prochaine action majeure est programmée pour commencer avec les débats et le vote aux Nations Unies.

Le symbolisme a beaucoup d'importance au Moyen-Orient, et devenir le dirigeant d'un Etat implicitement reconnu serait certainement une grande victoire symbolique pour Abbas. Il a indiqué que l'augmentation de sa popularité pourrait suffire à lui donner le pouvoir pour conduire une nouvelle série de négociations de paix directes avec Israël, peut-être même sans conditions préalables. Tandis que des scénarii plus sombres existent, cela semble être une possibilité légitime pour le futur à moyen-terme.

Sur le plan pratique, au regard de la loi internationale, les choses sont beaucoup moins claires. Les experts juridiques disent que la signification précise du nouveau statut attendu de la Palestine est discutable, et que plusieurs controverses, dont les plus importantes sont liées à des procès devant la Cour Pénale Internationale (CPI), pourrait être soulevées. L'Autorité Palestinienne a tenté d'accepter la juridiction du CPI et de poursuivre en justice des dirigeants et des soldats israéliens après la fin de l'Opération Plomb Fondu, à Gaza en 2009, mais elle fut déboutée. Néanmoins, le procureur de la CPI a formulé sa décision de telle façon qu'en théorie le nouveau statut de la Palestine pourrait inverser les choses.[2]

Un expert onusien, qui a souhaité garder l'anonymat, a rejeté cette possibilité, disant que l'idée que la Palestine pouvait devenir de facto un Etat revenait à « prendre ses désirs pour la réalité ».

Le Pr Aeyal Gross de l'Université de Tel Aviv, expert juridique israélien de premier plan et activiste des droits de l'homme, a dit qu'il n'y a « aucune réponse singulière » et que beaucoup dépendra du niveau de reconnaissance politique que la Palestine obtiendra. « Bien que la question de savoir ce qu'est un 'Etat' soit factuelle », a-t-il déclaré, « en réalité, la reconnaissance politique par les autres Etats et les institutions internationales déterminera la réussite de cette demande ».

La Pr Mary Ellen O'Connel, professeur de droit et de résolution des conflits internationaux à l'Université de Notre-Dame, a écrit dans un courriel que « le vrai problème est que la qualité de membre à part entière de l'ONU est la seule manière pour une entité de supprimer tous les doutes sur son statut en tant qu'Etat souverain ».

Elle a également fait remarquer que « le Secrétaire Général de l'ONU agit en tant que dépositaire du Statut de Rome, ce qui signifie qu'il inclut les ratifications du traité. [.] Si le Secrétaire Général se voyait présenter par la Palestine un instrument de ratification pour divers traités, il serait très intéressant de voir ce qu'il ferait. Il pourrait, par exemple, refuser de l'accepter, en disant que la Palestine n'est pas un Etat, faisant remarquer qu'elle n'est pas membre des Nations Unies ou qu'elle a d'autres empêchements, comme le fait d'être occupée par Israël ».

Pour Israël, la question de la CPI est particulièrement pertinente, et le gouvernement israélien a dépeint un tel procès comme une « guerre juridique » non pas tant destinée à réparer une injustice (comme le soutiennent les Palestiniens) mais à mettre la pression sur les responsables et les commandants militaires israéliens et leur créer des difficultés pendant plusieurs années alors que durera le procès. Selon un reportage sur le site israélien Ynet, les principaux décideurs politiques israéliens sont divisés sur la façon de riposter à ce vote onusien, mais la plupart soutiendraient des mesures comme le renversement de l'Autorité Palestinienne au cas où de tels procès seraient intentés.[3]

Il est pratiquement certain qu'Israël rendra coup pour coup aux Palestiniens, avec le soutien très probable de leurs alliés au Congrès des Etats-Unis. Divers reportages dans les médias ont mentionné de possibles mesures comme la construction agressive de colonies ou la rétention des fonds de l'administration de Abbas. The Daily Beast prévient que cette manœuvre à l'ONU pourrait « faire exploser la Cisjordanie".[4]

Le mois dernier, le quotidien israélien Ha'aretz a mis en garde « contre un scénario où le gouvernement israélien 'deviendrait fou' après le vote à l'ONU », surtout à cause de la campagne électorale israélienne en cours.[5] Le symbolisme de la manœuvre de Abbas n'échappe pas non plus au public israélien, dont la plupart refusent d'abandonner Jérusalem Est et les principales colonies en Cisjordanie. Les Israéliens sont encore plus inquiets du fait que cette étape rapprocherait la Palestine de la qualité de membre à part entière de l'ONU.

De récents sondages montrent une droitisation des électeurs, en partie à la suite de la récente confrontation à Gaza, qui, bien qu'elle ait causé plus de morts et de destruction dans la Bande de Gaza, a franchi plusieurs lignes rouges critiques israéliennes. Celles-ci comprennent les centaines de roquettes tirées directement sur les centres de population israéliens, un tir de barrage soutenu de missiles au cœur du pays (dont Jérusalem et Tel Aviv) et un attentat à la bombe contre un bus à Tel Aviv. La confrontation diplomatique et l'initiative de réconciliation menacent de pousser les électeurs israéliens encore plus vers la droite, et la plupart des politiciens peuvent difficilement ignorer cette tendance à l'instant présent.

Un autre signe de prudence est que le Ministre israélien de la Défense, Ehoud Barak, un modéré sur la question palestinienne, a annoncé qu'il ne se présenterait pas à sa réélection. Cela s'est produit le même jour où les jusqu'au-boutistes au sein du parti de droite de Netanyahou, le Likoud, ont reçu un encouragement significatif dans les primaires. Barak était incidemment la liaison semi-officielle de Netanyahou avec les Etats-Unis (à la place du ministre des Affaires étrangères, Avidgor Lieberman, partisan de la ligne dure), et une façon d'interpréter ce geste surprenant est qu'il a vu venir une grosse tempête.

Dans l'ensemble, tandis que le vote de jeudi à l'ONU semble revêtir un poids plus symbolique que réel, il arrive à un moment très sensible et pourrait déclencher des conséquences majeures. Une crise est en même temps un moment d'opportunité, comme dit l'adage, et l'on s'attend à une crise importante.

Victor Kotsev est journaliste et analyste politique. Il est basé à Tel Aviv.

(Copyright 2012 Asia Times Online (Holdings) Ltd - traduction [JFG-QuestionsCritiques]. All rights reserved

Notes :
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[1] Gaza Cleric Calls Violation of Israel Truce Sinful [Un ecclésiastique de Gaza dit que violer la trêve avec Israël est un péché], Associated Press, le 24 novembre 2012.
[2] Analysis: Round 2 of 'Israel, Palestine at the ICC' [Analyse: deuxième tour pour 'Israël et la Palestine à la CPI'], Jerusalem Post, 15 novembre 2012.
[3] Israel leaders at odds over response to Palestinian UN bid [Les dirigeants israéliens en désaccord sur la riposte à la demande palestinienne à l'ONU], Ynet, 26 novembre 2012.
[4] Mahmoud Abbas Bid for U.N. Sanction of Palestine State Could Explode West Bank [La demande de Mahmoud Abbas pour une reconnaissance de l'Etat de Palestine à l'ONU pourrait faire exploser la Cisjordanie], The Daily Beast, 26 novembre 2012.
[5] Ahead of Israel election, PA bid in UN may push Netanyahu to harsh unilateral reaction, diplomats say [Des diplomates disent que la demande de l'AP à l'ONU, avant les élections israéliennes, pourrait pousser Netanyahou à une réaction unilatérale sévère], Ha'aretz (sur abonnement).

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ON PEUT LIRE AUSSI :
"Le Conflit Israélo-Palestinien", par Jean-François Goulon (Le Retour aux Sources, 2012). Compilation de textes écrits par les plus grands auteurs juifs (et quelques autres) ayant traité ce sujet et qui retracent l'histoire de ce conflit, depuis les origines cananéennes de la Palestine à sa demande d'adhésion à l'ONU.


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