Les récents pourparlers entre le gouvernement du président syrien Bachar el-Assad et les rebelles semblent avoir touché le fond. L'initiative de paix égyptienne prend l'eau depuis que le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan lui a tourné le dos ; diverses autres initiatives se poursuivent, mais l'Emir du Qatar a fait part de son pessimisme de façon poignante, [le 25 septembre], lors des débats de l'assemblée générale des Nations Unis à New York, en appelant à une intervention militaire arabe dans ce pays.
Bien qu'il soit vaguement possible que nous assistions au moment le plus sombre, avant que l'aube ne se lève - les derniers développements peuvent aussi être interprétés comme un marchandage de chiffonniers -, ce qui se passe sur le terrain est loin d'être encourageant.
Au beau milieu d'une campagne de terreur dans la capitale, à Damas, et quelques-uns des combats les plus sanglants, jusqu'ici, de ce conflit, le chaos en Syrie croît de jour en jour. Les différentes milices et les chefs de guerre poussent comme des champignons, indiquant par-là que l'échec à stopper la violence aurait maintenant pour conséquence un conflit prolongé qui ne pourrait se terminer que lorsque les différents camps seront complètement épuisés par ces massacres.
Des parallèles avec la guerre civile libanaise - que l'Emir du Qatar a invoquée dans son discours - sont de plus en plus prononcés, comme le sont les similitudes avec la violence qui a culminé dans le massacre dans la ville syrienne de Hama en 1982. Un document récemment déclassifié, que la DIA (Defense Intelligence Agency, les renseignements militaires nord-américains) avait produit en mai 1982, sort par hasard et semble être étrangement d'actualité. Il démontre les racines historiques profondes de certains modèles que nous avons vus sur le terrain.
Les médias internationaux ont souvent sous-estimé la durée de ce conflit dans les années 80, concentrant l'essentiel de leur attention sur le soulèvement dans la ville de Hama en 1982 ; ce rapport montre clairement comment cette violence a évolué sur plusieurs années.
Il est toutefois important de noter que le conflit syrien d'alors n'a pas tout à fait développé les caractéristiques d'une guerre civile pure et dure comme cela était visible au Liban à peu près à la même période. L'épisode actuel se situe peut-être quelque part entre ces deux paradigmes.
Un point clé dans le rapport de la DIA est que « la popularité politique en Syrie n'a cependant jamais été un préalable pour conserver le pouvoir. La capacité de contrôler l'armée et l'appareil sécuritaire, ainsi que la volonté de les utiliser lorsque nécessaire, ont été beaucoup plus importantes ».
Parmi les points forts [de ce rapport], il y a cette puissante campagne de propagande en faveur de l'opposition, contenant des inexactitudes, dans les médias internationaux, ainsi que l'isolement croissant du régime, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays.
Ce rapport établit que « La direction des Frères Musulmans avait pleinement conscience qu'ils tenaient le régime d'Assad dans une situation "de match nul" concernant Hama ». « Si Assad n'avait pas agit en force contre Hama, la rébellion aurait pu se propager aux autres villes, ce qui aurait pu à son tour conduire à une rébellion généralisée. L'utilisation massive par [Hafez el-]Assad de l'artillerie pour briser la résistance à Hama était un signal envoyé aux autres villes qu'il avait à la fois la volonté et les moyens de conserver le pouvoir. Par la même occurrence, les actions du gouvernement ont cependant scandalisé et écœuré un large éventail de la société syrienne ».
Un autre aperçu essentiel est l'importance de l'unité alaouite ou les signes de son absence : la famille Assad appartient à la minorité religieuse alaouite, ce qui était également le cas de l'homme que Assad père a renversé et emprisonné, Salah Jedid. (Plus tard, le propre frère d'Assad sera envoyé en exil à la suite d'une tentative ratée de coup d'Etat). Si les supporters de Jedid jouèrent un rôle important en 1982, aujourd'hui, le soutien inconditionnel du segment alaouite de la population est considéré comme un indicateur clé de la capacité d'Assad fils à survivre.
Dernièrement, Stratfor, l'organisme d'analyse des renseignements basé aux Etats-Unis, a rapporté que des efforts étaient entrepris pour fomenter un coup d'Etat alaouite contre le président syrien. Ce rapport fait remarquer que ces efforts avaient été jusqu'à présent infructueux. Toutefois, il estime que « Les Alaouites ne s'opposent pas nécessairement à un retrait négocié du clan Assad du pouvoir, mais s'opposent fermement à tout accord qui conduirait à un affaiblissement de l'emprise de leur secte sur le pouvoir ».
Par ailleurs, un reportage de Reuters a décrit l'extorsion d'argent de « protection » aux riches Alaouites par des milices pro-gouvernementales - soit dit en passant, un mode opératoire commun des chefs de guerre qui ont proliféré dans tout le pays à un taux défiant l'imagination - et a indiqué le malaise que cela produit parmi de nombreux Alaouites.
Que cette sorte de mécontentement se traduise en une dissidence politique est toutefois loin d'être certain. En fait, une puissante tendance conduisant dans la direction opposée se déroule sur le terrain, une politique systématique de façonner la Syrie en enclaves plus ou moins homogènes par des méthodes qui relèvent du nettoyage ethnique. Le but est de créer des bases de soutien, clairement définies et facilement défendables, pour les diverses milices sectaires, et de faciliter pour certaines communautés minoritaires - en particulier les Alaouites et les Kurdes - la possibilité de faire sécession dans le futur sous certaines conditions.
Ce processus est un miroir de ce qu'il s'est passé au Liban et dans d'autres guerres civiles prolongées. Il conduit également à la répression des points de vue dissidents au sein des différentes communautés. Cela est très difficile à inverser et signale qu'un conflit devient fermement établi.
L'activiste syrien Ammar Abdulhamid note dans ses impressions acquises lors d'un récent voyage que si les forces favorables au régime ont initié ce processus, l'opposition a commencé à faire de même. Il écrit :Le nettoyage ethnique de la zone de Sahel el-Ghab dans la province de Hama et de certaines partie de la ville rurale de Homs est maintenant un marché conclu et ne sera pas aisément, voire jamais, réversible. Seuls les fiefs loyalistes subsistent dans cette région. Les exceptions sont peu nombreuses et subissent des attaques aériennes constantes. (.)
En fait, au fur et à mesure que nous rédigeons ce compte-rendu, une bataille fait rage dans les parties les plus septentrionales de la région de Al-Haffey, concentrée sur le village de Burj Kassab et ses environs, où les rebelles essayent d'accéder à la mer et contrent le nettoyage ethnique effectué par les milices pro-Assad. Cette manœuvre a cependant obligé les habitants des villages alaouites avoisinants à quitter leurs maisons, alors que leurs villages ont été pilonnés pour la première fois depuis le début de la révolution. A moins d'une intervention internationale généralisée, les Arabes sunnites, poussés par un désir de vengeance, vont donc déplacer probablement assez vite les combats vers les Alaouites, et ce qui a été semé à Homs, Alep, Damas, Déraa, Hama et Deir Ezzor sera récolté à Latakieh, Jablé et Tartouse.Les tensions entre Arabes et Kurdes dans les régions kurdes ont également commencé à s'échauffer. Le compte-rendu fait par Aral Kakal de son récent voyage là-bas laisse entendre que si la situation n'y est pas aussi mauvaise qu'ailleurs dans le pays, elle peut largement empirer dans le futur. Il écrit :
Jaouch [un guide local] nous a dits que les chefs des villages arabisés étaient venus, il y a deux jours, voir les Kurdes dans le village de Datba, d'où il est originaire, et demandé à rester dans la zone. Les Arabes ont dit que s'ils pouvaient rester, ils rendraient même les propriétés qui ont été confisquées aux Kurdes par le gouvernement d'Assad.
« Les compagnons d'armes de Datba ont décidé de leur permettre de rester », explique Jaouch. « Parce que si nous les chassons maintenant, alors, compte tenu de la situation actuelle dans le reste de la Syrie, ils seraient probablement tués.Une intervention urgente sous quelque forme que ce soit - par exemple, diplomatique, sous la forme d'un cessez-le-feu et de pourparlers de réconciliation - peut peut-être encore enrayer ce développement. Parallèlement à l'initiative qatari, qui aurait obtenu le soutien des Tunisiens et d'autres Arabes, il y a des indications croissantes que des pourparlers secrets sont menés dans des pays est-européens, comme la Bulgarie.
Le mois dernier, par exemple, un scandale entre l'ambassade israélienne en Bulgarie et un ministre du gouvernement israélien, relayé par la presse israélienne, a révélé que la Bulgarie est beaucoup plus impliquée avec l'opposition syrienne que ce que son gouvernement n'a bien voulu admettre. Plus récemment, le président bulgare Rosen Plevenliev a accusé Israël d'avoir affirmé que l'Iran et le Hezbollah étaient impliqués dans l'attaque de l'aéroport Burgas en juillet.
Etant donné l'intérêt général des autorités bulgares à détourner l'attention de leur laxisme en matière de sécurité dans cet aéroport, laxisme qui a contribué à cet incident, un analyste bulgare a rapporté à Asia Times Online que cette attitude est très probablement une indication que la Bulgarie a un objectif plus élevé - peut-être d'être un médiateur entre les deux principaux camps en guerre au Moyen-Orient. La Syrie est placée très haut l'agenda politique [bulgare], mais on peut douter que [la Bulgarie] - ou l'un quelconque des acteurs plus importants impliqués - puisse valablement contribuer à arrêter, là-bas, la spirale de la violence.
Une forme ou une autre d'intervention, comme une mission de maintien de la paix, pourrait fort bien se combiner avec une diplomatie de la deuxième chance. Malheureusement, un tel scénario serait probablement une tâche difficile ; l'alternative du chaos prolongé et du bain de sang est déjà en cours.Victor Kotsev est journaliste et analyste politique. Il est basé à Tel Aviv.
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