Le rideau de fer de Washington en Ukraine
L'étau américain se resserre sur l'Europe
Par Diana Johnstone
article originalWashington's Iron Curtain in Ukraine
CounterPunch, le 15 juin 2014Tweeter
Les dirigeants de l'OTAN jouent délibérément la comédie en Europe, en vue de dresser un nouveau rideau de fer entre la Russie et l'Ouest. Dans une étonnante unanimité, ils feignent la surprise vis-à-vis d'évènements qu'ils ont eux-mêmes planifiés, il y a plusieurs mois de cela. Ces évènements déclenchés intentionnellement sont présentés de manière fallacieuse comme étant une soudaine « agression russe », tout autant injustifiée qu'inattendue. Les Etats-Unis et l'Union Européenne ont orchestré une provocation agressive en Ukraine, sachant pertinemment qu'elle obligerait la Russie à réagir d'une façon ou d'une autre pour se défendre.
Ils ne pouvaient savoir avec certitude comment le président russe Vladimir Poutine réagirait en voyant que les Etats-Unis manipulaient un conflit politique en Ukraine pour y installer un gouvernement pro-occidental résolu à rejoindre l'OTAN. Il ne s'agissait pas d'une simple question de « sphère d'influence » dans le voisinage immédiat de la Russie, mais d'une question de vie ou de mort pour la Marine russe, de même que d'une grave menace contre sa sécurité nationale, et ce sur ses propres frontières.
C'est ainsi qu'un piège a été tendu à Poutine. Peu importe la façon dont il réagirait, il serait condamné d'avance. Il pouvait réagir mollement et trahir les intérêts nationaux fondamentaux de son pays, laissant l'OTAN avancer ses forces hostiles jusqu'à une position d'attaque idéale. Ou il pouvait réagir de façon excessive en envoyant ses troupes envahir l'Ukraine. L'Ouest s'était préparé à cette dernière option, prêt à crier que Poutine est le « nouveau Hitler », qu'il est sur le point d'envahir la pauvre Europe sans défense, qui ne pourrait être (à nouveau) sauvée que par les généreux Américains.
En réalité, la Russie a choisi un coup défensif médian très raisonnable. Grâce au fait que l'écrasante majorité des Criméens se sentent russes, ayant été des citoyens russes jusqu'à ce que Khrouchtchev donne avec insouciance ce territoire à l'Ukraine, en 1954, une solution pacifique et démocratique a été trouvée. Les Criméens ont voté leur retour dans la Russie par référendum - référendum parfaitement légal selon la loi internationale mais en violation de la Constitution ukrainienne, laquelle, faut-il le rappeler, avait volé en éclat à la suite du renversement, à l'aide de milices violentes, du président légitimement élu du pays, Viktor Yanoukovitch. Le changement de statut de la Crimée fut réalisé sans verser une goutte de sang et par la voie des urnes.
Néanmoins, à l'Ouest, les cris d'indignation ont été d'une hostilité hystérique, comme si Poutine avait réagi de façon excessive et mené une campagne de bombardement sur l'Ukraine à la manière des USA ou envahi purement et simplement ce pays - ce à quoi les Occidentaux s'attendaient qu'il fasse.
Le ministre américain des Affaires étrangères, John Kerry, a conduit le chour d'indignation, accusant la Russie d'avoir fait ce que les Etats-Unis, eux, ont l'habitude de faire. « On n'envahit pas un autre pays sous un prétexte fallacieux pour défendre ses intérêts. C'est un acte d'agression incroyable. », a pontifié Kerry. « C'est vraiment un comportement digne du 19ème siècle, alors que nous sommes au 21ème siècle. » Au lieu de railler cette hypocrisie, les médias, les politiciens et les experts américains ont repris avec zèle le thème de l'expansionnisme inacceptable de Poutine. Les Européens ont suivi le mouvement dans un écho obéissant et un peu atténué.Tout a été planifié à Yalta
En septembre 2013, l'un des plus riches oligarques d'Ukraine, Viktor Pinchuk, a financé une conférence stratégique des élites sur le futur de l'Ukraine, laquelle s'est tenue dans le même palace de Yalta, en Crimée, où Roosevelt, Staline et Churchill s'étaient rencontrés pour décider de l'avenir de l'Europe en 1945. The Economist, l'un des médias de l'élite, dans un article rapportant ce qu'il appelait une « démonstration de farouche diplomatie », a déclaré que : « Le futur de l'Ukraine, un pays de 48 millions d'habitants, et de l'Europe est décidé en temps réel ». Parmi les participants : Bill et Hillary Clinton, l'ancien patron de la CIA, le Général David Petraeus, l'ancien ministre américain des finances, Lawrence Summers, l'ancien chef de la Banque mondiale, Robert Zoellick, le ministre suédois des Affaires étrangères, Carl Bildt, Shimon Peres, Tony Blair, Gerhard Schröder, Dominique Strauss-Kahn, Mario Monti, la présidente lituanienne Dalia Grybauskaité et l'influent ministre des Affaires étrangères polonais, Radek Sikorski. Le Président Viktor Yanoukovitch, renversé cinq mois plus tard, et son successeur fraîchement élu, Petro Porochenko, étaient tous deux présents. L'ancien ministre américain de l'Energie, Bill Richardson, était là pour parler de la révolution du gaz de schiste que les Etats-Unis ont l'espoir d'utiliser pour affaiblir la Russie en substituant la fracturation hydraulique aux réserves russes de gaz naturel. La discussion s'est centrée autour de l'accord de libre échange étendu (DCFTA) entre l'Ukraine et l'Union Européenne, et sur la perspective d'intégration de l'Ukraine dans l'Occident. Le ton général était à l'euphorie vis-à-vis de la perspective de rompre les liens entre l'Ukraine et la Russie en faveur de l'Ouest.
Une conspiration contre la Russie ? Pas du tout. Contrairement au Bilderberg, les débats n'étaient pas secrets. Face à une douzaine de VIP américains et à un large échantillon de l'élite politique européenne, se trouvait un conseiller de Poutine, Sergueï Glaziev, qui a exposé de façon parfaitement claire la position de la Russie.
Glaziev a injecté un soupçon de réalisme économique dans cette conférence. Forbes a rapporté à l'époque la « différence saisissante » entre les points de vue russe et occidental « non pas sur la sagesse de l'intégration de l'Ukraine dans l'UE mais sur son probable impact. » En contraste avec l'euphorie occidentale, le point de vue russe portait sur l'impact qu'aurait cet accord de libre échange sur l'économie ukrainienne, faisant remarquer que l'Ukraine connaissait un énorme déficit de sa balance commerciale, financé par des emprunts internationaux, et que l'accroissement substantiel des importations en provenance de l'Ouest qui en résulterait ne pourrait que grossir encore ce déficit. Soit l'Ukraine « ne remboursera pas sa dette, soit elle aura besoin d'un important plan de sauvetage ».
Le journaliste de Forbes concluait ainsi : « la position russe est bien plus proche de la vérité que le discours satisfait de Bruxelles et de Kiev ».
Quant à l'impact politique, Glaziev a fait remarquer que la minorité russophone de l'Est de l'Ukraine pourrait devenir remuante et vouloir faire sécession en protestation contre la rupture des liens avec la Russie, et que la Russie aurait le droit légitime de les soutenir. Voici ce que disait en substance le London Times.
En résumé, alors qu'ils planifiaient d'incorporer l'Ukraine à la sphère occidentale, les dirigeants occidentaux étaient parfaitement conscients que cette manouvre entraînerait de sérieux problèmes avec les Ukrainiens russophones, et avec la Russie elle-même. Plutôt que de chercher à négocier un compromis, les dirigeants occidentaux ont décidé de foncer et d'accuser la Russie de tout ce qui tournerait mal. La première chose qui tourna mal est que Yanoukovitch a eu les jetons face à l'effondrement économique qu'aurait impliqué cet accord de libre échange avec l'Union Européenne. Il en a repoussé la signature, espérant conclure un meilleur accord. Mais étant donné que rien de tout cela n'a été expliqué clairement aux Ukrainiens, des manifestations d'indignation ont suivi, lesquelles ont été rapidement exploitées par les Etats-Unis. contre la Russie.L'Ukraine est-elle une « passerelle ». ou plutôt un « talon d'Achille » ?
L'Ukraine, dont le nom signifie « terre frontalière », est un pays dont les frontières historiques ne sont pas clairement établies, et qui a été étirée trop loin vers l'Est et trop loin vers l'Ouest. L'Union Soviétique en est responsable, mais l'URSS n'existe plus, et le résultat est un pays dépourvu d'une identité unifiée, ressortant comme un problème pour lui-même et ses voisins.
Trop étendue à l'Est, l'Ukraine incorpore des territoires qui auraient très bien pu rester russes. Cela s'est fait dans le cadre d'une politique visant à faire la distinction entre l'URSS et l'empire tsariste - élargir l'Ukraine aux dépens de sa composante russe pour démontrer que l'Union Soviétique était réellement une union de républiques socialistes. Tant que l'Union Soviétique était dirigée par les Communistes, ces frontières ne revêtaient pas une si grande importance.
Par ailleurs, elle a été trop élargie à l'Ouest à la fin dela Seconde Guerre mondiale. L'URSS victorieuse a étendu les frontières de l'Ukraine afin qu'elle inclusse des régions occidentales, dominées par la ville portant les noms variables de Lviv, Lwow, Lemberg ou Lvov, selon qu'elle appartenait à la Lituanie, à la Pologne, à l'empire des Habsbourg ou à l'URSS, une région qui était le foyer des sentiments antirusses. Ce fut sans aucun doute conçu comme un coup défensif, pour neutraliser les éléments hostiles, mais cela a créé une nation fondamentalement divisée qui constitue aujourd'hui le parfait terrain d'agitation pour récolter tous les emmerdements possibles.
Le reportage de Forbes cité ci-dessus faisait remarquer que : « Durant la majeure partie des cinq dernières années, l'Ukraine a essentiellement joué un double jeu, disant à l'UE qu'elle était intéressée à signer le DCFTA, tout en disant aux Russes qu'elle était intéressée à rejoindre leur union douanière. » Soit Yanoukovitch ne parvenait pas à prendre une décision, soit il essayait d'obtenir le meilleur accord possible des deux camps. En tout cas, il n'a jamais été « l'homme de Moscou », et sa chute doit assurément beaucoup au propre rôle qu'il a joué dans ce jeu dangereux consistant à monter ces deux camps l'un contre l'autre.
On peut raisonnablement dire que ce dont l'Ukraine a besoin et qui semble jusque-là lui manquer sont des dirigeants qui reconnaissent la nature divisée du pays et qui ouvrent diplomatiquement à la recherche d'une solution qui puisse satisfaire à la fois les populations locales et leurs liens historiques tant avec l'Ouest catholique qu'avec la Russie. Bref, l'Ukraine pourrait être une passerelle entre l'Ouest et l'Est - et cela, soit dit en passant, a précisément été la position russe. Celle-ci n'a jamais été de diviser l'Ukraine, et encore moins de la conquérir, mais de faciliter le rôle de ce pays en tant que passerelle. Pour ce faire, il faudrait un certain degré de fédéralisme, de gouvernement local, ce qui a entièrement manqué jusqu'à présent à ce pays, alors que les gouverneurs locaux étaient choisis non pas par les urnes mais par le gouvernement central de Kiev. Une Ukraine fédérale pourrait à la fois développer des relations avec l'UE et maintenir ses relations économiques vitales (et profitables) avec la Russie.
Mais une telle disposition voudrait que l'Occident soit prêt à coopérer avec la Russie. Les Etats-Unis s'opposent manifestement à cette possibilité, préférant exploiter cette crise pour désigner la Russie comme « l'ennemi ».Plan A et Plan B
La politique américaine, qui était déjà évidente lors de la réunion de septembre 2013 à Yalta, a été mise en ouvre sur le terrain par Victoria Nuland, l'ancienne conseillère de Dick Cheney, ambassadrice adjointe auprès de l'ONU, porte-parole de Hillary Clinton, épouse du théoricien néoconservateur Robert Kagan. Le rôle majeur qu'elle a joué dans les évènements en Ukraine prouve que l'influence des néocons au Département d'Etat, établie sous Bush II, a été conservée par Obama, dont la seule contribution visible à un changement de politique étrangère a été la présence d'un homme de descendance africaine à la présidence, calculée pour impressionner le monde de la vertu du multiculturalisme américain. A l'instar de la plupart des autres présidents récents, Obama est là en tant que représentant temporaire de politiques imaginées et exécutées par d'autres.
Ainsi que Victoria Nuland l'a claironné à Washington, les Etats-Unis, depuis la dissolution de l'Union Soviétique en 1991, ont dépensé cinq milliards de dollars pour gagner de l'influence en Ukraine (ce que l'on appelle la « promotion de la démocratie »). Cet investissement n'est pas « pour le pétrole » ou pour un avantage économique immédiat. La motivation essentielle est géopolitique, parce que l'Ukraine est le talon d'Achille de la Russie : c'est le territoire qui a le plus grand potentiel pour causer des problèmes à la Russie.
Ce qui a attiré l'attention du public sur le rôle de Victoria Nuland dans la crise ukrainienne fut l'utilisation qu'elle a faite d'un langage imagé, lorsqu'elle a dit à l'ambassadeur des Etats-Unis que « l'UE aille se faire foutre ». Mais le remue-ménage autour de ses propos grossiers a dissimulé ses mauvaises intentions. La question était de choisir qui devrait prendre le pouvoir laissé vacant par le renversement du président élu Viktor Yanoukovitch. Le parti de la Chancelière allemande, Angela Merkel, mettait en avant l'ancien boxeur Vitali Klitschko, son candidat préféré. La rebuffade grossière de Nuland signifiait que c'étaient les Etats-Unis, et non l'Allemagne ou l'Europe, qui choisiraient le prochain dirigeant, et ce n'était pas Klitschko mais "Yats". Et c'est « Yats », Arseni Yatseniouk, un technocrate de recours sponsorisé par les Etats-Unis, connu pour son enthousiasme pour les politiques d'austérité du FMI et l'adhésion à l'OTAN, qui a eu le poste. Cela a placé un gouvernement soutenu par les Etats-Unis, imposé dans la rue par une milice fasciste dépourvue d'assise électorale mais débordant de méchanceté et bien armée, en position de gérer les élections du 25 mai, dont l'Est russophone a été largement exclu.
Le plan A du putsch de Victoria Nuland était probablement d'installer rapidement un gouvernement à Kiev qui rejoindrait l'OTAN, préparant les Etats-Unis à prendre possession de la base navale en Mer Noire indispensable à la Russie, Sébastopol, en Crimée. Réintégrer la Crimée dans la Russie fut le coup défensif nécessaire de Poutine pour les en empêcher.
Mais la tactique de Nuland était en fait un stratagème toujours gagnant. Si la Russie ne se défendait pas, elle risquait de perdre toute sa flotte méridionale - un désastre national absolu. D'un autre côté, si la Russie réagissait, le plus probable, les Etats-Unis remporterait de cette manière une victoire politique, ce qui constituait peut-être leur principal objectif. Le coup purement défensif de Poutine est dépeint par les médias occidentaux dominants, faisant ainsi écho aux dirigeants politiques, comme un « expansionnisme russe » délibéré, que la machine propagandiste compare à Hitler s'emparant de la Tchécoslovaquie et de la Pologne.
C'est ainsi qu'une provocation occidentale flagrante, utilisant la confusion politique en Ukraine contre une Russie essentiellement défensive, a réussi de façon étonnante à produire une modification totale du paradigme artificiel de notre époque, le Zeitgeist produit par les mass medias occidentaux. Soudainement, on nous dit que « l'Ouest épris de liberté » est confronté à la menace de « l'expansionnisme agressif russe ». Il y a quelque 40 ans, les dirigeants soviétiques ont cédé beaucoup de terrain en croyant qu'un renoncement pacifique de leur part pourrait conduire à un partenariat amical avec l'Ouest, et en particulier avec les Etats-Unis. Mais ceux qui, aux Etats-Unis, n'ont jamais voulu mettre fin à la Guerre Froide ont obtenu leur revanche. Oubliez le « communisme » ; si, au lieu de se faire l'avocat de la dictature du prolétariat, l'actuel dirigeant de la Russie est simplement vieux jeu à certains égards, les médias occidentaux peuvent fabriquer un monstre à partir de là. Les Etats-Unis ont besoin d'un ennemi pour sauver le monde.Le retour du chantage à la protection
Mais avant tout, les Etats-Unis ont besoin de la Russie en tant qu'ennemi afin de « sauver l'Europe », autre manière de dire « continuer à dominer l'Europe ». Les décideurs politiques à Washington semblaient s'inquiéter de ce que le revirement d'Obama vers l'Asie et son indifférence à l'égard de l'Europe puisse affaiblir le contrôle exercé par les Etats-Unis sur ses alliés de l'OTAN. Les élections européennes du 25 mai ont révélé une certaine désaffection pour l'Union Européenne. Cette désaffection, notamment en France, est liée à la prise de conscience croissante que l'UE, loin d'être une alternative potentielle aux Etats-Unis, est en réalité un mécanisme qui verrouille les pays européens dans la mondialisation définie par les USA, le déclin économique et la politique étrangère américaine - les guerres, etc.
L'Ukraine n'est pas la seule entité qui ait été surdimensionnée. On peut dire la même chose de l'UE. Avec 28 membres de langues, cultures, histoires et mentalités diverses, l'UE est incapable de se mettre d'accord sur quelque politique étrangère que ce soit, autre que celle imposée par Washington. L'élargissement de l'UE aux anciens satellites soviétiques d'Europe de l'Est a complètement cassé tout consensus un peu sérieux qui aurait été possible entre les pays de la Communauté d'origine : la France, l'Allemagne, l'Italie et les pays du Benelux. La Pologne et les Etats Baltes voient le fait d'être membre de l'UE comme quelque chose d'utile, mais leurs cours sont tournés vers l'Amérique, où un grand nombre de leurs dirigeants les plus influents ont étudié et ont été formés. Washington est en capacité d'exploiter l'anticommunisme, les sentiments antirusses et même la nostalgie pronazie de l'Europe du nord-est pour crier « au secours, les Russes reviennent ! » afin de faire obstacle au partenariat économique croissant entre la vieille Europe, notamment l'Allemagne, et la Russie. <
La Russie ne représente aucune menace. Mais pour les russophobes véhéments des Etats Baltes, de l'ouest de l'Ukraine et de la Pologne, l'existence même de la Russie constitue une menace. Encouragée par les Etats-Unis et l'Otan, cette hostilité endémique forme le socle politique du nouveau « rideau de fer » destiné à réaliser l'objectif formulé par Zbigniew Brzezinski dans Le Grand Echiquier : maintenir le continent eurasiatique divisé afin de perpétuer l'hégémonie mondiale des Etats-Unis. L'ancienne Guerre Froide servait cet objectif, en cimentant la présence militaire et l'influence politique des Etats-Unis en Europe de l'Ouest. Une nouvelle Guerre Froide peut empêcher l'influence américaine d'être diluée par de bonnes relations entre l'Europe de l'Ouest et la Russie.
Obama s'est rendu en Europe en promettant avec ostentation de la « protéger » en basant plus de troupes dans les régions aussi proches que possibles de la Russie, tout en ordonnant en même temps à la Russie de retirer ses propres troupes, sur son propre territoire, encore plus loin de l'Ukraine agitée. Le but visé semble être d'humilier Poutine et de le priver de soutien politique dans son pays, à un moment où les protestations s'élèvent en Ukraine orientale contre le dirigeant russe qui les abandonnerait aux tueurs envoyés par Kiev.
Pour renforcer leur emprise sur l'Europe, les Etats-Unis utilisent cette crise artificielle pour exiger de leurs redevables alliés qu'ils dépensent plus pour la « défense », notamment en achetant des systèmes d'armement américains. En matière énergétique, bien que les Etats-Unis soient encore bien loin de pouvoir satisfaire les besoins européens, la perspective de substituer le gaz naturel russe par le gaz de schiste américain, grâce au tout nouvel essor de la fracturation hydraulique aux Etats-Unis, est saluée comme solution de remplacement idéale permettant « d'exercer une pression politique » contre la Russie, qui n'a bien entendu rien à voir avec d'hypothétiques ventes aux Européens bénéficiant aux Américains. La pression monte contre la Bulgarie et même la Serbie pour qu'elles bloquent la construction du pipeline South Stream qui acheminerait le gaz russe vers les Balkans et l'Europe du Sud.Du Jour J au Jugement dernier
Vendredi dernier, le 6 juin, le soixante-dixième anniversaire du Jour J s'est joué en Normandie comme une célébration gigantesque de la domination américaine, avec Obama à la tête d'un casting cinq étoile de dirigeants européens. Les derniers survivants de ces soldats et de ces aviateurs qui étaient présents étaient comme des fantômes d'une époque plus innocente où les Etats-Unis n'étaient qu'au début de leur nouvelle carrière de maître du monde. Eux sont réels, mais le reste n'est qu'une comédie. La télévision française a inondée les téléspectateurs des pleurs de ces jeunes Normands auxquels on a enseigné que l'Amérique était une sorte d'Ange Gardien, qui a envoyé ses jeunes gens mourir sur les plages de Normandie par pur amour de la France. Cette image idéalisée du passé est implicitement projetée sur le futur. En soixante-dix ans, la Guerre Froide, le récit narratif de propagande dominant et surtout Hollywood ont convaincu les Français, et la plupart à l'Ouest, que le débarquement fut le tournant qui permit de remporter la guerre et sauver l'Europe de l'Allemagne nazie.
Vladimir Poutine est venu pour cette commémoration, et il a été minutieusement dédaigné par Obama, arbitre autoproclamé de la Vertu. Si les Russes rendent hommage à l'opération du débarquement qui a libéré la France de l'occupation nazie, ils savent - tout comme les historiens - ce que la plupart à l'Ouest ont oublié : que la Wehrmacht a été défaite de façon décisive, non pas par le débarquement de Normandie, mais par l'Armée rouge. Si le gros des forces allemandes n'avaient pas été immobilisé en livrant une guerre perdue sur le front de l'Est, personne ne célèbrerait le Jour J comme on le fait aujourd'hui.
Poutine est largement crédité d'être « le meilleur joueur d'échecs » qui a gagné la première partie de la crise ukrainienne. Il a sans aucun doute fait du mieux qu'il le pouvait, face à la crise qui lui a été imposée. Mais les Etats-Unis disposent de rangées de pions que Poutine n'a pas. Et ce n'est pas seulement une partie d'échecs, mais des échecs combinés au poker, lui-même combiné à la roulette russe. Les Etats-Unis sont prêts à prendre des risques que les dirigeants russes, plus prudents, préfèrent éviter. aussi longtemps que possible.
L'aspect qui est peut-être le plus extraordinaire de la comédie en cours est la servilité des « vieux » européens. Abandonnant apparemment toute la sagesse accumulée de leur continent, tirée de ses guerres et de ses tragédies, et même oublieux de ses meilleurs intérêts, les dirigeants actuels de l'Europe semblent prêts à suivre leurs protecteurs américains pour un autre Jour J, mais, cette fois-ci, J. pour Jugement dernier.
La présence en Normandie d'un dirigeant russe à la recherche de la paix peut-elle faire la différence ? Tout ce qu'il faudrait serait que les médias disent la vérité et que l'Europe engendre des dirigeants raisonnablement sages et courageux, afin que toute cette machine de guerre bidon perde de son éclat et pour que la vérité commence à éclater. Une Europe pacifique est encore possible, mais combien de temps reste-t-il ?Traduit de l'anglais (US) par [JFG-QuestionsCritiques]
Vous avez aimé cet article ?