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Conflict Resolution 101

Il faut parler avec le Hamas

Par Medea Benjamin
CounterPunch, 07 août 2014

article original : "Conflict resolution 101: talk to the Hamas"


Le monde est tenu en haleine pour voir si la trêve temporaire négociée par le ministre américain des Affaires étrangères John Kerry conduira à un cessez-le-feu à long terme. Mais pour que la médiation des Etats-Unis soit sincère et efficace, le gouvernement américain doit retirer le Hamas de sa liste des organisations terroristes et lui permettre d'être pleinement représenté à la table des négociations.

Au cours du dernier mois, le Secrétaire Kerry a voyagé un peu partout au Proche-Orient pour essayer de négocier la fin de la violence. Il a eu des discussions continues avec le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Il consulte régulièrement le Président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Il s'est réuni avec les gouvernements des pays influents de la région, comme l'Egypte, la Turquie et le Qatar. Mais il y a une omission flagrante dans ses efforts en tant que médiateur : il ne parle pas directement au Hamas, qui se trouve sur la liste des organisations terroristes des Etats-Unis depuis 1997.

La résolution des conflits 101 [principe de médiation développé outre-atlantique] dit « négocier avec toutes les parties appropriées ».Le Sénateur George Mitchell, qui a négocié avec succès les Accords du Vendredi Saint en Irlande du Nord, a dit que des négociations sérieuses ne furent possibles qu'une fois que les Britanniques eurent cessé de traiter l'Armée républicaine irlandaise (IRA) comme une organisation terroriste et commencé à négocier avec elle comme une entité politique. Le gouvernement turc a retenu cette leçon plus récemment. Après des décennies à combattre le PKK (le Parti des travailleurs du Kurdistan), le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a décidé de retirer le PKK de la liste des organisations terroristes et entamé des négociations directes avec le dirigeant du PKK emprisonné Abdulhah Öcalan - une mesure qui a donné une seconde vie au processus de paix.

On ne prétend pas être un médiateur et ensuite exclure une partie clé parce qu'on ne les aime pas. Cette leçon s'applique certainement à Gaza. Si la position du Hamas n'est entendue qu'à travers des intermédiaires, celui-ci aura beaucoup plus de chance d'en refuser le résultat. Regardez la proposition de cessez-le-feu de John Kerry le 15 juillet. Il a été négocié avec le gouvernement israélien, et Netanyahou s'est vanté de la bonne volonté d'Israël d'accepter cette proposition. Mais le Hamas n'a jamais été consulté et n'a en réalité entendu parler de la proposition « c'est à prendre ou à laisser » que par les médias. Il ne faut pas s'étonner qu'ils l'aient rejetée. L'ancien rapporteur de l'ONU Richard Falk a comparé les efforts de Kerry à « un analogue diplomatique au théâtre de l'absurde ».

Il ne fait aucun doute que l'aile militaire du Hamas, les Brigades Izz ad-Din al-Qassam, a été impliquée dans des activités terroristes - des attaques suicides en 1990 au lancement de roquettes sur les zones civiles en Israël. Mais le Hamas a une autre aile, d'aide sociale, qui fournit depuis longtemps les services sociaux que l'Autorité palestinienne n'apporte pas bien souvent. Et après avoir remporté les élections de 2006, son aile politique a dû fonctionner comme un gouvernement, supervisant non seulement la sécurité mais aussi des institutions plus prosaïques comme les ministères de la Santé, de l'Education, du Commerce et du Transport. Les membres plus modérés du Hamas tendent à gérer les agences gouvernementales et sont souvent en désaccord avec les membres plus militants. 

Dans l'une des délégations humanitaires de CODEPINK à Gaza, peu après l'incursion terrifiante d'Israël en 2009 qui a laissé plus de 1400 morts palestiniens, j'ai eu une expérience de première main avec quelques-uns de ces responsables du gouvernement lorsqu'ils ont demandé à rencontrer trois membres de notre délégation, dont deux d'entre nous s'étaient explicitement identifiés comme Juifs américains.

Je m'attendais à ce que cette rencontre soit tendue, avec de la rancour exprimée à notre encontre en tant qu'Américains - après tout, notre gouvernement avait financé les dernières opérations - et en tant que Juifs. Non seulement avons-nous été accueillis chaleureusement par ce groupe comptant une douzaine d'hommes environ, mais ils nous ont dit à plus reprises : « Nous n'avons aucun problème avec la religion juive ; en fait nous la trouvons très proche de l'Islam. Notre problème est avec la politique israélienne, pas les Juifs.

J'ai réalisé que le Hamas, à l'instar de toute organisation politique, est constitué d'une variété de personnes ayant des points de vue politiques différents. Certains sont des Islamistes intraitables, hostiles envers l'Occident et portés sur la destruction d'Israël. D'autres, comme ceux que nous avons rencontrés, avaient obtenu des diplômes universitaires dans des universités occidentales, avaient pu apprécier de nombreux aspects de la culture américaine et européenne, et pensaient qu'ils pouvaient négocier avec les Israéliens.

Le lendemain, les dirigeants du Hamas que nous venions de rencontrer me donnèrent une lettre à remettre au Président Obama lui demandant son aide. Elle était signée par le Dr Ahmed Youssef, vice-ministre des Affaires étrangères et principal conseiller du Premier ministre de Gaza Ismaël Haniyeh. Le langage utilisé était dépourvu de tout discours anti-israélien et était à la place inspiré par des références à la loi internationale et aux droits de l'homme. Elle demandait la levée du siège de Gaza, un arrêt de la construction de colonies et un changement de politique de la part des Etats-Unis montrant une impartialité basée sur la loi et les normes internationales. Elle déclarait que le Hamas était prêt à parler à toutes les parties, y compris évidemment Israël, « sur la base du respect mutuel et sans conditions préalables ».

J'ai trouvé qu'il était étonnant que ces représentants d'un gouvernement qui avait été soumis à une attaque brutale récente, financée en grande partie par les contribuables américains, s'en remettaient au Président Obama avec une demande aussi bien raisonnée d'intervenir. Ce qui étaient encore plus étonnant est qu'ils me donnèrent cette lettre, à moi, une féministe, juive, américaine, pour essayer de la remettre à mon gouvernement.

De retour à Washington, j'ai remis la lettre mais, malgré mon insistance, l'administration Obama a même refusé de m'en donner récépissé, et encore plus d'y répondre. C'était un nouveau coup porté aux modérés du Hamas et une victoire pour ceux qui voyaient la résistance armée comme le seul moyen d'obtenir des concessions de la part d'Israël.

Tout comme la lettre qui m'a été remise en 2009, les contre-propositions formulées par le Hamas le mois dernier étaient très raisonnables :

- Le retrait des chars israéliens de la frontière avec Gaza

- La libération des prisonniers arrêtés après le meurtre des trois adolescents

- La levée du siège et l'ouverture des passages frontaliers au commerce et aux personnes, sous la supervision de l'ONU

- La création d'un port maritime et d'un aéroport internationaux sous la supervision de l'ONU

- L'accroissement de la zone de pêche autorisée pour satisfaire les normes internationales

- Le rétablissement d'une zone industrielle et des améliorations pour poursuivre le développement économique de la Bande de Gaza.

Non seulement ces conditions sont raisonnables, mais elles forment la base d'une trêve à long terme qui s'attaque aux problèmes systémiques sous-jacents. La seule façon que cela puisse se produire est que le Hamas soit retiré de la liste des organisations terroristes et qu'on lui donne l'occasion - et la responsabilité - de négocier ces changements systémiques dont les Palestiniens ont tant besoin et qu'ils méritent.

Medea Benjamin est la cofondatrice de l'association pour la paix CODEPINK et de l'association pour les droits de l'homme Global Exchange. 

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]


NOUS RECOMMANDONS ÉGALEMENT LA LECTURE DE :
"Le Conflit Israélo-Palestinien", par Jean-François Goulon (Le Retour aux Sources, 2012). Compilation de textes écrits par les plus grands auteurs juifs (et quelques autres) ayant traité ce sujet et qui retracent l'histoire de ce conflit, depuis les origines cananéennes de la Palestine à sa demande d'adhésion à l'ONU.


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