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Aucune transparence, secret total

Prise de pouvoir à la BCE

Par Mike Whitney
CounterPunch, le 22 novembre 2011

article original"Powergrab at the ECB"

« Le temps s'épuise très vite. Je pense que nous disposons peut-être de quelques mois - voire de quelques semaines ou de quelques jours - avant qu'un risque important de défaut de paiement fondamentalement inutile ne se produise de la part d'un pays comme l'Espagne ou l'Italie, ce qui serait une catastrophe financière entraînant avec elle le système bancaire européen et nord-américain. Par conséquent, ils doivent agit maintenant. »
- Willem Buiter, Chef économiste de Citi

Alors que le boycott des obligations souveraines en Europe s'est étendu depuis le Sud aux pays bénéficiant d'un triple A, comme la Finlande, les Pays-Bas et la France, il est devenu de plus en plus difficile pour les banques et les entreprises d'obtenir du financement à court-terme. Le coût pour échanger des euros contre des dollars augmente régulièrement, tandis que les prêts interbancaires ont commencé à se contracter. Pendant que les banques amassent plus de capital (pour remplir les nouvelles règles) et qu'elles réduisent leurs prêts, les entreprises sont obligées de réduire leurs opérations et de tailler dans leurs investissements. C'est ainsi qu'une crise de la dette se métamorphose en une crise du crédit qui ralentit la croissance et envoie l'économie à toute vitesse vers la récession.

Selon le Financial Times, les quatre plus grosses banques du Royaume-Uni ont déjà réduit « de plus de 24% le volume de leurs prêts interbancaires » - une indication claire de la sévérité de cette crise. Si les décideurs politiques sont incapables de parvenir à un accord sur un remède qui pourrait calmer les marchés, alors les banques continueront de refuser d'acorder des prêts et l'économie plongera.

Vendredi dernier, la BCE a annoncé qu'elle accroîtra son programme de rachat d'obligations à 20 milliards d'euros par semaine afin de stopper la contagion et de soutenir des pays chancelants comme l'Espagne et l'Italie. Voici un extrait de ce qu'à déclaré Bloomberg :

« Alors que la résistance parmi les membres du conseil de BCE s'accroît, les gouverneurs de la Banque Centrale Européenne se sont mis d'accord sur une limite supérieure de 20 milliards d'euros pour acheter des dettes souveraines, a rapporté le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung [FAZ] [.]

« Les membres hollandais et autrichien du conseil de la BCE ont ajouté leurs voix au scepticisme concernant le programme de rachat d'obligations, a déclaré le quotidien. Parmi ceux qui s'opposent à ce rachat, on retrouve le président de la Bundesbank Jens Weidmann, un membre du comité directeur de la BCE, Jürgen Stark, et Yves Mersch, le gouverneur de la banque centrale du Luxembourg, a dit FAZ ».

La bataille entre l'Allemagne - la plus grande économie de la zone euro - et la BCE couve depuis des mois. L'Allemagne est catégoriquement opposée à toute mise en commun des dettes et ne soutiendra donc pas les eurobonds [obligations européennes], les transferts fiscaux ou l'autorisation donnée à la BCE pour agir comme prêteur en dernier ressort. Voici comment le président de la Bundesbank, Jens Weidmann, a résumé la situation dans une récente interview :

« Le système de l'euro[.] ne doit pas être un prêteur en dernier ressort pour les Etats souverains, parce que cela violerait l'Article 123 du traité de l'UE [interdisant le financement monétaire - ou le financement des gouvernements par la banque centrale]. Je ne vois pas comment on peut assurer la stabilité d'une union monétaire en violant ses dispositions légales.

« Je pense que l'interdiction du financement monétaire est très importante pour assurer la crédibilité et l'indépendance de la banque centrale, ce qui nous permet de tenir nos engagements quant à la stabilité des prix. »

Alors que la position allemande repose sur des principes, elle est impraticable. L'Europe est en crise et une ruée bancaire au ralenti se transforme rapidement en panique totale. Il faudra que les décideurs politiques soient flexibles s'ils veulent éviter un nouvel effondrement du type Lehman Brothers.

En contraste, la position de la BCE ne repose pas seulement sur des principes, mais aussi sur des calculs et le cynisme. Tous ceux qui ont suivi les évènements savaient que le fonds d'urgence (le FESF) ne serait jamais prêt à temps pour répondre à la tempête sur le marché obligataire. Les rendements continueraient donc de croître (ce qu'ils ont fait) jusqu'à ce que la BCE apporte une forme de protection. Mais la BCE a retardé son intervention jusqu'à ce qu'elle ait renversé le Premier ministre Silvio Berlusconi et installé son propre agent (Mario Monti) aux commandes de l'Italie pour mettre en ouvre son dictat. Autrement dit, le chef de la BCE, Mario Draghi, a manipulé délibérément les achats d'obligations afin d'effectuer des changements de régime avant de faire un pied de nez à l'Allemagne et faire exactement ce qu'il avait prévu depuis le tout début. Pour ceux qui en doutent encore, qu'ils jètent un coup d'oil sur cet article de Reuters paru vendredi dernier :

« La Banque Centrale Européenne est prête à faire preuve de flexibilité dans sa réponse à la crise de la dette de la zone euro, malgré la résistance bruyante d'un groupe de décideurs politiques de la BCE, conduit par l'Allemagne, au déclenchement d'une puissance de feu implacable dont la BCE a la capacité [.]

« Les responsables de la BCE, en dehors du groupe conduit par les Allemands, sont prêts à se servir du programme controversé de rachat d'obligations pour aider à faire baisser les coûts d'emprunt des gouvernements si ceux-ci atteignent des niveaux insoutenables, ainsi que l'Italie en fait actuellement l'expérience [.]

« Les responsables de la BCE ont accueilli favorablement la nomination de Mario Monti comme nouveau Premier ministre de l'Italie et ils ont hâte que son administration tienne ses engagements en ce qui concerne les mesures d'austérité pour rétablir la confiance dans les finances publiques italiennes en piteux état [.]

« Marko Franjec, patron de la banque centrale slovène et membre, comme Weidmann, du Conseil des 23 Gouverneurs de la BCE, a déclaré à Reuters samedi dernier que les réformes d'austérité de l'Italie vont dans la bonne direction et que la BCE était prête à soutenir les emprunteurs souverains tant que cela ne met pas en danger la stabilité des prix.

« Nous sommes flexibles », a dit Kranjec. Il a refusé de commenter en détail les rachats d'obligation par la BCE mais il a dit qu'ils iraient « aussi loin que nécessaire ». (« Analyse : malgré le tapage, la BCE est prête à faire preuve de flexibilité par rapport à la crise », Reuters)

« Aussi loin que nécessaire ? » La question a donc été déjà tranchée ?

Voyez-vous de quoi il retourne ? Draghi est ses cohortes de banquiers n'ont jamais eu la moindre intention de suivre les termes du traité. (« Pas de renflouement ») C'est juste un jeu énorme. Ils avaient seulement besoin de temps pour chasser Berlusconi et installer leur propre régime fantoche avant de passer au festin de rachat d'obligations. Voici encore ce que dit Reuters :

« Les responsables de la zone euro et le Fonds Monétaire International ont discuté de l'idée que la Banque Centrale Européenne prête au FMI afin d'apporter les fonds suffisants pour renflouer jusqu'aux plus gros Etats souverains de la zone euro, ont déclaré des officiels [.]

« Mais le règlement de l'UE interdit à la BCE de financer les emprunts des gouvernements [.] Les décideurs politiques ont par conséquent discuté de la manière d'impliquer la BCE pour combattre la crise sans remettre en cause son indépendance. Prêter de l'argent au FMI, plutôt qu'à tout gouvernement de la zone euro, pourrait y parvenir, ont dit des officiels [.]

« L'Art. 23 des statuts de la BCE stipule que « la BCE peut conduire tous types de transactions bancaires en relation avec des pays tiers et des organisations internationales, y compris des opérations pour emprunter ou accorder des prêts ».

Le FMI pourrait donc se servir de l'argent de la BCE pour financer diverses opérations de sauvetage dans la zone euro, comme des plans de renflouement, des lignes de crédit préventives, de son propre chef ou en coopération avec le FESF.

« C'est faisable », a dit un deuxième officiel de la zone euro. Deux autres responsables de la zone euro ont dit qu'ils avaient entendu parler de cette idée. » (La BCE pourrait prêter au FMI pour sauver la zone euro : officiels », Reuters)

A-t-on une idée à quel point ces individus sont malhonnêtes ? Les traités ne signifient rien pour eux : ce sont juste des inconvénients qui peuvent être balayés d'un revers de main, chaque fois qu'ils le décident. Et c'est la façon dont les eurocrates conduisent toutes leurs affaires. Prenez juste en considération la proposition pour un Mécanisme Européen de Stabilité[1]. Le MES est censé créer une facilité permanente pouvant fournir des prêts aux pays qui sont dans la détresse à cause des taux d'intérêts croissants sur les obligations souveraines. Mais le véritable objectif du MES est d'établir une autorité fiscale supra-nationale dont les directeurs et le personnel partagent une « immunité absolue par rapport à toute forme de processus judiciaire ». Le MES est essentiellement un gouvernement invisible disposant d'un pouvoir hors de tout contrôle, afin de mettre en oeuvre la politique des banksters et des bureaucrates non élus.

Le MES crée la base légale d'une dictature de l'UE. Si le traité est ratifié, le MES sera capable de tirer d'un pot commun 700 milliards d'euros pour acheter les obligations souveraines des pays en difficulté. Mais ce n'est que le début, parce que, selon l'Article 10 : « Le conseil des gouverneurs [.] peut décider de la modification du capital autorisé et d'amender l'Article 8 [.] en conséquence ». Autrement dit, les gérants de ce fonds sont libres d'accroître le montant du fonds à chaque fois qu'ils le veulent, et il est demandé « irrévocablement et inconditionnellement » à chacun des Etats d'apporter l'argent.

Qu'en est-il de la démocratie ?

Que se passera-t-il si un pays est incapable d'apporter cet argent supplémentaire au MES - ou qu'il ne le veuille pas ?

Eh bien, selon l'Article 27, (intitulé) « Le Statut Juridique, Privilèges et Immunités » [.] « Le MES aura l'entière personnalité juridique, il aura la pleine capacité légale pour [.] être partie dans les procédures juridiques ». Le MES a donc le droit de poursuivre les pays et de leur réclamer des indemnités s'ils ne satisfont pas aux conditions de ce contrat.

D'un autre côté, ni le MES ni l'un de ses directeurs ou personnel ne peut être poursuivi quelle que soit l'infraction commise. Ils bénéficient d'une immunité totale par rapport aux actions menées par les branches exécutives, judiciaires ou législatives du gouvernement. Ce traité abroge avant tout les statuts civils et criminels pour tous ceux qui sont liés à ce fonds. Visez un peu ! :

Article 27 - Le MES, sa propriété, son financement et ses actifs bénéficieront d'une immunité par rapport à toute forme de procédure judiciaire.

Article 27 (suite) : La propriété, le financement et les actifs du MES ne pourront [..] faire l'objet de recherche, d'enquête, de confiscation, d'expropriation ou de toute forme de saisie, par une action exécutoire, administrative ou législative.

Article 30 : Immunités des personnes : 1- Les gouverneurs, les gouverneurs remplaçants, les directeurs, les directeurs remplaçants, de même que le Directeur général et les autres membres du personnel seront à l'abri de toute procédure légale par rapport aux actions qu'ils auront exécutées [.] et ils bénéficieront de l'inviolabilité pour ce qui est de leurs papiers et de leurs documents officiels.

Toute personne travaillant pour le MES ne peut être tenue responsable de quoi que ce soit, peu importe la flagrance du crime. Et toute documentation personnelle et officielle peut ne pas être divulguée au public. Pas la moindre transparence, secret total.

Naturellement, les banksters, les politiciens et autres élites essayent de précipiter cette abomination au travers d'un processus de ratification avant que le public ne réalise ce qu'il contient réellement. Ils font la promotion du MES comme s'il s'agissait d'un outil essentiel pour répondre aux crises potentielles dans le futur. Mais n'en croyez rien ! Les grosses légumes [et autres barons voleurs] sont juste en train de mettre au point une nouvelle série de pillage.

Traduit de l'anglais (US) par [JFG-QuestionsCritiques]

Notes :
__________________________

[1] Le mécanisme européen de stabilité (MES) est un dispositif de gestion des crises de la zone euro qui doit remplacer le Fonds européen de stabilité financière (FESF) et le Mécanisme européen de stabilité financière (MESF) en 2013. L'idée d'un tel système est né de la crise de la Grèce en 2010.

Le 21 mars, les ministres des Finances de la zone euro sont parvenus à un accord sur les modalités de fonctionnement du Mécanisme européen de stabilité (MES). Destiné à soutenir les Etats membres de la zone euro sur lesquels pèsent des difficultés financières importantes, cet organe de coopération intergouvernementale sera opérationnel dès juillet 2013.

Le communiqué de presse officiel :

Réunis en Eurogroupe exceptionnel les ministres des Finances de la zone euro ont trouvé un accord le 21 mars 2011 sur les principes du futur Mécanisme européen de stabilité (MES) qui sera mis en ouvre à compter de juillet 2013. Cet instrument intergouvernemental a pour objet de refinancer des États membres de la zone euro et bénéficiera, à cet effet, d'une garantie de 500 milliards d'euros apportée par l'ensemble de ces États. D'autres États européens dont la monnaie n'est pas l'euro souhaitant témoigner de leur solidarité pourront y contribuer.

Une institution internationale établie par traité

Le MES est destiné à remplacer le fonds européen de stabilisation financière à partir de la mi-2013. Organisation nouvelle de droit public international établie par un traité entre les États membres de la zone euro, son but est d'apporter une assistance financière aux États de la zone euro touchés ou menacés par de sévères difficultés financières afin de sauvegarder la stabilité financière de la zone euro dans son ensemble. Les décisions les plus importantes seront adoptée par consensus par un Conseil des gouverneurs composé des ministres des Finances de la zone euro. Ce consensus se fera sur la base d'une analyse de soutenabilité de la dette de l'État membre concerné, réalisée par la Commission européenne et le Fonds monétaire internationnal (FMI), en liaison avec la Banque centrale européenne (BCE)

Une institution disposant d'une capacité d'intervention financière adossée à deux instruments

Le MES sera doté d'une capacité d'intervention financière effective de 500 milliards d'euros qui sera assurée grâce à la constitution d'un capital total de 700 milliards d'euros, composé de 80 milliards d'euros de capital libéré et de 620 milliards d'euros de capital appelable.

40 milliards d'euros de capital libéré seront disponibles dès juillet 2013, la mise à disposition des 40 milliards d'euros autres s'étalera sur les trois années suivantes. Chaque État contribuera au capital du MES en fonction d'une clef de répartition basée sur les contributions au capital de la BCE ajustée marginalement pour tenir compte de la richesse relative des pays. Pour la France, cela impliquera une contribution proche de 20 % de ce montant total.

Une institution travaillant en étroite collaboration avec le FMI

Le MES coopérera étroitement avec le FMI, afin de définir conjointement les programmes d'ajustement et de coordonner les modalités d'assistance financière, dont la tarification et les échéances des prêts. En outre, l'intervention du MES s'accompagnera d'une participation du secteur privé, conformément aux pratiques du FMI. Afin de faciliter la participation du secteur privé, des clauses d'action collectives identiques et standardisées seront, par ailleurs, introduites dans tous les obligations souveraines de la zone euro pour des maturités dépassant un an et à compter de juillet 2013.




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