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Les drapeaux noirs flottent sur Mossoul

Par Mike Whitney
CounterPunch, le 15 juin 2014

article originalBlack Flags Over Mosul


L'ensemble de Mossoul est tombé aujourd'hui. Nous avons fui nos maisons et nos quartiers et nous nous en remettons à la merci de Dieu. Nous attendons de mourir.
- Mahmoud Al Taie, habitant de Mossoul, Wall Street Journal

Mardi, une armée de combattants sunnites affiliés à al-Qaïda a traversé la frontière syrienne pour entrer en Irak. Ils ont mis la main sur la deuxième plus grande ville du pays, Mossoul, mettant en fuite les unités défensives des forces de sécurité irakiennes, ainsi que 500.000 civils à la recherche d'un abri. La vaste campagne inattendue orchestrée par les Djihadistes a réduit à néant la politique du Président Barack Obama au Moyen-Orient et créé une crise d'une ampleur incalculable. Le gouvernement américain sera désormais forcé de concentrer son attention et ses ressources sur ce nouveau point chaud, espérant pouvoir empêcher cette milice improvisée de marcher sur Bagdad et de renverser le régime de Nouri al-Maliki.

Les évènements sur le terrain avancent à une vitesse folle alors que les extrémistes ont étendu leur emprise au lieu de naissance de Saddam Hussein, Tikrit, et au nord de Baji, berceau de la plus grande raffinerie irakienne. Le lien politique ténu qui maintenait l'Irak uni s'est rompu, rapprochant encoreplus ce pays d'une guerre civile à grande échelle. Voici ce qu'en dit le New York Times :

"Les militants ont libéré des milliers de prisonniers et pris le contrôle de bases militaires, de postes de police, de banques et des sièges provinciaux, avant de hisser le drapeau noir du groupe djihadiste « Etat Islamique en Irak et au Levant » au-dessus des bâtiments publics. Les corps de soldats, de policiers et de civils jonchent les rues."

"Après avoir consolidé le contrôle de la province de Ninive à majorité sunnite, des hommes en armes se sont engagés sur la route principale en direction de Bagdad », ont déclaré des fonctionnaires irakiens, « ils avaient déjà pris le contrôle de plusieurs parties de la Province de Salahdin."

Les forces de sécurité irakiennes - dont l'entraînement par l'armée américaine aurait coûté dans les 20 milliards de dollars - ont baissé les armes et se sont enfuis au premier signe de troubles. A présent, les rues, les bâtiments publics, les écoles, les hôpitaux, les aéroports et les installations militaires sont entre les mains du groupe dissident d'al-Qaïda, appelé « Etat Islamique en Irak et au Levant » (EIIL). Ce groupe est maintenant en possession d'hélicoptères et de chars que les soldats de Maliki ont laissés derrière eux.

Des dizaines de milliers de civils ont quitté la ville en voiture ou à pied, transportant tout ce qu'ils pouvaient dans des petites malles et des sacs plastiques. Les stations de radio irakiennes rapportent que les routes et les barrages routiers sont bouchés par les gens en fuite à la recherche d'une refuge à Tikrit ou à Bagdad. Selon Bloomberg, « L'ouest de Mossoul est jonché de morts tombés dans les combats. La ville est vide et la plupart des boutiques sont fermées ».

Dans une tentative désespérée d'inverser les développements sur le terrain, le Premier ministre Nouri al-Maliki s'est exprimé sur les ondes pour exhorter tous les hommes à se porter volontaires pour se battre, promettant de fournir armes et équipement. Le Premier ministre a également pressé le parlement à déclarer l'état d'urgence, dans le cadre de l'effort « pour affronter cette attaque féroce qui nuit à tous les Irakiens ».

"Nous ne permettrons pas à ce qui reste de la Province et de la ville de tomber", a-t-il déclaré dans un discours diffusé sur la télévision d'Etat irakienne » (CNN). Al-Maliki a ensuite demandé aux Etats-Unis de mener "des frappes aériennes avec des drones ou des avions de combat contre les ramifications des militants sur le territoire irakien".

Jeudi matin, Obama n'avait pas répondu à la demande du président dans la tourmente. Les Etats-Unis n'ont pas connu une débâcle aussi spectaculaire en matière de politique étrangère depuis le retrait de Saigon en avril 1975. La chute de Mossoul n'est pas un revers mineur qui pourrait être corrigé en déployant des forces spéciales et en larguant quelques bombes sur des cibles à Mosul. Nous assistons à un effondrement politique total qui illustre les points faibles de la Guerre contre a terreur. L'invasion et l'occupation américaines de l'Irak est entièrement responsable des problèmes qui tourmentent aujourd'hui l'Irak. Il n'y avait aucun groupe de terroristes armés qui traînaient dans l'arrière-pays pour le dévaster avant l'invasion des USA. Tous les problèmes de l'Irak remontent à cette sanglante intervention qui a laissé le pays dans le chaos.

Obama enverra-t-il des troupes en Irak pour combattre des Djihadistes et inverser la situation sur le terrain ? Pour le faire, il a d'abord besoin du feu-vert du Congrès, ce qui n'est pas assuré. Il devrait également préparer ses camarades du parti démocrate à une raclée électorale comme ils n'ont jamais connu lors des élections de mi-mandat. Le peuple américain n'a jamais soutenu le bourbier en Irak. La perspective de recommencer la guerre afin de vaincre les radicaux que l'administration américaine a elle-même créés à travers sa politique désastreuse consistant à armer les terroristes  est certaine de connaître une très large résistance et d'être vilipendée. Les Américains se sont désintéressés de cette guerre qui devait être du gâteau. Ils ne supporteront pas une redite.

Les médias ont déjà commencé avec enthousiasme à pointer un doigt accusateur. Cette fois-ci, le grand méchant n'est pas « Hitler » Poutine, mais il est représenté par les services de sécurité irakiens qui se sont fait la malle à la première salve de mitraille. Les observateurs plus objectifs décèleront toute l'ironie de la situation. L'explosion du radicalisme armé au Moyen-Orient est la conséquence inévitable de l'ingérence, de l'intervention et de l'occupation américaines. Une belle démonstration d'effet boomerang comme les opposants à la guerre l'avaient prédit. Obama et Bush ont réussi ce que Ben Laden n'aurait même pas osé rêver : une ville de deux millions d'habitants tombée entre les mains de sa progéniture extrémiste tandis que Washington, sur la touche, observe impuissant. C'est ce que l'on appelle un échec avec un « grand E ». Voici un aperçu selon Bloomberg :

"Des combattants d'un groupe séparatiste d'al-Qaïda sont en position de s'emparer des infrastructures irakiennes liées à l'énergie après avoir pris le contrôle de Mossoul, dans une attaque qui met en lumière l'emprise de plus en plus faible du Premier ministre Nouri al-Maliki sur son pays. [.] Le lendemain après que la guérilla a chassé les soldats et la police de la deuxième plus grande ville d'Irak, des conflits été rapportés à Baji, au nord de Badgad et berceau de la plus grosse raffinerie d'Irak."

Regardons les choses en face ! Si l'EIIL commence à prendre les pipelines et les installations pétrolières autour de Mossoul, cela en sera fini des USA. Les contrats à terme sur le pétrole vont s'envoler, les marchés vont s'effondrer et l'économie mondiale rechutera dans une sévère récession. Obama ne dispose que d'une toute petite fenêtre pour inverser la dynamique actuelle ou, alors, l'addition sera très, très salée. Voici ce que dit un rapport de l'ISW, l'institut de recherche sur la guerre, paru le 10 juin :

"L'EIIL n'est plus une simple organisation terroriste. C'est une force militaire conventionnelle qui tient un territoire et qui revendique d'en gouverner une partie. La campagne de Mossoul a été très bien planifiée et a nécessité des années pour en établir les conditions. [.] Ces opérations lui ont permis de couper les médias de la ville, d'y limiter les activités des forces de sécurité irakiennes et d'y gagner une liberté de mouvement. [.] L'EIIL a préparé le terrain pour la prise de Mossoul, sa zone de contrôle, le 10 juin au matin, l'appréciation de ses propres attaques et son aspiration à gouverner l'Irak et la Syrie."

Ce rapport suggère que l'EIIL n'est pas un amalgame disparate de fanatiques enragés, mais une milice moderne disciplinée et très motivée avec des objectifs politiques et territoriaux clairement exposés. Si c'est le cas, alors il est probable, après tout, qu'ils ne marcheront pas sur Bagdad, mais qu'ils resserreront leur emprise sur les régions à majorité sunnite, établissant ainsi un Etat dans l'Etat. Et c'est précisément la raison pour laquelle l'administration Obama pourrait choisir de rester en dehors de cette conflagration, parce que les buts de l'EIIL coïncident avec un plan américain similaire de créer une « partition molle » qui remonte à 2006.

Ce plan a d'abord été proposé par Leslie Gelb, l'ancien président du CFR (Council of Foreign Relations), et Joe Biden, alors sénateur. Selon le New York Times, ce soi-disant plan de partition molle [.] appelle à la division de l'Irak en trois régions semi-autonomes [.] Il y aurait un Kurdistan, un « Chiistan » et un « Sunnistan » libres, tous regroupés sous une grande, et faible, entité irakienne.

Et voilà pourquoi les Etats-Unis ne déploieront probablement pas de troupes pour affronter les combattants sunnites à Mossoul. C'est parce que les objectifs stratégiques de l'administration Obama et ceux des terroristes sont presque identiques. Ce qui ne devrait surprendre personne.

Traduit de l'anglais (US) par [JFG-QuestionsCritiques]




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