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DSK : L'establishment élimine une menace

Par Paul Craig Roberts
InfoWars, 21 mai 2011

article original : "The Establishment Eliminates A Threat "


La police et les médias dévoyés ont rendu impossible un procès équitable pour Dominique Strauss-Kahn. Dès le moment de l'annonce de son arrestation sur présomption d'agression sexuelle contre une femme de chambre et, avant même qu'il ne soit inculpé, les comptes-rendus diffusés par la police étaient destinés à créer l'impression que le directeur général du Fonds Monétaire International était coupable. Par exemple, la police a déclaré à la presse, qui l'a régurgité comme prévu au public, que Strauss-Kahn était tellement pressé de fuir la scène du crime qu'il a laissé derrière lui son téléphone portable. La police a également propagé l'histoire qu'ils ont réussi à attraper le violeur en fuite juste au moment où son avion s'envolait pour la France, après avoir appelé les compagnies aériennes et demandé les listes des passagers.

Une juge de New York a refusé de libérer Strauss-Kahn sous caution sur la base d'une déclaration inexacte de la police, selon laquelle il avait été appréhendé alors qu'il s'enfuyait du pays.

Une fois incarcéré, la police a annoncé que Strauss-Kahn était placé sur surveillance anti-suicide, ce qui est une façon de laisser entendre au public que le violeur accusé pourrait attenter à sa propre vie, afin d'éviter l'humiliation publique d'une sentence de culpabilité prononcée par un jury.

Mais ce qui s'est réellement passé, à supposer que l'on peut apprendre quoi que ce soit des reportages de presse, est que Strauss-Kahn, à son arrivée à l'aéroport JFK pour prendre son vol régulier, a découvert qu'il n'avait pas son téléphone portable et a téléphoné à l'hôtel, la scène du crime présumé. Il est inimaginable que l'on puisse penser qu'une personne qui est en train de fuir son crime appelle la scène du crime, s'enquiert du téléphone portable qu'il a oublié et dise où il se trouve.

Ensuite, dans un enchaînement rapide, sentant l'orchestration à plein nez, une jeune femme française est entrée en scène et a déclaré avoir été presque violée par Strauss-Kahn, il y a dix ans. A suivi Kristin Davis, la maquerelle de Manhattan qui employait la prostituée qui fit tomber Eliot Spitzer avant qu'il ne puisse attraper les banksters de Wall Street, laquelle a annoncé que l'une de ses call-girls avait refusé d'offrir une deuxième fois ses services à Strauss-Kahn, parce qu'il était trop brutal dans l'acte [sexuel]. [1]

Avec la saison de la chasse qui est ouverte, toute femme dont la carrière bénéficierait de publicité ou dont le compte en banque accueillerait chaleureusement une belle indemnité, peut s'avancer et prétendre avoir été la victime ou la quasi-victime de Strauss-Kahn.

Il ne s'agit pas de nier que Strauss-Kahn puisse avoir un appétit démesuré pour le sexe qui l'a fait tomber. Mais il faut dire que bien longtemps avant que le jury n'entende la femme de chambre ou un accusateur public s'exprimant en son nom, « laquelle est trop traumatisée pour comparaître devant la cour »,celui-ci a été programmé pour prononcer un verdict de culpabilité.

Pourquoi aurait-il voulu s'enfuir s'il n'avait pas fait [ce qu'on lui reproche] ?

Regardez un peu toutes les femmes qu'il a accostées ! Voyez [son] tableau [de chasse] !

J'ai [déjà] écrit sur les anomalies de cette affaire. L'une des plus frappantes est le reportage confirmé dans la presse française et britannique, selon lequel un militant [UMP] du Président français Sarkozy, Jonathan Pinet, a twitté l'info de l'arrestation de Strauss-Kahn à Arnaud Dassier, un conseiller en propagande de Sarkozy, avant que la nouvelle ne soit annoncée par la police de New York.

L'explication de Pinet, sur la raison pour laquelle il a été le premier à savoir, est qu'un « ami » se trouvant à l'Hôtel Sofitel, où le crime présumé se serait produit, le lui a dit. Est-ce une simple coïncidence que les hommes assignés à la tâche de supprimer la menace Strauss-Kahn à la réélection du Président Sarkozy avaient un indicateur de leurs amis dans l'Hôtel Sofitel ? La police a-t-elle informé cet « ami » avant de rendre leur annonce publique ? Si cela est vrai, alors pourquoi ?

Ce qui me dérange dans l'affaire Strauss-Kahn est que si la police détient des preuves qui soutiennent leur insistance sur la culpabilité de celui-ci, il est inutile pour la police de piéger Strauss-Kahn dans les médias. Généralement, ce genre de traquenard ne se produit que lorsqu'il n'y a aucune preuve ou lorsque la preuve doit être fabriquée et qu'elle ne peut pas résister à un examen.

En tant que personne ayant fait carrière à Washington, je trouve d'autres aspects de cette affaire dérangeants. Strauss-Kahn est apparu comme une menace à l'establishment. Les sondages montraient qu'en tant que candidat socialiste, il était le grand favori pour vaincre le candidat [des] américain[s], Sarkozy, dans l'élection présidentielle à venir en France. Peut-être n'était-ce qu'une posture électorale pour vaincre Sarkozy, mais Strauss-Kahn avait indiqué qu'il avait l'intention d'éloigner le FMI de sa politique passée, consistant à faire payer aux pauvres les erreurs des riches. Il parlait de renforcer les négociations collectives et de restructurer les crédits immobiliers, les taxes et les politiques budgétaires afin que l'économie serve les gens ordinaires et non plus les banksters. Strauss-Kahn avait dit que la régulation devait être rétablie pour les marchés financiers et cela impliquait la nécessité d'une distribution plus équitable des revenus.

Ces remarques, doublées d'une probable victoire électorale contre Sarkozy en France, faisait de Strauss-Kahn un double danger pour l'establishment. Une troisième raison militant contre lui était le rapport récent du FMI, selon lequel la Chine dépasserait les Etats-Unis en tant que première économie mondiale dans les cinq ans.[2]

Ceux qui n'ont pas passé leur vie professionnelle à Washington peuvent ne pas comprendre la menace que représentait pour Washington ce rapport du FMI. Qu'il le mérite ou non, le FMI est très crédible. En plaçant la Chine comme puissance économique numéro un d'ici à la fin du prochain mandat présidentiel américain, le FMI a enfoncé une dague dans le cœur de l'hégémonie américaine. La puissance de Washington est basée sur la suprématie économique de l'Amérique. Ce rapport du FMI disait que cette suprématie approchait de la fin.

Ce genre d'annonce dit au monde politique que, ainsi que le titre est formulé, « l'ère de l'Amérique est terminée ». Pour la première fois depuis des décennies, d'autres pays peuvent voir la perspective d'échapper à la domination étasunienne. Ils n'ont pas besoin d'être des Etats fantoches, faisant partie de l'empire hégémonique. Ils voient la perspective de servir leurs propres peuples et leurs propres intérêts à la place de ceux de Washington. Les pays européens, par exemple, obligés de combattre pour Washington en Afghanistan et en Libye, voient la lumière au bout du tunnel. Ils peuvent désormais envisager de le refuser.

Bien que riche et membre de cet establishment, et indépendamment de son comportement envers les femmes, Strauss-Kahn a commis l'erreur de révéler qu'il pouvait avoir une conscience sociale. C'est soit cette conscience sociale, soit la soif de pouvoir qui l'a conduit à contester la suprématie de l'Amérique. Ceci est un crime impardonnable pour lequel il est actuellement puni.

Mon ami, Alexander Cockburn, une personne intelligente et civilisée, ridiculisé par la droite comme étant un communiste, n'a pas mon expérience à Washington. C'est pourquoi il pense que les faits sortiront, bien qu'il semble préférer qu'ils sortent en faveur de la femme de chambre qu'en faveur de Strauss-Kahn.[4]

Si Alex[3] est le Bolchevik que l'on prétend qu'il serait, il saurait qu'aucune personnalité de haut rang qui sert l'establishment ne serait détruite sur la base de la parole d'une femme de chambre immigrée vivant dans un appartement en sous-location dans un immeuble pour victimes du sida. La notion même que l'establishment étasunien aurait soif de justice à ce point est une absurdité totale. Les Américains sont tellement indifférents à la justice que le public américain ignore les centaines de milliers et millions de villageois, femmes, enfants et vieillards, qui sont assassinés, mutilés, dépossédés et déplacés par l'armée américaine en Irak, en Afghanistan, au Pakistan, au Yémen, en Libye, en Somalie et partout où Washington et le complexe militaro-sécuritaire, tout en se nourrissant de puissance et de profits, peut prétendre protéger les Américains des « terroristes » ou amener la démocratie aux barbares.

Le système criminel américain est rongé par les erreurs judiciaires et empeste l'injustice. Les Etats-Unis ont un taux d'incarcération bien plus élevé que les régimes autoritaires présumés, comme la Chine, et ils détruisent de façon routinière les vies de jeunes gens, et même les mères de jeunes enfants, pour leur usage des drogues.

L'inculpation de Strauss-Kahn sert les besoins émotionnels des conservateurs, des gauchistes et des féministes, de même que les agendas de l'establishment. Les conservateurs n'aiment pas les Français, parce qu'ils n'ont pas soutenu l'invasion étasunienne de Irak. Les gauchistes n'aiment les riches hommes blancs et les fonctionnaires du FMI, et les féministes n'aiment pas les coureurs de jupons. Mais même si l'affaire du gouvernement se désagrège devant le tribunal, Strauss-Kahn a été retiré de la course présidentielle française et du FMI. Ceci est le cœur de cette affaire, pas de rendre la justice à une immigrée.

De nombreux Américains sont incapables de comprendre que les autorités puissent supprimer une menace en montant un traquenard. Pourtant, bien pire s'est déjà produit. Francesco Cossiga, ancien président italien, a révélé que de nombreux attentats à la bombe en Europe, durant les années 60, 70 et 80, qui étaient attribuées aux communistes, étaient en fait des opérations « montées de toutes pièces » et entreprises par la CIA et les services secrets italiens, afin d'effrayer les électeurs pour qu'ils ne votent pas communiste. Les révélations de Cossiga ont provoqué une enquête parlementaire dans laquelle l'agent secret Vincenzo Vinciguerra a déclaré : « Il fallait attaquer des civils, le peuple, des femmes, des enfants, des gens innocents, des inconnus très éloignés de tout jeu politique. La raison était assez simple : forcer le public à se tourner vers l'Etat pour une plus grande sécurité. »

Si les gouvernements démocratiques tuent des innocents pour des raisons politiques, pourquoi ne monteraient-ils pas une cabale contre quelqu'un ? Qu'il soit innocent ou coupable, Strauss-Kahn a été piégé en avance de son procès.

Le Dr Paul Craig Roberts est le père des Reaganomics et l'ancien chef politique au Département du Trésor US. Il est aujourd'hui chroniqueur après avour été rédacteur en chef au Wall Street Journal.

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]


Notes :
_____________________

[1] Kristin Davis: La maquerelle de Manhattan "qui fournissait des escortes à Dominique Strauss-Kahn", par Andrew Hough, The Telegraph, 19 mai 2011

[2] http://www.marketwatch.com/story/imf-bombshell-age-of-america-about-to-end-2011-04-25

[3] Alex Jones (Alexander Emerick Jones) est un animateur de radio, réalisateur et acteur américain. Il anime le réseau PrisonPlanet. La presse le décrit comme proche de l'extrême droite, conservateur et théoricien du complot. Il se considère lui-même comme libertarien ainsi que paléo-conservateur et constitutionnaliste, il rejette la proximité qui lui est attribué avec l'extrême droite.

[4] Alexander Cockburn, DSK a-il été victime d'un coup monté ?, CounterPunch, le 20 mai 2011.


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