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L'Empire auquel on doit obéir

Qu'est-ce qui donne aux Etats-Unis le droit
de prétendre au monopole moral sur le monde ?

Par Paul Craig Roberts
CounterPunch, 13 janvier 2008

article original : "What Gives the US the Right to Claim a Moral Monopoly Over the World?"

"L'usage en premier des armes nucléaires doit rester, lors de
frémissements d'une escalade, l'instrument ultime pour
empêcher l'usage d'armes de destruction massive".
— Cinq dirigeants militaires occidentaux.

J'ai lu cette déclaration trois fois, en essayant de voir où était la coquille. Puis, cela m'a refroidi, l'Ouest vient de dépasser Orwell : L'Occident doit atomiser les autres pays afin d'empêcher l'utilisation d'armes de destruction massive ! En langage occidental, l'Ouest atomisant d'autres pays n'est pas qualifié d'utilisation d'armes de destruction massive.

Cette déclaration incroyable provient d'un document préparé par cinq dirigeants militaires - un Américain, un Allemand, un Néerlandais, un Français et un Britannique - en vue du sommet de l'Otan qui se tiendra en avril [à Bucarest].[1]

Ce papier, préparé par des hommes considérés comme des dirigeants distingués et non pas comme des échappés d'un asile de fous, argumente que "les valeurs et la façon de vivre occidentales sont menacées, mais l'Ouest lutte pour appeler à la volonté de les défendre". Ces dirigeants trouvent que l'Onu se trouve en travers du chemin de la volonté occidentale, comme l'est l'Union Européenne qui obstrue l'Otan, et, "la crédibilité de l'Otan est en jeu en Afghanistan".

Et c'est un sujet sérieux. Si l'Otan perd sa crédibilité en Afghanistan, la civilisation occidentale s'effondrera, exactement comme l'Union Soviétique. L'Ouest ne réalise tout simplement pas à quel point il est faible. Pour se renforcer, il doit larguer plus de bombes et ces bombes doivent être plus grosses.

Le dirigeant militaire allemand accuse le gouvernement Merkel de contribuer à l'incapacité de l'Ouest de défendre ses valeurs en se mettant en travers du chemin du renouveau du militarisme allemand. Comment l'Allemagne peut-elle être un "partenaire fiable" pour l'Amérique, demande-t-il, si le gouvernement allemand insiste sur des "règles spéciales" limitant l'usage de ses forces en Afghanistan dans les combats ?

Ron Asmus, le chef du Fonds Marshall Allemand et ancien fonctionnaire au département d'Etat américain, a accueilli favorablement ce papier comme étant "un signal de réveil". Asmus veut dire un signal de réveil sur les menaces provenant de ce monde brutal, pas sur la folie des dirigeants occidentaux.

Qui ou quoi menace les valeurs et la façon de vivre occidentales ? Le fanatisme politique, le fondamentalisme religieux et la propagation imminente des armes nucléaires, répondent en cœur les cinq échappés de l'asile de fous.

Par fanatisme politique, veulent-ils dire les néoconservateurs qui croient que l'avenir de l'humanité dépend de l'établissement de l'hégémonie étasunienne sur le monde ? Par fondamentalisme religieux, veulent-ils dire "les évangélistes extatiques" qui font campagne pour l'Armageddon, ou les sionistes chrétiens et israéliens qui exigent une attaque nucléaire contre l'Iran ? Par propagation des armes nucléaires, entendent-ils la possession non-déclarée et illégale par Israël de plusieurs centaines d'armes nucléaires ? Non. Ces dirigeants militaires paranoïaques voient tout le fanatisme, religieux ou autre, et toutes les menaces contre l'humanité comme résidant hors de la civilisation occidentale (dont Israël fait partie). Le "monde de plus en plus brutal", dont ces dirigeants nous mettent en garde, se trouve "là-bas". Seuls, les Musulmans sont des fanatiques. Nous tous, les p'tits gars blancs, sommes rationnels et sains d'esprit.

Il n'y a rien de brutal concernant le bombardement de la Serbie, de l'Irak et de l'Afghanistan par les Etats-Unis et l'Otan ou le bombardement du Liban par Israël ou le nettoyage ethnique de la Cisjordanie par les Israéliens ou le génocide qu'Israël espère commettre contre les Palestiniens à Gaza.

Tout ceci, ainsi que le bombardement de la Somalie par l'Amérique, les donjons de torture de l'Amérique, les procès spectacles de "détenus", le renversement de gouvernements élus et l'installation de dirigeants fantoches, est la réponse nécessaire de l'Occident pour tenir ce monde brutal à distance.

Des choses brutales se produisent dans ce "monde brutal" et elles sont entièrement la faute de ceux qui se trouvent dans ce monde brutal. Rien de ceci n'arriverait si les habitants de ce monde brutal faisaient ce qu'on leur demande. Comment le monde civilisé, avec son monopole sur la morale, peut-il permettre aux gens de ce monde brutal de se comporter de façon indépendante ? Oui, vraiment ! Que Dieu nous en préserve, ils pourraient attaquer quelque pays innocent.

Ce "monde brutal" consiste en ces fanatiques immoraux qui s'opposent à leur marginalisation par l'Ouest et qui répliquent aux bombardements aériens massifs et à la mort et à la destruction qui leur sont infligées au moyen d'une myriade de façons de s'attacher une bombe suicide.

Incapables d'imposer leur volonté aux pays qu'ils ont envahis avec des armes conventionnelles, les dirigeants militaires occidentaux sont désormais prêts à forcer la conformité avec la volonté du monde moral en menaçant d'atomiser ceux qui leur résistent. Vous voyez, puisque l'Ouest a le monopole de la moralité, de la vérité et de la justice, ceux du monde extérieur sont évidemment diaboliques, cruels et brutaux. Par conséquent, comme le Président Bush nous le raconte, c'est un simple choix entre le bien et le mal et il n'y a pas de meilleur candidat pour être atomisé que le mal. Plus vite nous pourrons nous débarrasser de ce monde brutal, plus vite nous aurons "la liberté et la démocratie" partout sur ses restes.

Pendant ce temps, les Etats-Unis, la grande lumière morale qui brille sur le monde, viennent juste d'empêcher les Nations-Unies de censurer Israël, l'autre grande lumière morale du monde, pour avoir coupé les approvisionnements alimentaires, les médicaments et l'énergie électrique à Gaza. Vous voyez, Gaza se trouve dans le monde extérieur et il est le foyer des méchants. De plus, les Palestiniens cruels ont roulé les Etats-Unis lorsque l'Amérique les a autorisés à tenir des élections libres. Au lieu d'élire le candidat des Etats-Unis, ces électeurs tordus ont élu un gouvernement qui les représenterait. Les Etats-Unis et Israël ont fait annuler l'élection en Cisjordanie, mais ceux à Gaza se sont accrochés au gouvernement qu'ils avaient élu. Maintenant, ils vont souffrir et mourir jusqu'à ce qu'ils élisent le gouvernement que veulent les Etats-Unis et Israël. Je veux dire : comment pouvons-nous espérer que les gens dans ce monde brutal sachent ce qui est le mieux pour eux ?

Le fait que l'Onu ait essayé d'interrompre la juste punition d'Israël aux Gazéens montre à quel point le rapport des cinq dirigeants est bien à propos de l'Onu qui constitue une menace contre les valeurs et la façon de vivre occidentales. L'Onu est vraiment contre nous. Ceci place l'Onu dans le monde extérieur et en fait une candidate pour être atomisée, voire carrément une organisation terroriste. Ainsi que notre président l'a dit, "vous êtes avec nous ou contre nous".

Les Etats-Unis et Israël ont besoin d'un gouvernement fantoche en Palestine afin que les restes de la Palestine relégués dans des ghettos puissent être transformés en une "solution à deux Etats". Les deux Etats seront Israël incorporant la Cisjordanie volée et un ghetto sans économie, sans eau et sans frontières contiguës.

Ceci est nécessaire afin de protéger Israël du monde extérieur brutal.

Les habitants du monde brutal sont troublés par "l'autodétermination" que défendent les dirigeants occidentaux. Cela ne veut pas dire que ceux à l'extérieur de la civilisation occidentale et d'Israël devraient décider par eux-mêmes. "Auto" signifie américain. Ce terme, qui nous est si familier, signifie "détermination américaine". Les Etats-Unis déterminent et les autres obéissent.

C'est le monde brutal qui est la cause du problème en n'obéissant pas.

Paul Craig Roberts fut Secrétaire-adjoint au Trésor dans l'administration Reagan. Il a été résacteur en chef associé de la page éditoriale du Wall Street Journal et rédacteur en chef collaborateur de National Review. Il est aussi le co-auteur de " The Tyranny of Good Intentions" [La Tyrannie des Bonnes Intentions].

Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]

Notes :
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[1] "Selon l'Otan, Une attaque nucléaire préventive est une option-clé", The Guardian, 22 janvier 2008.

LIRE AUSSI :
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"Pire que sans intérêt", Robin Cook, 25 juillet 2005
Il est à noter que Robin Cook, ancien locataire du Foreign Office, est décédé la semaine suivante où cet article est paru dans des conditions qui n'ont pas été totalement élucidées...