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La fin de la fin pour l'austérité

À présent, nous sommes tous des Grecs

Par Rob Urie
CounterPunch, le 11 mai 2012

article original : "We're All Greeks Now"

L'une des joies d'être américain est que chaque nouveau jour on repart de zéro - pas d'histoire, pas de souvenirs, pas d'expériences, un blanc total. Ceci pourrait expliquer pourquoi nos conversations nationales servent leurs objectifs prévus tout en étant complètement creuses. Flash d'information pour les économistes libéraux autoproclamés : l'austérité marche ! Si votre objectif est de piller les nations tout en plongeant leurs populations dans la servitude de la dette, y'a pas mieux que l'austérité !

Pendant des dizaines d'année, le FMI (Fonds Monétaire International) a mis en place des programmes d' « ajustement structurel », c'est-à-dire d'austérité. Cela a généralement « marché » pour sa clientèle bancaire en ce sens que l'extraction de richesse depuis les nations victimes vers les banques internationales s'est bien produite. Et vu que les nations victimes ont tendu à avoir à la fois des dirigeants coupables et le statut de nation « en développement », les résultats économiques faisaient rarement la une de l'actualité à New York ou à Washington. Il est inutile de dire que les résultats étaient meilleurs pour les banquiers que pour leurs victimes structurellement ajustées.

Lorsque la BCE (Banque Centrale Européenne) a commencé à discuter de politiques d'ajustement structurel pour la Grèce en 2009, elle n'a pas vraiment prétexté qu'elles seraient bénéfiques aux Grecs. Les banques européennes se sont chargées jusqu'à la gueule de dette souveraine périphérique, afin de parier, dans une certaine mesure, sur les besoins en capital de contrôle - beaucoup comme les banques de Wall Street l'ont fait avec les cochonneries notées « AAA » dans ce qui a conduit au désastre financier le plus récent. Et à l'instar de leurs homologues nord-américaines, les banques européennes ont prêté cyniquement de l'argent dans des conditions frauduleuses à des gens qui ne pourraient pas rembourser. Et les banques européennes, comme leurs homologues nord-américaines, réclament continuellement des plans de sauvetage (subventions) pour que l'ordre économique actuel se maintienne.

Angela Merkel, la Chancelière d'Allemagne, chef du parti de centre-droit [la CDU] et de facto chef de l'UE, s'est retrouvée face à une rébellion de la part de son électorat au sujet du plan de sauvetage de la Grèce, avant que celui-ci ne devienne ouvertement punitif. La postion selon laquelle l'austérité était la prescription économique nécessaire pour remettre la Grèce sur pieds était une apologie cynique mise en avant par la classe empotée des plumitifs de la propagande européenne. Que des économistes nord-américains (comme Paul Krugman) aient débattu de cette question comme s'il s'agissait d'une querelle analytique sérieuse laisse de côté le problème de fond de savoir où ils étaient durant ces cinquante dernières années ?

Avec seulement six décennies d'histoire du FMI pour en tirer une conclusion, le modèle qui a été utilisé en Europe (et en Amérique) est (1) installer ou corrompre une élite politique qui soutiendra les politiques économiques extractives aux bénéfice des banquiers, (2) endetter, ou provoquer l'endettement, d'une population naïve, inconsciente, voire captive, qui acceptera, avec réticence ou malgré elle, la convention institutionnelle selon laquelle la dette est légitime et doit être remboursée, (3) sous la patine d'une légitimité intellectuelle, mettre en place des politiques économiques ouvertement extractives contre des populations entières au bénéfice desdites banques, (4) en même temps, les élites coupables se retirent avec leurs parts du pillage dans de grandes maisons entourées de murs élevés.

Dans les années 80, les principales banques de New York (Wall Street) ont accordé des prêts aux nations sud-américaines et africaines en utilisant ce modèle. Dans des proportions assez importantes, le produit de ces prêts furent immédiatement re-déposés dans ces mêmes banques aux noms d'officiels spécifiques de ces gouvernements. Lorsque les populations victimes se rebellèrent, soit en soutenant que la dette n'était pas légitime et qu'elle ne devait pas être remboursée, soit parce qu'elles réalisaient que cette dette était une forme d'esclavage de fait et qu'elle ne pouvait être remboursée, ces banques new-yorkaises furent subventionnées par le gouvernement des Etats-Unis sous le voile des « Brady Bonds [1] » et le gouvernement reprit les créances pour collecter ces dettes.

C'est la partie qui se joue à présent en Europe, mais d'une façon moins visible. Les banquiers de Wall Street (y compris des banques européennes) conspirent avec des dirigeants secondaires corrompus, naïfs, fourbes ou impuissants pour mettre en place les politiques d'austérité sur des populations endettées. Ces populations sont endettées à cause de la fourberie des banquiers et/ou à cause des bulles financières et de leurs conséquences que Wall Street a créées. Ces programmes d'austérité sont au seul bénéfice de ces banques. Aux États-Unis, les banques de Wall Street bénéficièrent d'un plan de sauvetage sans avoir à passer par pertes et profits les prêts pourris qui n'auraient jamais dû être accordés. Cela crée une dynamique similaire où une proportion assez importante de Nord-américains vivront le restant de leurs jours dans l'esclavage de l'endettement envers les banques.

En plus des plans de sauvetage inconditionnels et continuels se montant à plusieurs trillons de dollars, l'administration Obama a aussi accordé récemment aux banques une immunité rétroactive et future pour des comportements franchement criminels à travers le « règlement » hypothécaire, et a étendu le business corrompu des prêts usuraires aux étudiants pour le bénéfice de ces banques. Ajoutez à cela le pillage des pensions d'État, municipales et privées, la prise de pouvoir par les grandes entreprises sur le processus législatif et la mise en place complète de l'économie néolibérale d'austérité aux niveaux étatique et local, et les lignes de bataille aux États-Unis sont clairement dessinées. Nous sommes tous des Grecs à présent.

La différence entre l'expérience actuelle et l'histoire précédente est que les banques ont désormais effectivement éliminé les frontières nationales, qui délimitaient auparavant la lutte des classes « centre-périphérie [2] ». Ce dont nous faisons l'expérience a une longue histoire et des conséquences connues. La masturbation intellectuelle derrière le « débat » keynésianisme c/ austérité cache le conflit de classes qui dirige ce processus. Les keynésiens croient que la récession renouvelée en Europe prouve leur argument. Mais comme le dit l'adage, inutile de prêcher un convaincu. Le désarroi en Europe est une question de politique de pouvoir (la lutte des classes) qui se cache derrière un voile ténu de différence idéologique. Les banquiers et leurs défenseurs de l'austérité savent ce qu'ils font. Dommage que l'on ne puisse dire la même chose des économistes de gauche !

Rob Urie est un artiste et un économiste politique à New York.


Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]
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Notes :
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[1] Les Brady Bonds sont des instruments financiers créés en 1989 par Nicholas Brady, l'ex-secrétaire d'État au Trésor américain de Ronald Reagan, sous forme d'obligations libellées en dollars, à échéance de 30 ans, avec la coopération du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale et de la Réserve fédérale deNew York.

[2] La théorie « centre-périphérie » se fonde sur la notion qu'au fur et à mesure qu'une région ou un État étend sa prospérité économique, il ou elle doit s'emparer des régions voisines pour assurer une réussite politique et économique continue. La zone de forte croissance ou d'ancienne croissance élevée est connue sous le nom de « centre » et la zone voisine est la « périphérie ». Les centres et les périphéries peuvent être des villes, des États ou des nations.

Lire également :

Sous-développement et nouvel ordre économique mondial, par Antoine Brawand.

Pour comprendre comment cette gigantesque escroquerie bancaire a été mise en place, le lecteur se réfèrera à l'ouvrage de Eustace Mullins, Secrets de la Réserve Fédérale.


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