Rester Humain
La semaine dernière, fraîchement arrivée à Athènes pour se joindre au bateau américain du projet Gaza, notre équipe d'activistes s'est réunie pour un entraînement de non-violence. Nous sommes ici pour naviguer vers Gaza, en défi au blocus naval israélien, sur notre bateau, « The Audacity of Hope[1] ». Notre équipe, et les équipages des neuf autres bateaux originaires du monde entier, veulent qu'Israël mette fin à son blocus létal de Gaza, en laissant nos équipages accéder à la côte pour rencontrer les Gazaouis. Le bateau américain apportera plus de 3.000 lettres de soutien à une population qui subi depuis 50 années ininterrompues une occupation de fait, laquelle a, à présent, pris la forme d'un blocus militaire contrôlant les espaces maritimes et aériens de Gaza, ponctué de fréquentes incursions militaires meurtrières, qui ont affamé l'économie de Gaza et sa population au niveau exact de cruauté, que la population intérieure de nos propres Etats-Unis, l'allié le plus ardent d'Israël, considère comme acceptable.
L'année dernière, la flottille internationale a été brutalement attaquée et le bateau turc a essuyé des tirs aériens, avec un vidéo-clip minutieusement choisi de la panique qui en a résulté et qui a été présenté au monde pour justifier les neufs morts, dont un citoyen américain, la plupart d'en eux ayant été victimes de meurtres de type exécution. Il est donc essentiel, même si c'est un peu bizarre, de prévoir comment nous réagirons à des attaques militaires. Les reportages d'information israéliens disent que leurs commandos navals se préparent à utiliser des chiens d'attaque et des snipers qui monteront à bord des bateaux. Dans le passé, ils ont utilisé des canons à eau, des pistolets taser, des bombes puantes, des bombes assourdissantes, des fusils hypodermiques, du gaz lacrymogène et des bombes irritantes contre les passagers de la flottille. J'ai essayé de faire une liste mentale des réactions vraisemblables : retirer mes lunettes, enfiler un gilet de sauvetage, coller une ligne d'agrafes pouvant empêcher de glisser par-dessus bord, porter sur moi un demi-oignon pour dissiper l'effet du gaz lacrymogène, ne pas oublier de respirer.
Kathy Kelly co-coordonne Voices for Creative Nonviolence et a travaillé étroitement avec les Afghan Youth Peace Volunteers
On dit que les Forces de Défense Israéliennes [Tsahal] s'entraîneraient pour une attaque violente destinée à « sécuriser » chaque bateau de la flottille, la « Flottille de la Liberté 2 ». En tant que passagers spécifiquement sur le bateau américain, nous pourrions être épargnés des ripostes les plus violentes, bien que la Secrétaire d'Etat Hillary Clinton n'ait pas exclu de telles ripostes violentes et a préventivement certifié que toute riposte que nous pourrions « provoquer » (en naviguant depuis les eaux internationales vers une côte qui ne fait pas partie d'Israël) sera l'expression du « droit d'Israël à se défendre ». Israël dit se préparer pour un certain nombre de scénarios, allant « de la non-violence » (auquel ils s'attendent parfaitement) à « une violence extrême ». Nous nous préparons à ne pas paniquer et à pratiquer une non-violence méthodique quel que soit le scénario qu'Israël décide de mettre en ouvre.
S'ils abordent rapidement notre bateau, il nous menotteront probablement et nous mettront peut-être une cagoule sur la tête, avant de prendre le commandement de notre bateau pour le conduire vers un port israélien, puis ils nous feront quitter le navire, nous emprisonneront et (à en juger par leurs actions passées) nous expulseront. Je ne sais pas vers quel pays je serais expulsée, mais je finirais par retourner aux Etats-Unis et dans ma ville de Chicago, et vers une sécurité que je ne peux pas partager avec le peuple de Gaza ou les amis dans toute cette région si troublée par la guerre, dont une grande partie est engagée par mon propre pays.
Le slogan de notre flottille est « Restez Humain ». Son avis est que l'exposition à la violence, réelle ou imaginaire, est toujours une tentation pour oublier. De jeunes amis que j'ai rencontrés en Afghanistan, confrontés à une précarité quotidienne envahissante que je ne peux facilement imaginer, ont exprimé cette idée dans une vidéo sur YouTube, qui m'a littéralement coupé le souffle. Ils demandent à la jeunesse gazaouie de garder espoir et leur capacité à se réjouir comme des enfants : « Aux amis à Gaza : Ne restez pas trop longtemps en colère. Restez ensemble. Amitiés d'Afghanistan ! »
Mon compatriote passager Johnny Barber s'est rendu récemment à Gaza et, ce matin, il m'a raconté une histoire déchirante sur une famille de Gaza, celle d'un agriculteur, Nasr, qui vit près de la zone tampon entre Gaza et Israël. La première attaque a eu lieu en juin 2010. Voici ce que John dit sur son site internet : « ...l'armée israélienne a attaqué la maison de cette famille alors que les enfants jouaient dehors [.] La femme de Nasr, Naama, se trouvait dans la cour de devant lorsqu'un char, à 500 mètres de là, a tiré des obus bourrés de clous contre la maison. La femme de Nasr a été déchiquetée, elle a saigné à mort dans la cour alors que les ambulances ne furent pas autorisées à emprunter l'étroite route de poussière vers sa maison ». Le blocage des ambulances est une mesure punitive fréquente utilisée contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza ».
« Après la deuxième attaque », qui s'est produite en avril 2011, « la famille de Nasr a déménagé dans une maison du village, près du cimetière où sa femme a été enterrée. Un soir, vers minuit, Nasr s'est réveillé et s'est aperçu que ces enfants étaient partis. Il est sorti et les a trouvés auprès de la tombe de leur mère ». Le lendemain, il les a emmenés et ils ont quitté le village pour retourner sur leur terre, afin d'essayer de mettre le passé derrière eux et d'attendre un futur qu'ils peuvent à peine espérer qu'il sera bon.
J'espère que notre bateau arrivera à Gaza. J'espère que Johnny Barber pourra à nouveau rendre visite à Nasr et que je pourrais rendre visite à la famille qui m'a donné refuge et aux jeunes gens pris au piège, durant les derniers jours du bombardement écrasant de l'« Opération Plomb Fondu » de décembre 2008. J'espère que notre bateau pourra quitter le quai - agissant sur une « plainte anonyme », le gouvernement, ici, a exigé une inspection de plusieurs jours avant de permettre à notre bateau (qui tient parfaitement la mer) de prendre le large. Avec ses problèmes économiques qui font la une des journaux dans le monde entier, la Grèce semble incroyablement vulnérable à l'intense pression que les gouvernements israélien et étasunien semble ouvertement prêts à exercer : nous espérons que ni le chantage économique, ni le chantage politique ne parviendront à empêcher notre bateau de quitter le lieu près d'Athènes, où il attend de nous accueillir.
« S'il vous plaît, ne perdez pas la capacité humaine d'être heureux ». Les amis afghans dans leur vidéo nous exhortent à rester humains. Ali, qui parle dans cette vidéo, a été harassé par les forces de sécurité afghanes depuis qu'il est devenu actif dans les Volontaires Afghan pour une Jeunesse Pacifique. Tout comme sa famille. D'autres de ses compagnons ont reçu des menaces de mort, ont subi des interrogatoires, ont été victimes d'incendies et de vols. Leur persistance m'encourage et me guide, et je lutte pour laisser leur persistance m'encourager, parce que rester humain c'est également faire ce qui est juste.
Je pense aux enfants de Nasr qui ont vu leur mère mourir sous leurs yeux et je pense que s'ils doivent rester humains, alors moi-même et mes compatriotes devraient y contribuer. Nous devons devenir plus humains que nous n'avons réussi à l'être jusqu'à présent : Nous devons faire des sacrifices pour stopper les crimes qui sont en fin de compte commis en notre nom. De manières différentes, nous devons prendre le risque des conséquences d'être là où nous devons être lorsque nous avons besoin d'y être. Nous devons nous dresser contre l'injustice et avec les victimes de l'injustice, et compter sur nos opposants pour qu'ils trouvent leur humanité à temps, vu le nombre d'exemples de ce à quoi ça peut ressembler. Lorsque, contre toute attente, nous nous trouvons et que nous restons humains, cet exemple nous surprend et nous aide à garder l'espoir en la puissance de l'humanité. Nous espérons que nous serons autorisés à nous rendre à Gaza et que le siège sera levé. Et, à cette époque où les êtres humains peuvent si peu se permettre les cauchemars de l'avidité et de l'ignorance, qui déchirent le Moyen-orient et rendent nos dirigeants incapables de s'unir pour s'occuper de crises mondiales encore plus terribles et effrayantes, nous, en tant qu'espèce, sans l'assurance de sa survie perpétuelle, devons trouver un moyen de rester humains.
Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques] Note :
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[1] "The Audacity of Hope" est le deuxième écrit par Barack Obama, alors sénateur, en 2006, en préparation de sa campagne pour la présidence des Etats-Unis.
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