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Le cessez-le-feu ouvre aux pêcheurs de Gaza l'accès à des eaux plus profondes

Christian Science Monitor, le 26 novembre 2012
Par Ahmed Aldabba & Kristen Chick, coorespondants

article original : "Ceasefire opens up deeper waters for Gaza's fishermen"

Pour la première fois depuis des années, grâce aux conditions d'un nouveaux cessez-le-feu
avec Israël, les Gazaouis peuvent pêcher au large et ils attrapent plus de poissons.



Un pêcheur ramène sa prise quotidienne au marché près du port de Gaza, tandis que les acheteurs se
réunissent pour la vente aux enchères, tôt le matin. (Ann Hermes / The Christian Science Monitor)

GAZA CITY, GAZA — Pour la première fois en plus de trois ans, le pêcheur gazaoui Mushtaq Zedan est sorti, samedi dernier, avec son bateau vers des eaux plus profondes et plus abondantes, qui lui étaient inaccessibles sous le blocus israélien.

« C'était comme un rêve lorsque j'ai atteint la limite de six miles nautiques », dit ce père de quatre enfants, qui a hérité son emploi de pêcheur de son propre père, à propos de sa première sortie au-delà de la limite de trois miles nautiques fixée par Israël, il y a plus de trois ans, qui l'obligeait à rester dans des eaux peu profondes et sur-pêchées.

« Les poissons se trouvent toujours dans les eaux profondes », dit-il, en expliquant pourquoi ses prises ont été dérisoires ces dernières années. « Mais après les nouvelles procédures, nous pouvons attraper plus de poissons et la vie va devenir à nouveau meilleure ».

La prise d'aujourd'hui comprend environ 40 kilos de dorades noires et autres poissons, beaucoup plus que la pêche habituelle de ces dernières années. « Ces trois dernières années, je n'ai jamais eu l'occasion d'attraper autant de poissons. Je pense que la vie va sourire une fois encore », dit-il.

L'élargissement de la zone de pêche de Zedan est l'une des premières manifestations de la trêve entre Israël et le Hamas, la semaine dernière, qui a mis fin au conflit de huit jours à Gaza, où six Israéliens et 166 Palestiniens ont été tués. Gaza était sous blocus israélien depuis que le groupe islamiste Hamas a pris le contrôle de ce petit territoire en 2007. Bien qu'il ait été quelque peu allégé ces dernières années, le blocus limitait toujours les marchandises pouvant entrer dans le territoire, interdisait les exportations et limitait les mouvements dans les zones frontalières, y compris dans les eaux maritimes près de la côte de Gaza et sur les terres agricoles près de la clôture avec Israël.

Selon le Hamas, les termes du cessez-le-feu incluent la levée du blocus de Gaza par l'ouverture de passages pour le mouvement des personnes et des marchandises, à la fois sur terre et en mer. Dans un premier signe, ces derniers jours, les pêcheurs et les agriculteurs ont rapporté qu'ils se sont aventurés plus loin en mer et plus près de la clôture avec Israël que cela n'était autorisé auparavant.

Le Hamas a revendiqué les termes du cessez-le-feu négocié par l'Egypte comme étant une victoire pour le groupe, qui maintient une branche armée, laquelle a combattu Israël dans le récent conflit. Et avec les restrictions qui commencent déjà à s'alléger, la plupart des Gazaouis acceptent le cessez-le-feu qu'il ont très envie de voir tenir.

Mukhaimar Abou Saada, professeur de science politique à l'université al-Azhar de Gaza, dit qu'il est probable que le cessez-le-feu tienne pour l'instant parce qu'il bénéficie à toutes les parties. « Le Hamas a besoin de stabilité à Gaza pour démarrer le processus de reconstruction que le Qatar va financer », dit-il. « Le Hamas a également besoin de se servir du soutien arabe qu'il a obtenu durant l'offensive israélienne et de traduire ce soutien sur le terrain » en se détournant des actions militaires vers son rôle politique, apportant la stabilité au peuple plutôt que la guerre et la destruction.


La frontière toujours bloquée

Pourtant une partie essentielle de l'accord de cessez-le-feu reste à être appliqué : l'allègement du blocus sur les importations et les exportations, et le mouvement des personnes par les passages frontaliers, qu'Israël déclare être nécessaires pour sa propre sécurité. Il n'est toujours pas clair comment et si Israël donnera suite à ce que le Hamas dit être une condition de l'accord. Une délégation du Hamas [s'est rendue le 26 novembre] au Caire pour discuter des conditions du cessez-le-feu avec le camp israélien, par l'intermédiaire des médiateurs égyptiens. L'ouverture des passages à une circulation plus importante est l'un des points de l'ordre du jour, dit Moussa Abou Marzouk, le chef-adjoint de la direction politique du Hamas, qui vit au Caire.

Il dit que des discussions devront avoir lieu sur chaque passage spécifique et les changements à apporter, indiquant qu'il pourrait ne pas y avoir un allègement des restrictions à tous les niveaux. Il a indiqué qu'il ne s'attendait pas à des changements substantiels sur les restrictions des exportations, qui ont quasiment tué le secteur manufacturier de Gaza, lequel fournissait de nombreux emplois dans ce territoire où le chômage est endémique. Il pourrait y avoir un accroissement des exportations agricoles qui existent déjà ; a-t-il déclaré.


Un meilleur avenir pour les pêcheurs

L'extension de la distance jusqu'à laquelle les pêcheurs gazaouis peuvent pêcher au large de l'enclave côtière a un impact important pour leurs moyens de subsistance.

Au cours des dix dernières années, leur zone de pêche a été régulièrement et drastiquement réduite. Après les Accords d'Oslo, signés entre l'OLP et Israël en 1993, les pêcheurs palestiniens pouvaient pêcher au large jusqu'à 20 milles nautiques de la côte. Cette distance a été réduite à 12 milles nautiques en 2002. En 2006, lorsque le Hamas a capturé le soldat Gilad Shalit, la zone de pêche a été réduite à six milles marins. Et après la guerre de Gaza en 2009, la zone de pêche a encore été réduite, à trois milles de la côte. Des milliers de pêcheurs ont abandonné leur commerce alors que les eaux peu profondes près de la côte étaient sur-pêchées.

Ces dernières années, les pêcheurs ont commencé à acheter du poisson de l'Egypte pour le vendre à Gaza, une entreprise que Zedan dit être « périlleuse et coûteuse ». Bien qu'il soit enthousiaste à l'idée que de nouvelles eaux soient ouvertes pour ses filets, il doit réparer sa flotte de bateaux de pêche, qui sont restés inactifs dans le port pendant des années, avant de pouvoir reprendre le rythme.

« A présent, j'utilise mes bateaux légers. Comme vous pouvez le voir, la plupart des gros bateaux, ici, ont besoin d'être réparés. Cela me coûtera beaucoup d'argent, mais je pourrais les réparer si j'attrape plus de poissons », dit-il. Deux de ses bateaux ont besoin de réparations après avoir essuyé des tirs de la marine israélienne, il y a trois ans, lorsqu'il naviguait de nuit dans la zone interdite à la recherche de poissons.

Et tandis qu'il peut naviguer plus loin que ces trois dernières années, il est toujours bien en deçà des limites fixées par les Accords d'oslo. Abou Marzouk dit que le Hamas a insisté pour que les pêcheurs soient autorisés à pêcher jusqu'à 20 milles nautiques de la côte, la limite fixée par Oslo, mais Israël a refusé, n'acceptant que six milles marins. Cette question était également à l'ordre du jour des discussions du Caire, dit-il, ajoutant que le Hamas insiste sur les limites d'Oslo.


Cultiver près de la clôture

Les agriculteurs qui peuvent désormais se rendre sur leurs terres près de la clôture frontalière sont aussi contents. Sur le bord oriental de la Bande de Gaza, Nabil Abou al-Qumboz est parvenu pour la première fois samedi depuis cinq ans à atteindre sa ferme, qui longe Israël.

« Je me suis senti à la fois heureux et triste. Je me suis senti heureux parce que j'ai pu finalement marcher sur mes terres, et je me suis senti triste lorsque j'ai découvert qu'elles étaient totalement détruites », dit-il. Les terres de M. Abou al-Qumboz sont situées dans la zone tampon, une bande de terres le long de la frontière qui a avalé environ 30% des terres agricoles de Gaza. Jusqu'au cessez-le-feu, les soldats israéliens stationnés le long de la frontière tiraient souvent sur quiconque pénétrait dans la zone tampon.

« Ces terres étaient comme un paradis. Elles étaient vertes et propres, à présent elles sont stériles et désertée », dit Abou al-Qumboz. « Mais le les cultiverai et les rendrai encore plus belle qu'avant ».

Ces terres agricoles étaient sa seule source de revenus pour sa famille, dit-il, et il est pressé de les reprendre. « Lorsque Israël nous a interdit d'y pénétrer [sur ces terres], nous avons perdu cette source de revenus et la vie est devenue très misérable. J'espère que cette trêve se poursuivra parce que la guerre n'apporte que destruction et pauvreté ».

Vendredi [le 23 novembre 2012], des soldats israéliens ont tiré sur une foule de manifestants qui se sont approchés de la clôture frontalière, tuant un homme. Et un autre homme aurait été blessé, hier [le 25 novembre], près que la frontière par des tirs israéliens. Mais les paysans rapportent qu'ils bénéficient d'une plus grande liberté de mouvement dans plusieurs endroits, et le Hamas à déployé, samedi [24 novembre 2012], la police près de la frontière pour prévenir d'éventuels affrontements qui rompraient la trêve.


Aider la trêve à tenir

Abou al-Qumboz espère que la trêve tiendra, et il dit que les paysans œuvreront pour l'empêcher d'être violée, pour leur propre bien. « A présent, tous les paysans peuvent travailler sur leurs terres et je pense qu'ils ne laisseront personne ruiner cette trêve, car cela irait à l'encontre de nos intérêts. Nous ne voulons pas être une fois encore réduits à néant. »

Heureusement pour Abou al-Qumboz, selon le Dr Abou Saada, le Hamas ne rompra probablement pas de si tôt le cessez-le-feu. « Le Hamas sait aussi que l'éruption d'une nouvelle série de violence avec Israël pourrait coûter très cher. La prochaine confrontation sera terrestre, et le Hamas réalise qu'Israël peut réoccuper Gaza », dit-il. D'un autre côté, Abou Saada dit qu'Israël sera peu disposé à iriter l'Egypte, qui a négocié cette trêve, en la rompant immédiatement.

Dans le sillage des soulèvements arabes contre les autocrates et des gouvernements islamistes qui ont accédé au pouvoir, certains voisins d'Israël adoptent désormais des positions plus fermes contre les actions d'Israël à Gaza. L'Egypte est l'une des seules nations arabes disposant d'un traité de paix avec israël. Pourtant, les responsables israéliens n'ont pas indiqué leur intention de permettre un commerce normal à travers les passages frontaliers. Et l'Egypte est réticente à ouvrir unilatéralement son passage piéton à Rafah pour les marchandises, de peur qu'Israël ne ferme alors les autres passages et ne fasse porter à l'Egypte le fardeau humanitaire en rapport avec les besoins de Gaza.

Si Israël n'allège pas le mouvement des marchandises et des personnes aux passages frontaliers, il pourrait être difficile pour le Hamas de continuer à être favorable au maintien de sa part du marché. Abou Marzouk a prévenu qu'il n'y aurait aucun cessez-le-feu si Israël ne respecte pas ses obligations fixées par cet accord.


Le cessez-le-feu vu comme une victoire

Bien que le statut des passages frontaliers n'aient pas encore changé, la plupart des Gazaouis voient le cessez-le-feu comme une victoire sur Israël. Mohammed Dahman, un ingénieur au chômage, est convaincu que cette trêve est le meilleur accomplissement dans l'histoire de la lutte palestinienne.

« Ce cessez-le-feu est un grand succès. Les bains de sang des deux côtés s'arrêteront pour au moins une longue période. C'est une bonne chance pour les jeunes chômeurs comme moi qui auront des opportunités d'emploi lorsque le processus de reconstruction démarrera. Finalement, Gaza vivra en paix comme les autres pays du monde », dit-il. Cependant, tout le monde ne pense pas à la paix. Un combattant du Hamas, qui a refusé de donner son nom, dit que cette trêve est une chance pour se reposer et préparer la prochaine bataille.

« Nous avons besoin de cette trêve pour bien nous préparer pour la prochaine bataille - celle dans laquelle nous balayerons Israël et récupèrerons nos terres. Maintenant, Israël et les autres reconnaissent le Hamas comme une grand puissance dans la région », dit-il. « La paix ? La paix est une bonne chose, mais pas avec un occupant. La trêve n'est qu'un moment de répit pour nous afin de poursuivre notre combat contre Israël ».

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

Note :
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La trêve aura été de courte durée en ce qui concerne les pêcheurs de Gaza, puisque le 26 novembre 2012, la Marine israélienne a arraisonné plusieurs bateaux de pêhe qui se tyrouvaient dans les limites maritimes fixées par le dernier cessez-le-feu !


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