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"En seulement quelques mois, Bush et Blair ont détruit la restriction mondiale sur les armes nucléaires."

     Les Saboteurs du Traité
    Par George Monbiot
The Guardian , mardi 2 août 2005

Ce samedi, aura lieu le 60ème anniversaire du bombardement d'Hiroshima. Les puissances nucléaires le commémorent à leur manière très spéciale : en cherchant à répéter cette expérimentation.

Ainsi que Robin Cook l'a montré dans son éditorial la semaine dernière, le gouvernement britannique semble avoir décidé de remplacer nos armes nucléaires Trident, sans avoir consulté le parlement ou informé le public.[1] Mais cela pourrait être pire que ce qu'il pense. Il a fait remarquer que l'établissement d'armes nucléaires d'Aldermaston a été ré-équipé pour construire une nouvelle génération de bombes. Mais lorsque cette information a transpiré pour la première fois en 2002, un porte-parole de la centrale a insisté sur le fait que cet équipement n'était pas installé pour remplacer Trident, mais pour construire soit des mini-bombes ou des mini-ogives ["mini-nukes"] qui pourraient être utilisées sur des missiles de croisière.[2]

Si c'est vrai, alors cela signifie que le gouvernement est en train de remplacer Trident ET de développer une nouvelle catégorie d'armes faciles à l'emploi. Comme pour nous assurer que nous avions vu juste, Geoff Hoon, alors Secrétaire à la Défense, annonça peu avant cette fuite que la Grande-Bretagne serait prête à utiliser des petites bombes nucléaires dans une attaque préventive contre un Etat non-nucléaire.[3] Cela nous place en sacrée compagnie : la Corée du Nord.

Le Times, toujours serviable, explique pourquoi Trident devrait être remplacé. Voici ce qu'il déclare : "La décision de quitter le club des puissances nucléaires réduirait la réputation et l'influence de la Grande-Bretagne".[4] Cela est vrai et c'est la raison pour laquelle presque tout le monde veut la bombe. Il y a deux semaines, à la conclusion de leur nouveau traité nucléaire, George Bush et le premier ministre indien, Manmohan Singh, ont annoncé que "les institutions internationales doivent refléter complètement les changements qui se sont produits depuis 1945 dans le scénario planétaire. Le Président a réitéré son point de vue, selon lequel les institutions internationales vont devoir s'adapter pour refléter le rôle central et croissant de l'Inde".[5] Voici ce qu'il convient de comprendre : "maintenant que l'Inde a la bombe, elle devrait rejoindre le conseil de sécurité".

C'est parce que les armes nucléaires confèrent du pouvoir et du prestige aux Etats qui les possèdent que le traité de non-prolifération, dont le Royaume-Uni est un signataire fondateur, détermine deux choses : un, que les puissances non-nucléaires ne devraient pas acquérir d'armes nucléaires, et deux, que les puissances nucléaires devraient "poursuivre les négociations en toute bonne foi sur … un désarmement total et général."[6] Blair a décidé unilatéralement de le déchirer. Mais en contribuant à saboter le traité, nous ne faisons que suivre nos voisins de l'autre côté de l'océan. En mai, le gouvernement américain a lancé un assaut systématique contre cet accord. Le sommet de New York était supposé le renforcer, mais les Etats-Unis, menés par John Bolton — le sous-secrétaire en charge du contrôle de l'armement (quelqu'un s'est bien marré sur celle-là) — a même refusé de permettre aux autres nations d'établir un ordre du jour pour en discuter.[7] C'est sans surprise que les discussions ont échoué et le traité pourrait bien être complètement mort. Inutile de dire que Bolton a eu une promotion : au poste d'ambassadeur des Etats-Unis aux Nations-Unies. Hier, Bush a poussé sa nomination au moyen d'une "nomination pour vacances" : un pouvoir non démocratique qui permet au président de passer outre sur le Congrès lorsque ses membres sont en vacances.

Bush voulait détruire le traité parce qu'il ne pouvait se résigner à accepter ses nouveaux plans. Le mois dernier, le Sénat a approuvé une première dotation de 4 millions de dollars pour la recherche dans le "RNEP" (Robust Nuclear Earth Penetrator) [Bombe Nucléaire Perforante ou "mini-nuke"]. Il s'agit d'une bombe dont le rendement est 10 fois celui de l'engin explosif d'Hiroshima, et destiné à faire sauter des bunkers souterrains qui pourraient contenir des armes de destruction massive. (J'espère que vous avez vu la contradiction). Le Congrès a rejeté son financement en novembre, mais Bush a fait suffisamment de pression cette année sur des membres du Congrès pour que le programme reprenne. Vous vous rendez compte dans quel monde merveilleux il habite lorsque vous découvrez que l'idée du RNEP remonte à 1991 et constituait le moyen de s'occuper des armes biologiques et chimiques de Saddam Hussein.[8] Saddam tourne en rond dans sa cellule, mais les "Bushites", à l'instar des soldats japonais perdus en Malaisie, poursuivent leur marche. Afin de continuer sa guerre contre les fantômes des fantômes des armes de destruction massive de Saddam Hussein, Bush a fait voler en éclat le traité qui empêche l'utilisation de vraies ADM.

Et cela devient pire. L'année dernière, le Congrès a alloué un financement pour quelque chose qui s'appelle "l'ogive de remplacement fiable" [reliable replacement warhead]. L'histoire que raconte le gouvernement est que les ogives existantes pourraient se détériorer. Lorsqu'elles montrent des signes de fatigue, elles peuvent être démantelées et reconstruites en un modèle "plus sûr et plus fiable".[9] C'est une excuse plutôt médiocre pour construire de nouvelles bombes, mais ça a marché ! Le développement de ces nouvelles bombes signifie probablement que les Etats-Unis vont aussi rompre le Traité d'Interdiction Totale des Essais Nucléaires (Titen) — donc, nous pouvons dire adieu à un autre moyen d'empêcher la prolifération. Mais le plus grand désastre a été la rencontre de Bush avec Manmohan Singh il y a une quinzaine de jours. L'Inde est l'un des trois Etats qui possède l'arme nucléaire et qui refuse de signer le Traité de Non-Prolifération (TNP). Ce traité stipule que l'accès aux matières nucléaires civiles doit être refusé. Mais le 18 juillet dernier, Bush a annoncé qu'en "tant qu'Etat responsable disposant d'une technologie nucléaire avancée, l'Inde devrait obtenir les mêmes bénéfices et les mêmes avantages que les autres Etats comparables". Qu'il "travaillerait afin d'aboutir à une coopération totale en matière d'énergie nucléaire civile avec l'Inde" et "rechercherait l'accord du Congrès pour ajuster les lois et les politiques des Etats-Unis".[10] Quatre mois avant cette rencontre, les Etats-Unis ont levé l'embargo sur les armes en Asie du Sud, en vendant au Pakistan une flotte d'avion F-16, capables de transporter une large gamme de missiles, et à l'Inde un système anti-missiles.[11] Comme business plan, on peut difficilement faire mieux !

Voici comment ça marche : si vous acquérez la bombe et que vous menacez de vous en servir, vous serez qualifié pour l'exception américaine par procuration. Peut-on trouver une meilleure incitation à la prolifération ?

Pour d'autres Etats, ces implications ne sont tombées dans l'oreille d'un sourd. "L'Inde prend soin de ses propres intérêts nationaux", s'est plaint mercredi dernier un porte-parole du gouvernement iranien. "Nous ne pouvons les critiquer là-dessus. Mais ce que font les Américains consiste à appliquer deux poids deux mesures. D'un côté, ils empêchent un membre du TNP de disposer d'une technologie pacifique et en même temps ils coopèrent avec l'Inde, qui n'est pas membre du TNP".[12] La Corée du Nord (et c'est la seule bonne nouvelle en ce moment) est actuellement dans sa deuxième semaine de pourparlers avec les Etats-Unis. Tandis que l'Administration Bush fait la bonne chose en entamant des discussions avec Pyongyang, la leçon est assez claire. Vous pourriez en faire l'esquisse comme un diagramme de Venn.[13] Si vous avez du pétrole, mais que vous ne développez pas la bombe (l'Irak), on vous envahit. Si vous avez du pétrole mais que vous développez la bombe (l'Iran) on vous menace d'être envahi, mais ça n'arrivera probablement pas. Si vous n'avez pas de pétrole, mais que vous avez la bombe, les représentants des Etats-Unis s'envoleront vers votre pays et ouvriront des négociations.

Le monde issu de l'imagination du Président Bush prend vie par décret du gouvernement. Le résultat de sa paranoïa du chat qui se mord la queue — avec l'assistance de la lâcheté de Tony Blair et de l'opportunisme de Manmohan Singh — est que la restriction mondiale sur le développement des armes nucléaires a, en fait, était réduite à néant en quelques mois. Le monde pourrait bien à présent être plus vulnérable qu'il y a 35 ans, et c'est la conséquence de la prolifération. Merci à Bush et à Blair, après tout il se pourrait que tout cela se termine en apothéose.

www.monbiot.com

Traduit de l'anglais par Jean-François Goulon

Notes:

[1] Robin Cook, le 29 juillet 2005. "Pire que sans intérêt". The Guardian.

[2] Richard Norton-Taylor, 18 juin 2002. MoD plans £2bn nuclear expansion [Le Ministère de la Défense prévoit un plan d'expansion nucléaire de 2 Mds de livres (3 Mds d'Euro)]. The Guardian.

[3] Geoff Hoon, 24 mars 2002. The Jonathan Dimbleby Show, ITV 1.

[4] Tom Baldwin et Michael Evans, 28 mai 2005. The hunt for a new nuclear option. The Times.

[5] Office of the Press Secretary, 18 juillet 2005. Joint Statement Between President George W. Bush and Prime Minister Manmohan Singh. The White House.

[6] Article VI, Traité de Non-Prolifération des Armes Nucléaires, Entré en vugueur le 5 mars 1970. Département aux Affaires du Désarmement des Nations-Unies.

[7] Voir eg BASIC/ORG, janvier 2005 et après. La Conférence de Révision du Traité de Non-Prolifération: Un Progrès ou la Fin en 2005 ? et Robin Cook, le 27 mai 2005. America's broken nuclear promises endanger us all. The Guardian.

[8] Eg Friends Committee on National Legislation, 3 mai 2005. Robust Nuclear Earth Penetrator: Questions et Réponses.

[9] Voir Jonathan Medalia, 20 juillet 2005. Nuclear Weapons: The Reliable Replacement Warhead Program. Congressional Research Service Report for Congress. At: http://www.fas.org/sgp/crs/nuke/RL32929.pdf.

[10] Office of the Press Secretary, ibid.

[11] Ashley J. Tellis, 2005. South Asian Seesaw: A New U.S. Policy on the Subcontinent. Carnegie Endowment for International Peace. http://www.carnegieendowment.org/publications/index.cfm?fa=view&id=16919&prog=zgp&proj=zsa

[12] Simon Tisdall, 28 juillet 2005. Tehran accuses US of nuclear double standard. The Guardian.

[13]