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Interview de Yanis Varoufakis

Tout ce que l'on raconte sur la reprise en Grèce est faux

Par Thomas Fazi et Yanis Varoufakis
eunews, le 18 décembre 2014

article original : Tutto quello che vi stanno raccontando sulla ripresa greca è falso.

"La croissance grecque est une invention, le pays est plongé dans une Grande Dépression,
et tout cela parce que l'on a choisi de sauver les banques au détriment des citoyens.
Mais maintenant, avec Tsipras, le pays est prêt à changer de cap. Et à changer le cap de l'Europe."
Interview de Yanis Varoufakis, économiste très proche de SYRIZA.



Le 9 Décembre 2014 restera gravé dans les mémoires comme le début de la « seconde crise de l'euro ». En une journée, la Bourse d'Athènes a perdu près de 13% de sa valeur (20% en trois jours), tandis que les taux d'intérêt sur les obligations d'État grecques à dix ans sont passés de 5,5% à 9%. Cette panique sur les marchés a été déclenchée par la décision du Premier ministre Antonis Samaras d'avancer l'élection du Président de la République. Le premier tour s'est déroulé hier et Samaras n'a pas été en mesure, comme l'on s'y attendait, d'obtenir une super majorité de 200 voix (sur 300). Son candidat est l'ancien Commissaire européen à l'Environnement et nouveau ministre Stavros Dimas. Au terme du troisième tour de ces élections, d'ici au 29 décembre, si ce dernier ne recueille pas au moins 180 voix, la Constitution grecque prévoit de dissoudre l'assemblée nationale, la Vouli, et d'organiser de nouvelles élections.

Et comme tous les sondages placent en tête la SYRIZA, la coalition de la gauche radicale dirigée par Alexis Tsipras, les marchés sont devenus complètement hystériques. Idem pour la Commission européenne, dont le nouveau président a pris fait et cause, au mépris de toutes les règles démocratiques, pour Samaras et son candidat, en déclarant espérer que les Grecs ne votent pas "dans le mauvais sens". Le commissaire à l'économie, Pierre Moscovici, s'est rendu en début de semaine à Athènes, en soutien, bien qu'il s'en défende, à la coalition conservatrice néolibérale de Samaras.

Mais, ces réactions sont difficiles à justifier: en dépit de ce que les journaux rapportent souvent, Alexis Tsipras n'a pas l'intention de faire sortir la Grèce de l'euro, et à l'égard de son plan de restructuration de la dette grecque - l'hypothèse qui effraie probablement la plupart des marchés -, son intention est de ne pas frapper les créanciers privés, mais les créanciers plutôt officiels: l'Union européenne et en particulier l'Allemagne (qui détiennent la majeure partie de la dette grecque). C'est de cela que nous avons parlé avec Yanis Varoufakis, économiste très proche de SYRIZA et auteur de la « modeste proposition » pour réformer la zone euro.


Thomas Fazi : On dit beaucoup de choses à propos du prétendu « redressement » de la Grèce, le signe de la « réussite » de l'austérité. Comment jugez-vous ce récit et comment décririez-vous l'état réel de l'économie grecque ? (Ce serait super si vous pouviez mentionner ce que vous avez dit à Florence, à propos de la « croissance du PIB » de la Grèce qui est non-existante lorsque l'on prend en compte la déflation.)

Yanis Varoufakis : La Grèce est plongée dans une Grande Dépression et elle y reste. Sept années de chute précipitée du revenu, couplée à un investissement négatif, ont déclenché une crise humanitaire. Au cours de chacune de ces années, la Commission Européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international ont prédit que le redressement « pointait son nez ». Ce ne fut pas le cas ! Maintenant, sur la base d'un trimestre de croissance positive du PIB réel, ils célèbrent la « fin » de la récession. Mais si nous observons attentivement les chiffres, il s'avère que, même selon les chiffres officiels, la récession perdure. Voyez cela : le PIB réel a augmenté de 0,7% à un moment où les prix, en moyenne, ont chuté de 1,9%. Je rappelle à vos lecteurs que le PIB réel est égal au PIB mesuré en euros divisé par un indice des prix moyens ? Etant donné que cet indice a baissé de 1,9%, et que le ratio total (le PIB réel) n'a augmenté que de 0,7%, cela signifie que le PIB mesuré en euros à décliné ! Donc, l'augmentation du PIB réel s'est produite parce que le revenu national, en euros, à augmenté. Il a augmenté parce que le revenu total, en euros, a chuté moins vite que les prix. De façon ridicule, le pouvoir en place espère que le peuple grec célèbrera cela comme étant la « fin de la récession ». Il ne le fera pas !

TF : Concernant l'état de l'économie grecque : est-ce simplement le résultat involontaire des politiques « défectueuses » déterminées par l'idéologie ou devrait-il plutôt être considéré comme étant la conséquence désirée de telle politiques ?

YF : Je pense que c'est ni l'un ni l'autre. Ces politiques étaient les seules politiques qu'ils pouvaient inventer et qui ne nécessitaient pas d'admettre que la zone euro avait été très mal conçue et que cette crise est systémique. C'était aussi les seules politiques qui étaient cohérentes avec leur objectif essentiel, à savoir protéger les banquiers de l'expropriation par l'Union européenne ou les Etats membres. En bref, une fière nation a été forcée à opérer une dévaluation intérieure qui a causé de terribles épreuves et rendu la dette publique et privée impossible à rembourser, afin de maintenir le mensonge que la conception de la zone euro était parfaite et, ce qui est plus pertinent, cacher le fait que leur priorité numéro un était de transférer les pertes gigantesques des livres des banques privées sur les épaules des contribuables les plus faibles. Une fois cette stratégie en place, elle a été embellie par l'idéologie néolibérale...

TF : A la suite de l'appel à des élections présidentielles anticipées [en Grèce], les marchés se sont mis à paniquer. Pensez-vous que leurs craintes d'élections législatives anticipées sont justifiées. Si oui, de quoi, selon vous, ont-ils peur ?

YV : Elles sont justifiées. Ils ont peur que la double bulle que Berlin, Francfort et Bruxelles ont alimenté si minutieusement au cours de l'année dernière, sur les marchés obligataire et boursier, afin de prétendre que la Grèce se redressait, n'éclate. Mais c'est le sort des bulles : elles éclatent. Et plus elles le feront tôt meilleure sera notre chance de regarder la réalité en face et de faire quelque chose pour améliorer la situation de la majorité des gens - à la fois en Grèce et en Europe dans son ensemble.

TF : Pensez-vous qu'une victoire de SYRIZA est une option réaliste possible ? Ou les forces de l'Establishment éviteront-elles cette issue à tout prix ?

YV : Les deux. Il ne fait aucun doute que l'Establishment usera de toutes les ficelles possibles contre SYRIZA, en instillant le maximum de crainte dans les cours et les esprits des électeurs grecs. Mais, en même temps, il semble de plus en plus probable que cette campagne de frayeur échouera à empêcher la victoire de SYRIZA.

TF : Comment jugez-vous l'appel de M. Juncker à éviter le « mauvais résultat » dans ces élections (c.-à-d. la victoire de « forces extrêmistes ») ?

YV : Cela révèle un mépris bien ancré de la démocratie et une attitude coloniale qui se moque de la notion d'une Union qui respecte la souveraineté des citoyens des Etats membres. Ceux-ci n'ont pas de compte à rendre à la Commission et, par définition, la Commission n'a aucune idée de ce qui est un résultat électoral « correct » ou « mauvais ». M. Juncker a jeté un peu plus le discrédit sur sa fonction en allant trop loin et en creusant spectaculairement le déficit de démocratie qui est caractéristique de l'Union européenne. Son intervention a probablement été l'une des manouvres les plus farouchement anti-européennes, au point où il a réussi tout seul à délégitimer la Commission et, par extension, l'Union.

TF : Pouvez-vous donner les grandes lignes du programme de SYRIZA (pour la Grèce et pour l'Union monétaire européenne) ?

YV : En trois courtes phrases : D'ABORD, un gouvernement SYRIZA travaillera sans relâche à s'assurer que l'Europe ait la « conversation » qu'elle a jusqu'ici refusée d'avoir au sujet de la conception défaillante de la zone euro et le fait que les plans de sauvetage étaient toxiques à la fois pour les pays de la périphérie et pour les pays centraux comme l'Allemagne. Deuxièmement, il s'efforcera de rendre l'économie sociale de la Grèce à nouveau viable au moyen d'un New Deal pour l'Europe qui lève le voile de la dépression de toute la périphérie - pas seulement de la Grèce. Troisièmement, il se battra pour réformer la Grèce, tant son secteur public que son secteur privé, améliorera la productivité et façonnera une société meilleure.


Yanis Varoufakis, professeur d'économie à l'Université d'Athènes, ancien conseiller de George Papandréou (de 2004 à 2006), farouche critique des plans de sauvetage d'Athènes et aujourd'hui très proche de SYRIZA et d'Alexis Tsipras, vient de publier aux Editions du Cercle son nouveau livre :
LE MINOTAURE PLANÉTAIRE: l'ogre américain, la désunion européenne et le chaos mondial.
Celui-ci est disponible en avant-première en versions numériques (kindle et Kobo), ainsi qu'en version brochée (sur amazon).
La sortie nationale est prévue fin mars 2015.


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