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Ben Laden, Kadhafi et consorts

Ces exécutions nous ont renvoyés aux pratiques du moyen-âge

Par Anthony Clifford Grayling
The Independent, dimanche 23 octobre 2011

article original : "AC Grayling: These executions have set us back to medieval ways"


Si l'enquête montre que le Colonel Mouammar Kadhafi et son fils Moutassim ont été sommairement exécutés jeudi dernier, leurs assassinats seront les tout derniers d'une série d'assassinats très médiatisés cette année, laquelle a débuté au Pakistan avec Oussama ben Laden et s'est poursuivie au Yémen avec Anouar al-Awlaki et son associé poseur de bombes Ibrahim al-Asri.

La mise à mort rapide de ses hommes était indubitablement pratique. Si ben Laden avait été emmené à Guantanamo ou à La Haye pour être jugé, son prestige serait remonté et d'autres morts auraient pu être à déplorer en réaction à cette humiliation de la part l'Amérique. Le tuer et se débarrasser rapidement de sa dépouille dans la mer avait une justification à court-terme, forte et utilitaire.

A long-terme, son assassinat est plutôt une mauvaise chose et il aurait mieux valu qu'il soit jugé. Le même principe s'applique à Awlaki et aussi à Kadhafi, pour le cas qui nous préoccupe ici, dans l'intérêt de la future santé sociale de la Libye. En utilisant le meurtre plutôt que la loi pour traiter de tels criminels, l'idée même d'un Etat de droit, de ses clauses de sauvegarde de la liberté individuelle, accordées également à ceux que nous savons coupables d'actions violentes et ignobles - en fait, le projet dans son ensemble de civiliser le monde et de substituer la paix et la loi à la violence et la vengeance -, est compromise.

Lorsque des nations de premier plan comme les Etats-Unis se comportent comme des trafiquants de drogue mexicains, elles se nuisent à elle-mêmes et donnent un exemple épouvantable au monde entier. Lorsqu'une nation qui se libère de la tyrannie utilise les méthodes d'un tyran, elle accroît le chemin à parcourir pour devenir une société juste et stable.

En acceptant l'idée pragmatique consistant à abattre les malfaiteurs, exactement comme nous abattons les chiens enragés, nous déclarons que nous ne sommes pas prêts à payer le prix afin de vivre en accord avec la loi et les libertés civiles. Nous défendons bec et ongles nos principes occidentaux de l'Etat de droit et des droits individuels, pourtant, nous disons : seulement tant qu'ils ne deviennent pas un fardeau et un inconvénient ; et, lorsque c'est le cas, nous préférons abattre sommairement certains individus en leur tirant une balle dans la tête. En fait, en y renonçant lorsque la situation l'exige, nous admettons sans honte que ces principes ne sont que de simples pratiques pieuses dans lesquelles nous ne croyons pas vraiment. Ainsi, nous ne sommes pas différents des Kadhafi et des ben Laden.

L'administration du Président Obama a essayé de donner une justification légale aux meurtres de ben Laden et d'Awlaki, mais cela est hors sujet. Nos intérêts fondamentaux à long-terme - de nous tous - dictent que nous devrions accepter les difficultés à plus court-terme que soulève le fait de coller à ce principe. Cette série d'assassinats sommaires a porté préjudice aux valeurs civilisées et fait reculer le progrès, pour ainsi dire, en nous renvoyant aux pratiques du moyen-âge.

Le peuple libyen a fait preuve d'un grand courage en combattant un dictateur qui disposait encore de nombreux soutiens, dont une armée. Il aurait été encore plus courageux de juger Kadhafi. Cela aurait démontré une intention d'agir beaucoup mieux que lui et ses fils et de construire une société bien meilleure et plus juste.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]


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