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La Libye et les limites d'une intervention nourrie

Par Richard Dalton
The Independent, dimanche 23 octobre 2011

article original : "Richard Dalton: Libya, and the limits of liberal intervention"

La victoire des rebelles à Syrte justifie l'emploi responsable de la force,
autorisé par l'ONU, mais cela ne marchera pas partout tout le temps



Un destroyer américain tire sur la côte libyenne au début de l'attaque alliée en mars dernier.
Mais un tel déploiement de force n'est pas toujours la bonne manière de faire (AFP/Getty Images)

L'OTAN est intervenue en Libye sous mandat du Conseil de Sécurité de l'ONU pour protéger les civils. Jusqu'à présent, cette intervention a été couronnée de succès, mais elle reste controversée, notamment parce que l'Otan aurait pu excéder son mandat. L'avenir de la révolution libyenne n'influencera pas seulement l'avenir du peuple libyen, mais également la capacité d'une future action internationale en vue de prévenir d'autres atrocités potentielles.

Le mandat onusien est arrivé en partie parce que lors de son sommet célébrant son 50ème anniversaire, 150 chefs d'Etat et de gouvernement ont déclaré que si les Etats ne protégeaient pas leur propre peuple des atrocités, la communauté internationale au sens large devrait agir pour le faire, si nécessaire en employant la force militaire. C'est le principe de la « Responsabilité de protéger » [R2P]

L'un de ses fondateurs, Gareth Evans, ancien ministre australien des affaires étrangères, a déclaré à Chatham House[1], ce mois-ci, que cette doctrine est désormais ancrée dans le discours international et qu'elle est de plus en plus mise en pratique.

Evans a souligné les cinq critères qui devraient déterminer la légitimité de l'usage de la force : (1) que la menace est sérieuse ; (2) que la force devrait être utilisée pour prévenir cette menace (la question primordiale de cet objectif) et qu'elle ne serve pas à faire avancer les motivations ultérieures des intervenants ; (3) qu'elle devrait être utilisée en dernier recours ; (4) qu'elle devrait être proportionnelle ; et, (5) que ses conséquences devraient être équilibrées en faveur de ceux qui sont assistés.

Cameron et Sarkozy ont puisé dans ces principes vitaux pour leurs premières déclarations relatives aux limites de l'intervention étrangère, soulignant la légalité, le soutien régional et la possibilité de la mener à bien. Il y a peu de risque qu'ils se laissent emporter [par cette doctrine] et qu'ils proposent d'autres interventions qui pourraient sembler nécessaires mais qui ne rempliraient pas réellement ces critères. Et si jamais ils manquaient de prudence, la communauté internationale ne les suivrait pas - le cas de la Syrie le démontre.

Ce n'est pas que la Grande-Bretagne ou la France, ou, en fait, l'Otan dans son ensemble, ne disposent pas de la force militaire ou de la puissance financière pour des aventures importantes à l'étranger. Le Conseil National de Sécurité britannique a fait plus que prouver sa valeur à propos de la Libye. Il est probable qu'il continuera de souligner qu'un contrôle purement national de nos intérêts devrait être mené avant d'intervenir.

C'est pourquoi la Libye ne constitue pas un précédent direct pour une implication dans le monde arabe. En mars, la situation présentait un alignement rare de trois facteurs : une demande populaire convaincante de la part des victimes du gouvernement libyen, qui avait peu d'alliés (autres que les clients de Kadhafi en Afrique) ; un soutien régional en faveur de cette intervention de la part de la Ligue arabe, avec une légalité internationale établie au travers du Conseil de Sécurité de l'ONU ; et, une tâche militaire modeste, couplée à une stratégie de sortie convaincante.

La ligne de David Cameron après la mort de Kadhafi a été correcte : pas de cocorico ; pas de leçons sur la façon dont les Libyens ont déjà planifié la suite ; la reconnaissance que cela a été une réalisation libyenne, mais avec la satisfaction justifiée du rôle joué par les étrangers ; la reconnaissance des victimes de Kadhafi en Libye et ailleurs, y compris au Royaume-Uni ; et, une volonté de continuer à soutenir la transition.

Les arguments continueront de s'opposer pendant encore quelques temps pour savoir si l'Otan a collé aux critères de la proportionnalité au fur et à mesure que la campagne libyenne a évolué, mais il ne fait aucun doute, à cette possible exception près, que ce fut le cas avec le Royaume-Uni et la France au devant de la scène. Par-dessus tout, les Libyens ont désormais la liberté de se construire le meilleur avenir possible.

Que cet avenir soit incertain ne remet pas en cause la justesse de notre décision, mais cet avenir est incertain. Je suis optimiste. L'esprit national de la Libye, son habitude de consulter et de coopérer, et sa richesse, tout cela avec une aide internationale limitée et ciblée, prévaudront dans le temps contre les risques que présente l'absence de structure pour un contrôle de l'armée par les civils, la possible division en factions et l'incertitude quant à la politique qui sera menée pour résoudre les questions quotidiennes.

Ni l'identité sociale qui relève de l'appartenance à une tribu, ni la toute petite minorité qui est imprégnée de l'idée que la violence est justifiée pour réorganiser le monde, ne devraient être vues comme des risques de modification des règles du jeu. La richesse pétrolière sera une force de rassemblement que de division. L'idée que le chaos ne profitera à personne, à l'exception de ceux qui sont portés au mal, sera puissante, tout comme l'habitude des Libyens de coopérer avec leur gouvernement. Il y a de fortes raisons de penser que Libye restera unie et qu'elle évitera un vide du pouvoir, dans lequel les chefs de guerre pourraient s'installer.

Ce sont des défis sérieux, mais qui ont été pris en compte, à mon avis, dans l'organisation établie par les Libyens pour la transition. Mettre la théorie en pratique sera difficile, et il y aura des revers. Mais il y a plus de chance que les réussites conduisent à plus de réussites que les échecs se succèdent dans une spirale infernale.

La façon dont est mort Kadhafi place le nouveau gouvernement libyen en face de son premier challenge international : comment concilier la demande de l'étranger d'ouvrir une enquête avec le sentiment en Libye qu'un homme diabolique, qui a entraîné son peuple dans la guerre et qui a refusé de se rendre lorsque tout était clairement perdu, a eu ce qu'il méritait.

La communauté internationale devrait bien faire comprendre que l'exécution extrajudiciaire et l'assassinat d'un prisonnier sont des faits répréhensibles. Mais, dans le contexte de la fin désordonnée du combat sanglant à Syrte, il serait malavisé de s'étendre trop longtemps sur ce point. Le faire déclencherait également des demandes d'enquête - comme ce serait le cas dans un monde plus juste - sur d'autres assassinats notoires, perpétrés par des pays qui sont nos alliés ou qui prétendent partager nos idéaux.

Qu'un procès aurait été préférable pour tous est à présent une question hypothétique. La mort de Kadhafi a volé aux familles de ses victimes, notamment libyennes et britanniques, la chance de le voir interrogé sur les raisons pour lesquelles les choses se sont déroulées ainsi. Voir Kadhafi rendre des comptes à la Cour Criminelle Internationale aurait été un signal puissant pour les autres dirigeants malveillants. Mais tirer maintenant un trait définitif sur le passé pourrait s'avérer être plus une aide qu'un handicap pour le progrès de la Libye.

Gareth Evans a terminé son discours à Chatham House en plaidant pour que les critères de l'exercice de la R2P s'appliquent avec prudence pour les cas à venir. Ce serait le meilleur moyen, défend-il, de dépassionner les débats à haut niveau pour savoir si le résultat d'opérations spécifiques milite en faveur de l'intervention ou de la non-intervention.

Pour le moment, nous pouvons être sûrs qu'un risque grave a été évité en Libye, que l'intervention n'a pas favorisé les intérêts des étrangers aux dépens des Libyens et que les conséquences ont été positives. Les Libyens ont obtenu la chance qu'ils réclamaient.

Sir Richard Dalton est un ancien ambassadeur britannique en Libye.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

Note :
________________

[1] Le Royal Institute of International Affairs (RIIA), l'institut royal aux relations internationales, est une ONG créée en 1920 dans le sillage de la Conférence de paix de Paris. Sa mission consiste à effectuer des recherches sur les défis mondiaux, régionaux ou spécifiques à un pays, de les analyser et de proposer de nouvelles idées et des solutions aux décideurs politiques. Le Council on Foreign Relations (CFR) est son homologue américain. Ces deux ONG exercent une influence considérable dans la politique étrangère anglo-américaine - certains vont même jusqu'à affirmer qu'elles dictent la politique étrangère aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Le problème avec ces deux institutions est qu'elle furent créées par des oligarques britanniques ou américains, exerçant le pouvoir politique en coulisses, et, selon de nombreuses sources, qu'elles serviraient les intérêts de l'oligarchie anglo-américaine.

Le RIIA a été créé par Alfred Milner, qui contrôlait en coulisses la politique étrangère britannique au début du vingtième siècle, d'abord avec son Kindergarten, puis avec les Groupes de la Table Ronde (voir Carroll Quigley The Anglo American Establishment).

Le CFR a été créé en 1918 par un groupe de juristes internationaux et de banquiers réunis autour d'Elihu Root, ainsi que des membres de l'Inquiry, c'est-à-dire du groupe de travail formé sous l'impulsion du Président Woodrow Wilson et de son conseiller spécial le Colonel Edward Mandell House (voir Eustace Mullins Les Secrets de la Réserve Fédérale).


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