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Damas : Ville désertée, défection de l'ONU et avis de tempête

Par Robert Fisk

The Independent, le 18 août 2012,
article original : Damascus: A deserted city, a deserting UN, and a storm about to break

La semaine dernière, un vigile de l'ONU a été kidnappé,
torturé et assassiné près de chez lui


« Il ne survivra pas », m'a dit mon ami syrien, et je pense qu'il a raison.

L'homme qui est apparu à la télévision d'Etat portait une barbe qui lui descendait jusqu'à la poitrine. Un Salafiste avoué - nom de guerre « Abou Dolha », de son vrai nom Ahmed Ali Gharibo. Un Syrien - « hélas ! » s'est exclamé mon ami - du quartier Ghouta à Damas. Il a admis, face aux caméras, qu'il « regrettait » avoir tué 200 personnes de ses propres mains.

Qu'a-t-il fallu pour qu'un homme comme celui-ci admette de telles choses à la télévision ? Assis dans cette villa exposée au vent, à 25 km de Damas - le frère de Bachar, Maher, habite au coin de la rue - je ne suis pas loin de croire ce qu'a dit mon ami: Ahmed Gharibo ne survivra pas.

Comme tous les conflits civils, les rumeurs se transforment en faits et les faits en rumeurs. Je me dirige en voiture vers les demeures (un peu miteuses) des élites, situées à l'extérieur de la ville. Damas est quasi-déserte, ses boulevards presque vides avec plus de barrages que de feux de circulation, quelques vigiles « moukhabarat », quelques soldats, un « chabiha » occasionnel, bien disposés envers moi - pourquoi ne le seraient-ils pas ?

« Alors que vous autres Occidentaux êtes des défenseurs de la démocratie et de la liberté, comment pouvez-vous soutenir ces gens-là ? » demande mon ami. « Vos lecteurs savent-ils que Sa Gracieuse Majesté leur envoie des armes ? »

Je m'apprête à faire remarquer que SGM affirme qu'elle n'envoie aucune arme - le mot « affirme » est très important en Syrie ces temps-ci, comme dans la théorie de la conspiration de l'Histoire.

« La première étape pour démanteler l'Iran est de démanteler la Syrie - nous sommes isolés et 123 pays sont contre nous ; c'était le chiffre donné par ceux qui se sont réunis à Paris pour la conférence des soi-disant "Amis de la Syrie" ».

Je me mets à penser aux Serbes et à leur absolue conviction que le monde entier était contre eux, que leur innocence ne faisait aucun doute. Ah ! Mais à l'instar de l'ancienne Yougoslavie, il suffit de marcher dans les rues de Damas pour réaliser que la tempête n'a pas encore totalement éclaté. Derrière les murs des casernes de l'ancien mandat français, situées juste en dessous de la Place des Omeyyades, les décombres calcinés de la bombe au camion-citerne de cette semaine gît sous un arbre ratatiné. Etait-elle destinée à la « caserne » décrépite qu'utilise toujours l'armée syrienne ou était-ce un tour pour duper les officiers de l'ONU installés au Dama Rose Hotel de l'autre côté de la rue ? Mercredi, les 10 derniers observateurs militaires plieront bagage pour rejoindre l'aéroport de Beyrouth, à une journée de route. Que le point de transit soit l'aéroport de Beyrouth plutôt que celui de Damas en dit long. « Nous serons défunts dans les cinq jours », ai-je entendu l'un des officiers onusiens dire dans le hall de l'hôtel. Drôle de mot, « défunt », qui signifie mort en français.

Peut-être le terroriste au camion-citerne voulait-il aussi tuer l'ONU ? Peu après l'explosion, plusieurs tirs ont délibérément visé les bureaux de l'ONU au troisième étage de l'hôtel. Est-il vrai qu'une équipe syrienne armée de caméras se trouvait déjà au huitième étage, prête à filmer l'attentat ? Que des ambulances sont arrivées dans les trois minutes ?

L'ONU commençait à réaliser que ses hommes étaient de plus en plus en danger en province. A Alep, ils se sont mis au travail dans un périmètre de 50 km autour de la ville et en l'espace de quelques mois, leurs escortes gouvernementales ne s'aventuraient plus au-delà du dernier barrage du gouvernement à la frontière de la ville. Les rebelles étaient moins bien disposés envers l'ONU, et plusieurs observateurs internationaux ont vu des combattants étrangers parmi "l'Armée Syrienne Libre" ».

La semaine dernière - l'ONU n'a pas exactement rendu ce fait public - un vigile travaillant pour l'ONU, un ancien agent de sécurité du gouvernement, a été kidnappé et torturé, puis assassiné près de sa maison au nord de Damas. Ils ont trouvé une vingtaine d'impacts de balles dans son corps. Les hommes de l'ONU ne parlent pas - ils ont rarement été aussi peu communicatifs - mais ils ont compté les cadavres à Artus, à 40 km à l'ouest de Damas, 70 corps en tout, Sunnites, dans un charnier, il y a de cela tout juste deux semaines. Tués, semble-t-il, par les « chabiha ».

L'ASL a bien été dégagée du centre de Damas - la nuit, dans les quartiers périphériques, c'est une tout autre histoire - et quelques Damascènes semblent croire que les rebelles en armes sont en train de gagner à Alep.

« Les Chrétiens protestent », me dit un autre ami syrien. « L'archevêque grec d'Alep vient juste de lancer un appel aux puissances occidentales pour qu'elles n'envoient pas d'armes aux fondamentalistes. L'église catholique syrienne à Alep vient juste d'être visée par une bombe ».

Comment réplique-t-on à cela ? Le gouvernement syrien veut-il réellement que l'ONU s'en aille ? « Non ! » s'écrie mon ami. « Nous voulons que l'ONU exerce de la pression ici pour obliger ces "gens" à dialoguer ».

Le Salafiste a déclaré aujourd'hui, à son auditoire, que ses ennemis étaient « les Alaouites [évidemment, puisque Bachar al-Assad est alaouite], les Chiites et les Chrétiens ». Alors, c'est tout ? La guerre par la télévision ? Un aveu signalant que cet homme ne vivra pas longtemps après cette diffusion. Sinon, le grand oeil sombre de l'âne onusien se fermera à partir de mercredi ; c'est l'échec d'une autre mission - et pas un seul soldat international ne restera sur place pour voir la tempête éclater.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
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