L'ONU abandonne la Syrie à son triste sort
Par Robert Fisk
The Independent, le 20 août 2012,
article original : Robert Fisk: UN leaves Syria to its bloody fateReportage spécial : Alors que les soldats internationaux battent en retraite,
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des armes lourdes viendront inonder ce qui deviendra une zone de tirs à volonté
Hier, le commandant de l'ONU à Damas a fait des adieux misérables à sa mission, affirmant sans conviction que l'ONU n'abandonnerait pas Damas. Mais le pays sera transformé de fait en zone de tirs à volonté dès que ses cent derniers soldats commenceront à se retirer demain. A chaque fois que l'ONU retire son personnel du Moyen-Orient, la calamité arrive toujours dans son sillage - le départ des inspecteurs onusiens d'Irak en 2003 laissait présager l'invasion anglo-américaine - et, en privé, l'ONU craint que la voie est désormais libre pour que l'Ouest et les Pays du Golfe déversent des armes lourdes en Syrie pour assister la rébellion contre le régime d'Assad.
Tandis que le Général Babacar Gaye se tenait dans le hall du luxueux Damas Rose Hotel, souhaitant de façon ridicule aux Musulmans une joyeuse fête de l'Aïd, en cette fin de Ramadan, et insistant sur le fait que « l'ONU ne quittera pas la Syrie », ses propres officiers pliaient bagages et faisaient la queue pour payer leur dernière note d'hôtel de l'autre côté de l'atrium. « Ils ne pouvaient même pas attendre que Lakhdar Brahimi arrive pour prendre la suite en tant qu'envoyé de l'ONU », a grommelé l'un des officiels de Gaye. Le général a refusé de dire aux journalistes si, en restant, l'ONU aurait pu sauver plus de vies syriennes.
A l'extérieur, en cet après-midi damascène lumineux et chaud, les rues le plus souvent vides et les boutiques aux rideaux baissés évoquaient plus la lassitude que l'effondrement. Le régime de Bachar el-Assad ne semble pas sur le départ - comme les diplomates américains et français le croient naïvement - mais les signes de la dislocation sont partout. Les soldats sont cantonnés dans l'ancienne gare ottomane Haj dans le centre de Damas - d'où aucun train n'est parti pour les villes syriennes depuis des mois - mais la presse quotidienne contrôlée par le gouvernement syrien (il n'y en a pas d'autre) publie en une chaque jour des articles sur le front de guerre. La capture d'armes de « l'Armée syrienne libre », l'assassinat de civils à Damas et ses alentours - toujours attribués aux « terroristes », bien sûr - et les discours agressifs des acolytes du gouvernement ne dissimulent pas le péril de la nation. C'est peut-être pour cette raison que les Syriens à Damas parlent avec de plus en plus de liberté sur les chances de survie du régime, débattant ouvertement, dans les cafés et les restaurants, de la victoire ou de la défaire de Bachar. Tout le monde sait qu'à quelques kilomètres de la capitale, une zone sinistre commence, une terre - de quelques kilomètres carrés - où des actes terribles se déroulent sans discontinuer. Les principales routes vers le Nord ont été coupées et les lignes téléphoniques vers Alep sont généralement écroulées ; la plupart des voyageurs choisissent de s'envoler vers cette ville depuis Damas, même si la route qui conduit de l'aéroport d'Alep au centre-ville est elle-même dangereuse. Hier, le principal guichet de la Syrian Arab Airlines à Damas était bondé de passagers à la recherche de vols pour quitter le pays ou suppliant d'accorder des places surbookées à des membres de leur famille sur des vols en provenance d'Alep.
Et pourtant ! Le régime, dont l'histoire et les racines s'enfoncent profondément dans la terre de Syrie - aussi brutales et corrompues soient ces racines, selon ses opposants -, semble être plus vivant que ne peuvent le croire les Clinton, les Panetta et autres Laurent Fabius. Lorsque Fabius, le ministre français des affaires étrangères - après avoir écouté les récits de réfugiés sur les atrocités en Syrie - annonce que Bashar el-Assad « ne mérite pas d'être sur cette terre », ses mots semblent plus puérils que menaçants ; en effet, ils sonnent comme cette sorte d'absurdité souvent proférée par les dictateurs arabes. Les Damascènes se tournent vers leurs familles plutôt que vers la vengeance ; un homme de la classe moyenne que je connais depuis des années m'a dit hier comment sa femme travaillait pour un bureau du gouvernement mais qu'il l'avait « mutée à la maison » afin qu'elle soit en sécurité. Le ministère de l'information a produit un DVD bourré d'enregistrements d'explosions de bombes « terroristes » à travers tout le pays - tout en admettant que ce disc n'inclut pas encore le camion piégé de la semaine dernière près de l'hôtel de l'ONU. Le dernier au revoir du Général Gaye fut aussi sinistre qu'il fut court. Après l'arrivée des soldats onusiens le 21 avril dernier pour surveiller le retrait des armes lourdes et le cessez-le-feu, la violence a décliné, a-t-il dit, mais « à partir de la mi-juin, il est devenu manifeste que toutes les parties n'étaient plus engagées dans le cessez-le-feu ». Les observateurs de l'ONU ont ensuite essayé « de favoriser des pauses dans les combats » pour aider le travail humanitaire. « J'en appelle à toutes les parties de cesser la violence qui cause une telle souffrance au peuple syrien », a proclamé le Général Gaye, ajoutant que le droit humanitaire doit être respecté.
Mais il est inutile de dire que le droit humanitaire n'est pas respecté - et qu'il ne le sera pas, et, qu'à partir de demain, il n'y aura plus personne pour « favoriser des pauses dans les combats ». Lorsque j'ai demandé à ce bon général se qu'il ressentait personnellement de l'échec de sa mission, il a répondu qu'il avait été conforté par le fait que « l'ONU restera en Syrie ». Mais c'était grotesque. A part un minuscule bureau de l'ONU - avec peut-être dix personnes - qui n'a toujours pas été approuvé, il n'y a plus aucune mission d'observation de l'ONU ici, sauf la force de l'ONUST (Organisme des Nations Unies de surveillance de la trêve) qui est entièrement engagée à maintenir la paix israélo-syrienne sur le Plateau du Golan. Les soldats onusiens qui ont courageusement assisté au pilonnage d'Alep et de Homs ne seront plus là.
La mission de l'ONU en Syrie aurait-elle dû être conduite par un diplomate plutôt que par un soldat - personne ici ne semble comprendre pourquoi le général norvégien Mood, le prédécesseur du général Gaye, a quitté son poste - et aurait-elle dû passer plus de temps à discuter avec les forces d'opposition à l'extérieur de la Syrie ? Ces deux questions étaient toujours débattues, hier, au sein de l'ONU. Et pourquoi mettre un terme à cette mission maintenant ? Est-ce parce que certaines personnes au siège de l'ONU à New York savaient depuis le début qu'il n'était pas prévu que cette mission réussisse ? Ou est-ce parce que les pays occidentaux et leurs sponsors du Golfe ne veulent pas que les observateurs mettent leur nez dans la quantité de nouvelles armes encore plus mortelles qu'ils pourraient prévoir d'envoyer à « l'Armée syrienne libre » et à ses alliés plus barbus dans ces parties de la Syrie où la loi de Bachar n'a plus cours ?Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
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