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Pourquoi Gaza ?

Par Robert Fisk

The Belfast Telegraph, le 11 juillet 2014
article original : Gaza back-story: A future Palestine state will have no borders and be an enclave within Israel, surrounded on all sides by Israeli-held territory

Un futur Etat de Palestine sans frontières et enclavé à l'intérieur d'Israël,
entouré de tous côtés par un territoire aux mains des Israéliens


C'est entendu, depuis cet après-midi, le score mortifère en deux jours est de 40 à 0 en faveur d'Israël [au bout de quatre jours, il est de 80 à 0 - ndt]. Mais maintenant, en ce qui concerne l'histoire de Gaza, vous n'entendrez personne en parler dans les prochaines heures.

Ce sont les terres qui sont en jeu. Les Israéliens de Sderot se retrouvent sous le feu des roquettes des Palestiniens de Gaza et les Palestiniens n'ont que ce qu'ils méritent, c'est sûr.

Mais, attendez une minute ! Comment se fait-il, pour commencer, que ces Palestiniens - en tout 1,5 million - sont entassés dans Gaza ? Eh bien, leur familles ne vivaient-elles pas autrefois dans ce que l'on appelle maintenant Israël ? Et ont été éjectés - ou se sont sauvés - lorsque l'Etat israélien a été créé.

Et - là, il faut peut-être reprendre son souffle - les gens qui vivaient à Sderot au début de l'année 1948 n'étaient pas Israéliens, mais des Arabes palestiniens. Leur village s'appelait Huj. Ils n'étaient pas non plus les ennemis d'Israël. Deux ans plus tôt, ces mêmes Arabes avaient en fait caché des combattants juifs de la Haganah poursuivis par l'Armée britannique. Mais lorsque l'armée israélienne est arrivée à Huj le 31 mai 1948, elle a expulsé les villageois arabes - vers la Bande de Gaza ! Ils sont devenus des réfugiés. David ben Gourion (le premier Premier ministre israélien) avait déclaré que c'était une « action injuste et non justifiée ». Dommage ! Les Palestiniens de Huj n'ont jamais été autorisés à revenir.

Et aujourd'hui, largement plus de 6.000 descendants de ces Palestiniens de Huj - à présent Sderot - vivent dans les conditions sordides de Gaza, parmi les « terroristes » qu'Israël prétend détruire et qui tirent en direction de ce qui était auparavant Huj. Histoire intéressante.

Et on entend toujours la même chose quant au droit d'Israël à se défendre. On nous l'a répété aujourd'hui encore. Et que se passerait-il si les Londoniens étaient la cible de roquettes comme les Israéliens ? Ne riposteraient-ils pas ? Mais oui, sauf que nous, les Britanniques, n'avons pas plus d'un million des anciens habitants du Royaume-Uni cloîtrés dans des camps de réfugiés dans quelques kilomètres carrés du côté de Hastings.

La dernière fois que cet argument spécieux a été utilisé, c'était en 2008, lorsque Israël a envahi Gaza et tué au moins 1100 Palestiniens (score : 1100 à 13). Et que se passerait-il si Dublin se trouvait sous le feu d'attaques de roquettes, demanda alors l'ambassadeur israélien ? Mais la ville de Crossmaglen, en Irlande du Nord (et donc à l'intérieur du Royaume-Uni) s'est trouvée sous le feu d'attaques de roquettes tirées depuis la République d'Irlande, dans les années 1970 - et pourtant la RAF n'a pas bombardé Dublin en représailles, tuant au passage des femmes et des enfants. Au Canada, en 2008, les supporteurs d'Israël faisaient le même rapprochement fallacieux. Et que se passerait-il si les habitants de Vancouver, de Toronto ou de Montréal étaient la cible de roquettes tirées depuis les banlieues de leur propre ville ? Qu'éprouveraient-ils ? Mais les Canadiens n'ont pas poussé les habitants d'origine du territoire canadien dans des camps de réfugiés.

Et maintenant, rendons-nous en Cisjordanie. Tout d'abord, Benjamin Netanyahou a dit qu'il ne pouvait pas discuter avec le « Président » palestinien Mahmoud Abbas, parce que celui-ci ne représentait pas également le Hamas. Puis, lorsque Abbas a formé un gouvernement d'unité, Netanyahou a dit qu'il ne pouvait pas parler à Abbas parce qu'il s'était uni avec le Hamas « terroriste ». Maintenant, il dit qu'il ne peut lui parler que s'il rompt avec le Hamas - même s'il ne représentera alors plus le Hamas.

Pendant ce temps, ce grand homme de gauche qu'est le philosophe israélien Uri Avnery - 90 ans et, heureusement, toujours solide - a relevé la dernière obsession de son pays : le risque que l'EIIL prenne d'assaut l'ouest de son « califat » irako-syrien et arrive jusqu'à la rive orientale du Jourdain.

« Et Netanyahou a dit », écrit Avneri dans CounterPunch, « que s'ils ne sont pas arrêtés par la garnison permanente que se trouve là-bas (sur le Jourdain), ils se présenteront aux portes de Tel-Aviv ». La vérité, bien sûr, est que l'aviation israélienne aura écrasé l'EIIL au moment où ils oseront traverser la frontière jordanienne avec l'Irak ou la Syrie.

Toutefois, l'importance de ceci est que si Israël maintient son armée sur le Jourdain (pour protéger Israël de l'EIIL), un futur Etat de « Palestine » n'aura aucune frontière et sera une enclave à l'intérieur d'Israël, entouré de tous côtés par un territoire aux mains des Israéliens.

« De façon très comparable aux Bantoustans sud-africains », dit Avneri. Autrement dit, aucun Etat « viable » de Palestine n'existera jamais. Après tout, l'EIIL n'est-il pas de la même veine que le Hamas ? Bien sûr que non.

Mais ce n'est pas ce que nous avons entendu de la part de Mark Regev, le porte-parole de Netanyahou. Non, ce qu'il a déclaré à Al Jazeera était que le Hamas était une organisation terroriste extrémiste pas très différente de l'EIIL en Irak, du Hezbollah au Liban, de Boko Haram. » Foutaises ! Le Hezbollah est une milice chiite qui combat aujourd'hui jusqu'à la mort à l'intérieur de la Syrie contre les Musulmans sunnite de l'EIIL. Et Boko Haram - à des milliers de kilomètres d'Israël - n'est pas une menace pour Tel-Aviv.

Mais, vous comprenez l'idée : les Palestiniens de Gaza - et oubliez, SVP, pour toujours les 6.000 Palestiniens dont les familles viennent de la terre de Sderot - seraient alliés aux milliers d'Islamistes menaçant Maliki à Bagdad, Assad à Damas ou le Président Goodluck Jonathan à Abuja.

Pour être plus précis, si l'EIIL se dirige jusqu'au bord de la Cisjordanie, pourquoi le gouvernement israélien construit-il toujours des colonies là-bas - illégalement et sur des terres arabes - pour des civils israéliens ?

Toute cette affaire n'a rien à voir avec le meurtre odieux de trois Israéliens en Cisjordanie occupée ou le meurtre infâme d'un Palestinien dans Jérusalem-Est occupée. Rien non plus à voir avec l'arrestation de nombreux militants et politiciens du Hamas en Cisjordanie. Rien non plus avec les tirs de roquettes. Comme d'habitude, la raison c'est la terre.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

NOUS RECOMMANDONS ÉGALEMENT LA LECTURE DE :
"Le Conflit Israélo-Palestinien", par Jean-François Goulon (Le Retour aux Sources, 2012). Compilation de textes écrits par les plus grands auteurs juifs (et quelques autres) ayant traité ce sujet et qui retracent l'histoire de ce conflit, depuis les origines cananéennes de la Palestine à sa demande d'adhésion à l'ONU.


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