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Ahmadinejad profite du retrait américain à la conférence "antiterroriste"

Par Robert Fisk
The Independent, lundi 27 juin 2011

article original : "Robert Fisk: Ahmadinejad seizes on America's retreat at 'anti-terror' conference"

L’Iran cherche à impressionner les dirigeants afghan, irakien et pakistanais.



A cette conférence, de gauche à droite : le Président Zardari du Pakistan ; le Président iranien Ahmadinejad ;
Salehi, le ministre iranien des affaires étrangères ; le Président Talabani d’Irak ; et, le Président afghan Karzaï

Si vous aviez tenu un miroir lors de la vaste conférence « antiterroriste » qui s’est déroulée à Téhéran ce week-end – la version anti-iranienne du terrorisme, bien sûr – vous auriez vu trois hommes assis en privé pour discuter de ce qui se passera lorsque les Etats-Unis et leurs partenaires de l’OTAN organiseront leur retraite finale d’Afghanistan.

Messieurs Ahmadinejad d’Iran, Karzaï d’Afghanistan et Zardari du Pakistan – tous les trois joyeux présidents partageant la scène avec Talabani d’Irak, Rahmon du Tadjikistan et (dites-le à voix basse), ce vieil homme recherché, le Président Omar Hassan al-Bashir du Soudan – ont passé du temps à discuter comment ils réagiraient tous lorsque l’Ouest terminera son aventure dans les cimetières des Empires.

Les ironies étaient légion. Le descendant des temps modernes de l’empire perse, accusé si souvent par l’Amérique d’aider les « terroristes » d’Irak à tuer des soldats américains, n’est certainement pas un fervent des « terroristes » du Taliban – au moment même où les Américains s’empressent de parler à ces mêmes Talibans, afin de pouvoir quitter en quatrième vitesse l’Afghanistan.

Le flamboyant Président Hamid Karzaï, le karakuli vissé sur la tête, dont le discours aux délégués de cette conférence a duré à peine quatre minutes anodines – quiconque peut condamner toute variété de « terrorisme » en aussi peu de temps –, a très envie de voir l’Iran l’aider à reconstruire son pays, ce que les Américains et les Britanniques et tous les autres qui aiment la démocratie étaient censés être prêts à faire après la brève défaite des Talibans en 2001.

Et il y avait le Président Zardari du Pakistan, dont la propre épouse a été tuée dans une attaque « terroriste » - personne à Téhéran, bien sûr, n’a suggéré qui pourrait en être l’auteur –, très désireux de parler avec les Iraniens et les Afghans du futur rôle du Pakistan, malgré son solide soutien pendant des dizaines d’années au « Taliban noir » qui a toujours figuré sur la liste noire de l’Iran. Ce n’était pas de la poudre aux yeux. C’était énormément de poudre à tel point qu’il fallait porter des lunettes noires.

Lorsque je me suis glissé à travers la masse des journalistes iraniens entourant le ministre des affaires étrangères, j’ai trouvé qu’Ali Akbar Salehi était un homme vraiment très prudent, visiblement plus inquiet sur la manière dont son anglais serait traduit en farsi que sur la manière dont ses propos seraient rapportés dans The Independent « Dans les débats trilatéraux entre l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan, nous avons discuté de nombreuses choses et questions qui pourraient survenir après que les forces de l’Otan partiront d’Afghanistan », a-t-il dit. « Je pense qu’il y a eu une bonne convergence de vues parmi les dirigeants des trois pays […] En un mot, je suis très optimiste quant au futur de la région – contrairement à ce que d’autres aimeraient prêcher. Ces trois nations rentrent chez elles, déterminées à prendre en main leur gouvernance et à exercer leur indépendance pour faire de leur mieux sur le plan économique, politique et de la coopération culturelle ».

C’est la version diplomatique longue pour dire « Ouf ! les Américains s’en vont enfin et nous nous retrouvons tous entre nous ». Même le Dirigeant Suprême iranien, dont la sagesse est saluée ici comme l’est celle du Vatican ailleurs, semble avoir conclu que les Etats-Unis prévoient d’abandonner son voisin de l’Est. L’Ayatollah Sayed Ali Khamenei a dit qu’il pensait que les Américains seraient partis « dans les trois ans ». Mais la vaste base aérienne US à Kandahar, comme celles de Bagram et d’ailleurs, ressemble beaucoup à des projets à long-terme, tout comme les « feuilles de nénuphar » (l’expression de ce stratège militaire extraordinaire qu’était D. Rumsfeld) militaires géantes en Irak.

Le Président Talabani, sans aucun doute le plus imposant des délégués en chef par sa taille physique, a choisi de ne pas s’étendre sur ce sujet : il avait plus envie de promettre que les pires ennemis de l’Iran – les membres de la secte Modjahedin Qalq, toujours installés au Camp Ashraf après des années de fidélité à Saddam Hussein et de bombardements contre l’Iran – seraient chassés de son pays. Les Iraniens ont déjà accepté le retour en Iran de 250 de ces voyous après avoir reçu la garantie qu’ils se comporteraient bien. Un grand nombre d’entre eux peuvent choisir de s’enfuir vers des pays tiers. Le ministre iranien du renseignement, Haudar Moslehi, a promis « de déterminer le sort du Camp Ashraf dès que possible ». C’est ce à quoi devait servir l’ensemble de cette conférence « antiterroriste » de dirigeants suffisants et prétentieux.

Confronté au mot fatidique « Syrie », M. Saleh a plongé dans la foule, s’écriant par-dessus son épaule : « Je pense que la Syrie sera… » Et c’est tout ce que nous avons entendu. On peut dire avec assurance qu’il pense que l’allié de l’Iran, le Président Bachar el-Assad, parviendra malgré tout à sortir de ses petites difficultés présentes (1.400 morts, soulèvements dans presque toutes les villes, quasi-guerre civile dans le Nord de la Syrie) sans trop avoir à s’inquiéter.

Ma supposition est qu’un pays habile comme l’Iran – s’il se prépare pour une vie sans les Américains en Afghanistan – doit également être en train de prévoir une vie sans les Assad à Damas.

Traduit de l'anglais par [JFG/QuestionsCritiques]


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