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Syrie : chaque concession rend le Président plus vulnérable

Par Robert Fisk
The Independent, samedi 23 avril 2011

article original : "Robert Fisk: Every concession makes the President more vulnerable"

Tous les dictateurs savent que lorsqu’ils commencent à faire des concessions,
c’est là qu’ils sont les plus vulnérables


C’est une torture exquise pour le régime au pouvoir. Chaque geste, chaque libération de prisonniers politiques, chaque concession – et la foule en demande plus. Hier, ce fut le Président Bachar el-Assad qui était sous la torture.

S’il n’avait pas levé l’état d’urgence pour les Syriens ? S’il ne les avait pas autorisés à manifester pacifiquement – mais seulement avec une permission qui doit être obtenue 24 heures à l’avance – et s’il n’avait pas relâché un nombre symbolique de prisonniers ? S’il n’avait pas détruit la cour de sécurité nationale haïe ? Hélas non !

A Damas, à Hama – cette cité antique qui a essayé de détruire le père de Bachar, Hafez, avec un soulèvement islamique en février 1982 – et à Banias, à Latakia et à Deraa, ils sont des dizaines de milliers à être sortis dans la rue hier. Ils voulaient la libération de 6.000 prisonniers supplémentaires, ils voulaient la fin de la torture et la fin de la police secrète. Et ils voulaient que Bachar el-Assad s’en aille.

La Syrie est un pays fier, mais la Tunisie et l’Egypte ont été étudiées par les Syriens (voire par Bachar lui-même – une grave erreur). Si les Arabes d’Afrique du Nord pouvaient avoir leur dignité, pourquoi pas les Syriens ? Et la fin du monopole du Parti Baas, tant qu’ils y étaient. Et une presse libre ; toutes les exigences qu’ils pensaient voir satisfaites, il y a 11 ans, lorsque Bachar marchait derrière le cercueil de son père et que des amis du Président nous avaient dit que les choses allaient changer. Ce serait assurément un nouvel Etat sous Bachar, insistaient-ils.

Mais les choses n’ont pas changé. Bachar a découvert que la famille, le parti et l’appareil sécuritaire massif étaient trop forts pour lui, trop nécessaire pour lui. Il a échoué. Et, à présent, cet échec est évident : dans le gaz lacrymogène tiré sur les foules à Damas ; dans les salves à balles réelles qui auraient été tirées sur la foule à Hama, cette ville dangereuse et effrayante, où il n’y a pas un homme ou une femme de plus de 30 ans qui n’a pas perdu un parent ou un ami, il y a 29 ans.

Bachar el-Assad est un homme aguerri. Il s’est dressé contre Israël et contre la pression américaine. Il a soutenu le Hezbollah, l’Iran et le Hamas. Mais les Syriens avaient d’autres exigences. Ils se préoccupaient plus de leur liberté dans le pays plutôt que des batailles au Liban, plus de la torture dans la prison de Tadmor que du combat pour les Palestiniens. Et, maintenant, ils ont défilé avec cette exigence ultime : la fin du régime.

Je ne suis pas sûr qu’ils l’obtiennent déjà. Le ministère syrien de l’intérieur a de nouveau joué, hier, la carte sectaire ; les manifestants étaient sectaires, clamaient-ils. Il y a peut-être une part de vérité là-dedans ; mais c’est une petite part. Les gens qui sont descendus dans la rue en Syrie veulent le changement. Il est certain qu’ils n’étaient pas aussi nombreux que dans la rue égyptienne qui s’est débarrassée de Moubarak ; ni même aussi nombreux que les Tunisiens. Mais cela a commencé.

Traduit de l'anglais par [JFG/QuestionsCritiques]


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