La Syrie se dirige-t-elle tout droit vers la guerre civile ?
Par Robert Fisk
article original : "Robert Fisk: If the rumours and conspiracies are true, then President Assad's regime is on the road to civil war"
The Independent, mercredi 27 avril 2011Si les soldats tués l’ont été par vengeance, cela signifie que l’opposition
est prête à recourir à la force. Si les rumeurs de conspirations s’avèrent exactes,
alors le régime du président Assad se dirige vers la guerre civile
Tous les soirs, la télévision d’Etat syrienne livre un spectacle d’horreurs. Des corps dénudés avec de multiples blessures par balles, l’arrière de la calotte crânienne détachée. Tous ces soldats syriens, insiste la télévision, ont été assassinés près de Daraa par « les gangs armés de traîtres et de criminels ».
L’un des corps – celui d’un jeune officier dans sa vingtaine – a eu les yeux arrachés. On dirait que « des couteaux et des outils tranchants » ont été utilisés contre les soldats, nous raconte le commentaire. Il semble ne faire aucun doute que les corps soient bien réels et peu de doute qu’ils aient vraiment fait partie des membres des forces de « sécurité » syriennes – ces derniers temps, le mot sécurité doit être mis entre guillemets – ni que leurs parents bouleversés et en pleurs, à l’arrière plan, soient vraiment leurs familles.
Les images montrent des corps, fraîchement lavés pour être enterrés, emportés de l’Hôpital militaire Tishrin à Damas. Leurs noms sont connus. Mohamed Ali, Ibrahim Hoss, Ahmed Abdulhah, Nida al-Hoshi, Basil Ali, Hazem Mohamed Ali, Mohamed Alla sont tous portés par la police militaire dans des cercueils recouverts d’un drapeau [syrien] depuis la morgue de l’armée. Ils viennent de Tartous, Banias, Alep, Damas. Lorsque que le cortège funéraire d’al-Hoshi a longé la côte méditerranéenne en direction du nord, il a été pris dans un guet-apens par « un gang armé ».
Il est aisé d’être cynique à propos de ces images effrayantes et du lustre qui entoure ces morts. Après tout, tirer sur des cortèges funéraires était jusqu’à présent la prérogative des flics armés du gouvernement plutôt que des « gang armés ». Et la télévision syrienne n’a pas montré le moindre civil tué ou les moindres funérailles civiles, après la mort de peut-être 320 manifestants en plus d’un mois. Il a été rapporté que 20 autres [manifestants] auraient été tués hier du côté de Daraa.
Mais ces reportages sont importants, parce que si les soldats tués sont victimes de vengeances de la part de familles outragées qui ont perdu des êtres chers et qui étaient entre les mains de la police secrète, cela signifie que l’opposition est prête à utiliser la force contre ses agresseurs. Mais, s’il y a réellement des groupes armés qui sillonnent la Syrie, alors le régime baasiste du Président Bachar el-Assad se dirige vers la guerre civile.
Jusqu’à présent, les manifestants – pro-démocratie ou anti-Bachar ou les deux – nous ont livré l’intrigue : leurs images sur Youtube, les descriptions qu’ils ont faites sur internet, les images stupéfiantes de chars syriens T-72 entrant en force dans les rues de Daraa – sans parler de la tentative pathétique d’en attaquer un avec une bouteille vide – ont dominé notre perception de la dictature toute puissante écrasant son peuple dans le sang. Et la vérité repose derrière ce qu’ils disent. Après le massacre de 1982 à Hama, personne n’a le moindre doute que les Baasistes syriens jouent selon les règles de Hama. Mais leur explication sur la série quotidienne d’images macabres diffusées sur la télévision d’Etat manque également de conviction. Selon tous ceux qui essayent courageusement de transmettre des informations par téléphone à l’extérieur de la Syrie – mais pas depuis Daraa, où les téléphones et internet ont été totalement coupés – les corps mutilés sont ceux de soldats qui ont refusé de tirer sur le peuple et qui ont été immédiatement punis en étant exécutés et mutilés par les shabiha, les « barbares » des combattant Alaouites, et ensuite cyniquement montrés à la télévision pour soutenir les fausses affirmations du gouvernement selon lesquelles celui-ci combat une insurrection armée et que les habitants de Daraa ont eux-mêmes demandé à l’armée de venir dans leur ville pour les sauver des « terroristes ».
Cela ressemble un peu à l’envers de la propre propagande du gouvernement. Bien sûr, les autorités syriennes ne peuvent s’en prendre qu’à elles-mêmes pour leur manque de crédibilité. Après avoir invoqué des « complots étrangers » - l’explication de tous les potentats de la région lorsqu’ils se retrouvent dos au mur – les autorités ont soudainement interdit à tous les journalistes étrangers d’entrer en Syrie afin de confirmer ou d’infirmer ces affirmations. Le ministère de l’intérieur a fait parvenir au ministère du tourisme une liste de correspondants au Moyen-Orient, afin de s’assurer qu’aucun reporter ne s’introduira en Syrie avec le soudain désir d’étudier les ruines romaines de Palmyre.
L’histoire est donc écrite avec des rumeurs. Elle commence, je suppose, par les derniers mots présentés aux infos du soir à la télévision syrienne : « Les martyrs ne meurent jamais ». Manifestement, ils expirent, mais de quels martyrs parle-t-on ? Une bonne histoire sur Daraa – du genre de celles dépourvues jusqu’à présent de la moindre parcelle de preuve – est qu’après l’entrée fracassante dans la ville des chars de la quatrième brigade de Maher Assad (le frère du président), des éléments de la cinquième brigade de l’armée régulière, postée près de Daraa – censés être commandés par un officier du nom de Rifai, bien que cela soit aussi contesté – ont tourné leurs armes contre les envahisseurs de Maher. Mais la cinquième [brigade], dit cette histoire, n’a pas de chars et comprend des personnels de l’armée de l’air qui ne sont pas autorisés à piloter leurs jets.
Nous avons donc à présent des civils armés – un oxymore qui semble échapper au régime – qui se défendent de façon systématique ? Au Liban, dont la capitale est plus proche de Damas que de Daraa, la peur croissante est que ce bain de sang ne se trouve qu’à deux heures de route. Les amis de la Syrie au Liban affirment maintenant que les Saoudiens – les alliés du gouvernement sortant à Beyrouth – ont subventionné la révolution en Syrie. Un ancien ministre a montré à la télévision des copies de chèques d’un montant de 300.000 dollars, qui porteraient la signature du Prince Turki ben Abdul Aziz, l’ancien chef des services secrets saoudiens – et, en cette qualité, autrefois en bons termes avec un certain Oussama ben Laden – et frère du Roi Abdallâh. Ces chèques auraient été remis à des personnalités libanaises pour qu’elles instillent des troubles en Syrie. L’un de ceux que la Syrie accuse d’être impliqué est l’ancien ministre libanais, Mohamed Beydoun. Ce dernier a dit que ses accusateurs étaient coupables « d’incitation au meurtre », et le Prince Turki a déclaré avec indignation que ces chèques étaient des « faux ». Mais le Hezbollah, soutenu par la Syrie, appuie désormais cette affirmation, et au moins un député libanais, Ahmed Fatfat, a finalement prononcé ces mots fatidiques. Par ces accusations portées contre le « Mouvement du Futur » - le plus grand regroupement du gouvernement sortant – il a déclaré : « le Hezbollah et son équipe préparent la voie vers la guerre civile au Liban ».
A présent, les médias syriens ont pointé du doigt le député libanais Okab Sadr, déclarant qu’il avait été arrêté – en compagnie « d’officiers israéliens » - dans la ville syrienne de Banias. En fait, M. Sadr est en bonne santé au Liban, où il est apparu pour dire que la seule raison qui le ferait se rendre à Banias serait pour donner son sang à l’hôpital pour les habitants.
Vendredi prochain, dans la ville libanaise septentrionale de Tripoli, des supporters pro et anti-Assad, prévoient d’organiser de nouvelles manifestations plus importantes après la prière du vendredi. Beaucoup de Libanais du nord craignent que dans l’éventualité d’un conflit civil en Syrie, Tripoli ne devienne une « capitale » de la Syrie du Nord. Qu’elle soit un fief rebelle ou pro-Assad reste toutefois une question ouverte.
Quelque peu plus dérangeant en ce moment – et beaucoup plus près de la vérité – est que Ali Aid, une personnalité plutôt endurcie de la région de Djebel Mohsen, les montagnes alaouites de Syrie, a laissé son fils, Riffat, prendre le commandement de son mouvement précurseur des milices. A la place, il s’est construit une magnifique villa près de la frontière libano-syrienne. Le problème est que le Commandant Ali Aid vit dans sa nouvelle demeure, qui se trouve du côté libanais de la frontière.Traduit de l'anglais par [JFG/QuestionsCritiques]
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