Voilà comment la doctrine de Tony Blair transforme des ennemis en « alliés »
Par Robert Fisk
The Independent, le 16 juin 2014
article original : Robert Fisk: Now we see how his doctrine turns enemies into 'allies'Les ennemis d'Assad, ceux-là mêmes que le bombardement de Damas
Tweeter
préconisé par Blair aurait aidés, menacent maintenant l'Irak.
Comment font-ils pour s'en tirer aussi facilement avec ces mensonges ? Tony blair nous dit maintenant que « l'inaction » occidentale en Syrie a produit la crise irakienne. Mais, étant donné que le bombardement de la Syrie aurait amené au pouvoir, à Damas, ces mêmes islamistes qui menacent maintenant Bagdad, c'est encore une chance que Barack Obama n'écoute pas les élucubrations de types comme Tony Blair !
Alors que je viens de passer plusieurs jours en Syrie, où je me suis rendu dans trois villes - et n'ayons aucune illusion quant à la brutalité du régime d'Assad ! -, je trouve instructif de méditer sur ce que les copains rebelles de Tony Blair sont en train de faire en Syrie. Prenez les 8 km de route qui mènent à l'aéroport d'Alep.
Celle-ci a été reprise par les troupes du gouvernement, mais les Islamistes tiennent un territoire si étendu autour d'Alep qu'il vous faut d'abord rouler pendant 25 km dans le noir pour atteindre la ville, en empruntant des chemins de terre battue, inondés par de véritables lacs d'eaux usées non traitées, en contrebas d'une ligne de chemin de fer désaffectée. Des feux traçants d'un rouge lumineux - tirés par les hommes que Blair aurait soutenus - sillonnent la route. Les troupes syriennes tiennent des barrages sur ce parcours digne d'un jeu de l'oie complètement dingue. Parfois, les Islamistes ne sont éloignés que de 200 mètres.
Voici donc un aperçu d'Alep aujourd'hui - mais qui serait Mossoul si les amis de Blair avaient gagné et si l'Ouest avait fait preuve « d'action » contre le régime d'Assad. Dans les rues, je tombe sur des miliciens du gouvernement et des civils qui creusent des fossés de 6 mètres à la recherche des tunnels omniprésents que les forces d'al-Nousra et de l'EIIL utilisent maintenant pour attaquer leurs ennemis. Les bâtiments du gouvernement ont été entièrement détruits, dans Alep, ville tenue par le gouvernement.
C'est un monde inversé. Tandis que les hélicoptères d'Assad larguent des barils de poudre sur les bases rebelles - et sur de nombreux civils - dans le nord d'Alep, l'opposition armée pilonne le quartier chrétien de la ville à coup de mortiers. Nous errons le long de la ligne de front ; des enfants jouent, un vieil homme fume une cigarette sur un tas de décombres, dans le fracas des mortiers, à moins d'1,5 km. Un soldat syrien ôte un parpaing d'un vieux mur de pierre - nous sommes à la lisière de la vieille ville - et je jette un coup d'oil rapide à travers le trou. A un mètre ou deux plus loin, derrière des sacs de sables moisis et des poutres cassées, se trouve un autre trou - d'où un tireur rebelle embusqué m'observe probablement. Cette situation me rappelle un souvenir personnel : il y a presque 96 ans jour pour jour, mon père a levé une caméra au-dessus de la ligne de front de 1918, en France, et a pris une photo de sacs de sables moisis et d'arbres fracturés.
Le commandant Somer de l'armée syrienne nous décrit ce labyrinthe de tunnels creusés par l'opposition sous la vieille ville, et le jour où le minaret de la superbe mosquée des Omeyyades, construite à l'époque des Abbassides, s'est effondré sur le sol. Selon Somer, il aurait été soufflé par des explosifs entreposés dans les tunnels par les rebelles (mais ça reste à voir).
« Lorsqu'il s'est effondré », dit-il, « j'ai ressenti que 1500 ans de civilisation venaient de mourir. Je me trouvais sur la ligne de front et j'ai entendu le fracas - dans tout Alep, le sol s'est mis à trembler, comme dans un tremblement de terre. Ils avaient creusé le sous-sol de presque tout Alep. Ils voulaient se venger, détruire nos infrastructures. Pourquoi les Musulmans font-ils cela ? Parce qu'ils ne sont pas musulmans.
C'est bizarre, grotesque - certainement pour ses ennemis qui se trouvent à quelques mètres de là - mais une chose est sûre : des explosions retentissent tout autour de nous ; 16 [soldats] mourront ici dans les prochaines heures. L'un d'eux aura la tête arrachée ce soir-là dans un restaurant à moins d'1 km de là où nous nous trouvons, nous rapportera un témoin, accourant dans le café où nous mangeons sur le pouce à une heure avancée de la nuit, secouant la tête et souriant de soulagement. Il y a plein de nourriture depuis que l'armée à brisé le siège d'Alep. Mais aucune eau pendant six jours depuis que les Turcs ont bloqué le cours d'eau venant du barrage au nord de la frontière. Enfants et femmes âgées transportent des bidons en plastique remplis de l'eau des réservoirs apportés par le gouvernement.
Il est inutile de demander pourquoi l'armée ne peut pas reprendre la vieille ville. « Pas assez de soldats », dit franchement un journaliste syrien. « Voilà pourquoi le gouvernement a accepté de mettre fin au siège d'Homs de façon pacifique et de laisser les rebelles partir librement vers le Nord - ils avaient besoin de contrôler Homs afin que les soldats stationnés là-bas puissent venir en renfort, ici, à Alep ». Je me rends à Homs, à 300 km de là. Un océan de ruines blanches et des km et des km de tunnels abandonnés. Quelques Chrétiens m'entraînent timidement à travers les décombres d'une église, vers un petit jardin dans lequel se trouve une chaise en plastique rose. « C'est ici qu'ils ont exécuté le Père Frans », dit l'un d'eux. « Ils l'ont fait asseoir sur cette chaise et on tiré, juste au-dessus de l'oil gauche ».
Le Père Frans van der Lugt est un martyr d'Homs ; il a refusé de quitter ses ouailles chrétiennes et ses amis musulmans, durant toutes ces années de siège, implorant le monde d'avoir pitié des innocents et des affamés jusqu'à ce que, le 7 avril de cette année, des hommes en armes arrivent dans le jardin de l'église et l'assassinent. C'était des hommes des forces d'al-Nousra - le régime d'Assad les appelait des terroristes. Evidemment, l'opposition a dit que si Assad n'avait pas assiégé Homs, le prêtre catholique de 72 ans ne serait pas mort. Il est enterré à quelques mètres de là, sa tombe est marquée d'une simple croix de bois entourée de fleurs. Sur une photographie, son visage à lunettes nous regarde. Deux jours après sa mort, le Pape François a prié pour l'âme [de ce père jésuite].
Je suppose que si l'Ouest avait bombardé Damas l'année dernière - comme Blair a bombardé Bagdad en 2003 - le père Frans aurait peut-être survécu. Mais là encore, il aurait pu être assassiné bien plus tôt par les Islamistes que nous aurions aidés.
Mais qu'est-ce que vous voulez. Les soldats d'Assad tiennent bon, là où les forces irakiennes se sont désintégrées au départ. Les ennemis d'Assad sont ces mêmes combattants d'al-Nousra et d'al-Qaïda, que le bombardement de Damas préconisé par Blair aurait aidés - et qui menacent maintenant l'existence de l'Irak. Les Iraniens enverront-ils leurs soldats pour défendre les Chiites d'Irak ?
Une bonne question sur laquelle méditer pendant le vol militaire qui me ramène d'Alep à Damas. Je voyage sur un siège en fer dans un vieil Antonov-26, au milieu de 60 soldats syriens. Beaucoup sont blessés et, dans la soute, les corps de conscrits de 25 ans, abattus par des tireurs embusqués la veille au soir. La lueur vacillante d'un tir de mitrailleuse perce l'obscurité du dessous, et jusqu'à ce que nous atterrissions à Damas, cinq des « Syriens » en face de nous prient à tue-tête - une prière chiite, en perse. Ils nous disent qu'ils sont afghans, des Chiites Hazara. Ils portent des uniformes syriens, tiennent des fusils, à côté d'un iranien. Ils retournaient à Téhéran le lendemain. Donc, des Chiites afghans combattent maintenant aux côtés d'Assad - et contre des Sunnites afghans avec les rebelles.
Eh, Blair, tu devrais te faire oublier !Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
Nous suivre sur Twitter : @QuestionsCritiq
Cet article vous a intéressé ?
Nous avons besoin de votre soutien