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Interview Exclusive de Walid Mouallem :
« Nous pensons que les USA sont le principal acteur contre la Syrie et les autres leurs instruments »

Par Robert Fisk

The Independent, le 28 août 2012,
article original : Exclusive: 'We believe that the USA is the major player against Syria and the rest are its instruments'

Le Ministre des Affaires Etrangères d'Assad donne sa première interview
à un journaliste occidental depuis que le conflit a commencé



Walid Mouallem, le ministre syrien des Affaires étrangères

On pouvait entendre la bataille pour Damas, hier, à l'intérieur du cabinet du ministre des Affaires étrangères, les vibrations des tirs de mortiers et de chars depuis l'extérieur de la capitale qui pénétraient dans le sanctuaire intérieur de Walid Mouallem et donnaient la cadence aux mots prononcés par cet homme.

L'Amérique est derrière la violence en Syrie, dit-il, qui ne s'arrêtera pas une fois la bataille pour Alep terminée. « Je dis aux Européens : je ne comprends pas votre slogan à propos du bien-être du peuple syrien lorsque vous soutenez 17 résolutions contre son bien-être. Et je dis aux Américains : Vous devez bien étudier ce que vous avez fait en Afghanistan et en Somalie. Je ne comprends pas votre slogan de combattre le terrorisme lorsque vous soutenez ce terrorisme en Syrie. »

Walid Mouallem s'exprimait en anglais et parlait très lentement, soit à cause du tumulte déconcertant à l'extérieur, soit parce que c'était sa première interview avec un journaliste occidental depuis que la crise syrienne a commencé. A un moment, le conflit entre les rebelles et les troupes gouvernementales dans les quartiers de Douma, Jobar, Arbeen et Qaboun - où un hélicoptère à été abattu - est devenu si bruyant que même le ministre des affaires étrangères le plus flegmatique dans une région empoisonnée par la rhétorique à jeté un coup d'oil en direction de la fenêtre. Qu'a-t-il ressenti en entendant cela, lui demandais-je ?

« Avant d'être un ministre, je suis d'abord un citoyen syrien, et je suis attristé de voir ce qui se passe en Syrie, comparé à [la situation d'] il y a deux ans », a-t-il répondu. « Il y a beaucoup de Syriens comme moi - qui ont hâte de voir la Syrie retourner au bon vieux temps où nous étions fiers de notre sécurité ».

Personnellement, j'ai des doutes quant au nombre de Syriens qui veulent retourner « au bon vieux temps » mais Mouallem affirme que peut-être 60% de la violence du pays vient de l'étranger, de Turquie, du Qatar et de l'Arabie Saoudite, avec les Etats-Unis qui exercent leur influence sur tous ces pays.

« Lorsque les Américains disent, "Nous fournissons à l'opposition des outils sophistiqués de télécommunication", cela ne fait-il pas partie d'un effort militaire, quand ils fournissent 25 millions de dollars à l'opposition - et beaucoup plus de la part des Pays du Golfe et de l'Arabie Saoudite ? ».

Il y a un an, dis-je à Mouallem, je déjeunais avec l'Emir du Qatar, et celui-ci était furieux contre ce qu'il appelait les mensonges de Bachar el-Assad, soutenant que le Président syrien était revenu sur un accord permettant aux membres des Frères Musulmans de rentrer chez eux.

Mouallem a hoché la tête. « Si vous aviez rencontré ce même Emir, il y a deux ans, il faisait l'éloge d'Assad et le considérait comme un ami très cher. Ils entretenaient des relations familiales, passant leurs vacances en famille à Damas et parfois à Doha. Il y a une question importante : que s'est-il passé ? J'ai rencontré l'Emir à Doha, je crois que c'était en novembre 2011, lorsque la Ligue arabe a débuté son initiative [dont le résultat fut d'envoyer des observateurs de la Ligue en Syrie] et que nous sommes parvenus à un accord (...) L'Emir m'a dit : "Si vous acceptez cette initiative, je ferais changer Al Jazeera d'attitude et dirais au [Cheik] Qaradawi [un prélat populaire qui a un créneau régulier sur cette chaîne de télévision] de soutenir la Syrie et la réconciliation, et je donnerais plusieurs milliards de dollars pour reconstruire la Syrie (.)".

« Cette même fois, alors que je patientais pour entrer en réunion, il y avait le chef du parti tunisien Ennahada, et l'Emir a donné des ordres pour verser 150 millions de dollars à Ennahda afin d'aider son parti dans les élections. Bref, c'était leurs affaires. Mais j'ai demandé à l'Emir : "Vous aviez des relations très proches avec Mouammar Kadhafi et vous étiez le seul dirigeant [se trouvant] dans son palais lorsque Kadhafi vous a accueilli durant ce sommet - alors pourquoi envoyez-vous votre aviation attaquer la Libye et participez-vous à l'OTAN ?" L'Emir a répondu simplement : "Parce que nous ne voulons pas perdre notre élan à Tunis et en Egypte - et Kadhafi était responsable de la division du Soudan". »

Quant au pouvoir de l'Amérique, Walid Mouallem n'avait aucun doute. Les Américains, dit-il, ont réussi à effrayer les pays du Golfe quant aux capacités nucléaires de l'Iran, et les ont persuadés d'acheter des armes aux Etats-Unis, réalisant ainsi le rêve de Franklin Roosevelt de 1936 de maintenir des bases pour le transport du pétrole.

« Nous pensons que les Etats-Unis sont le principal acteur contre la Syrie et les autres leurs instruments ». Mais tout cela en fait a à voir avec l'Iran ? Demandais-je. Une question délicate puisqu'elle laissait entendre un rôle secondaire pour la Syrie dans sa propre tragédie. Et lorsque Mouallem a cité la Brooking Institution, j'ai poussé un soupir.

« Vous riez, mais parfois lorsque vous êtes un ministre des Affaires Etrangères, vous êtes obligé de lire ce genre de choses - et il y avait une étude du Brooking Institute [sic] intitulée The Road to Tehran [La route qui mène à Téhéran], et le résultat de cette étude était : si vous voulez contenir l'Iran, vous devez commencer par Damas...

« Certains envoyés occidentaux nous ont dits, au début de cette crise, que les relations entre la Syrie et l'Iran, la Syrie et le Hezbollah, la Syrie et le Hamas sont les principaux éléments derrière cette crise. Si nous réglions cette question, ils [les Américains] aideraient à mettre un terme à cette crise. Mais personne ne nous a dit pourquoi il est interdit à la Syrie d'avoir des relations avec l'Iran lorsque la plupart des pays du Golfe, voire tous, entretiennent des relations très importantes avec l'Iran. »

Pour le ministre syrien des Affaires étrangères, la crise a commencé avec des « exigences légitimes », prisent en compte par la suite par « une législation et des réformes et même une nouvelle constitution ». Ensuite sont arrivés des « éléments étrangers » qui se sont servis de ses demandes légitimes « pour récupérer le programme pacifique du peuple ».

Là, suivit un récit familier. « Je n'accepte pas, en tant que citoyen, de retourner des siècles en arrière à un régime qui peut faire rétrograder la Syrie. En principe (...) aucun gouvernement au monde ne peut accepter qu'un groupe terroriste armé, dont certains viennent de l'étranger, contrôle les rues et les villages au nom du "Djihad". »

C'est le devoir du gouvernement syrien de « protéger » ses citoyens. Assad représente l'unité de la Syrie et tous les Syriens doivent participer à créer un nouvel avenir pour la Syrie. Si la Syrie tombe, ses pays voisins tomberont. Mouallem se rend demain à Téhéran au sommet des non-alignés pour affinerce qu'il appelle leurs « efforts constructifs » pour aider la Syrie.

Evidemment, je l'ai interrogé sur les armes chimiques. Si la Syrie avait de telles armes, elles ne seraient jamais utilisées contre son propre peuple, a-t-il dit. « Nous combattons des groupes armés à l'intérieur d'Alep, dans les faubourgs de Damas, auparavant à Homs et Idlib, et cela signifie combattre à l'intérieur de villes syriennes - et notre responsabilité est de protéger notre peuple ».

Et les milices Chabiha tristement célèbres accusées d'avoir commis des atrocités dans la campagne ? Walid Mouallem n'y croit pas. Il pourrait y avoir des personnes non-armées au niveau local qui défendent leurs propriétés contre des groupes armés, dit-il. Mais des miliciens pro-régime rémunérés ? Jamais. Aucune accusation de crimes de guerre contre le ministre syrien des Affaires étrangères, alors. Mais les coups de feu retentissent au loin derrière sa fenêtre.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]
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