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La compassion est morte en Israël

Par Gregg Carlstrom
Foreign Policy, le 06 août 2014

article original : The Death of Sympathy

Voici comment les faucons israéliens ont intimidé et réduit
au silence le peu qu'il restait de la gauche anti-guerre



Tel Aviv - Les manifestants pro-guerre se tiennent derrière une barrière de la police à Tel Aviv en scandant « Gaza est un cimetière ». A Ashkelon, la ville israélienne méridionale, une femme âgée pousse un chariot de légumes dans la rue et demande au journaliste, « juif ou arabe ? Parce que je ne parle pas aux Arabes ». A Sderot, une ville qui se trouve à moins d'un kilomètre et demi de Gaza, un homme lève les yeux alors qu'un avion israélien, volant vers le territoire dirigé par le Hamas, largue une multitude de tracts sur la ville. « J'espère que ce n'est pas tout ce que nous larguons », dit-il.

Avant même cette guerre, Israël opérait un virage à droite, tandis qu'un noyau de politiciens de plus en plus véhéments prenait possession du débat public sur la sécurité et les affaires étrangères. Mais le conflit à Gaza a accéléré le virage à droite - libérant les voix nationalistes et militantes, réduisant spectaculairement l'espace pour le débat et érodant le peu de compassion publique qu'il restait pour les Palestiniens. Les combats semblent toucher à leur fin, mais ils laissent derrière eux une opinion publique israélienne cristallisée : Il y a un sentiment général que les Israéliens, ici, sont les véritables victimes, que cette guerre avec une armée de guérilla dans un territoire assiégé est existentielle.

Le Premier ministre belliciste Benjamin Netanyahou s'est retrouvé sous la pression de politiciens encore plus à droite que lui. Il a suspendu les négociations avec l'Autorité palestinienne, arrêté plus de 1000 Palestiniens, démoli les maisons de plusieurs personnes qui n'étaient accusées d'aucun crime et lancé une offensive à Gaza qui a tué plus de 1800 personnes. Ce n'est pas suffisant, même pour certains membres du propre parti de Netanyahou, qui voient des signes de faiblesse inquiétants.

« Nous avons vu l'influence de [Tzipi] Livni sur le Premier ministre », a dit à Foreign Policy le parlementaire Likoud Danny Danon, en parlant de la ministre de la Justice et de son parti centriste. « Ma position est de m'assurer que nous ne devenons pas une construction de la gauche [.] Tant qu'il reste loyal, il aura le soutien du parti ».

Netanyahou a chassé Danon de son poste de ministre de la Défense le mois dernier, parce qu'il était trop critique vis-à-vis de la stratégie du gouvernement à Gaza. Mais Danon ne peut pas être écarté comme une personnalité marginale : Il a pris le contrôle du comité central du Likoud l'année dernière et s'est servi de ce poste pour orienter le parti plus à droite - un revirement ironique, alors que Netanyahou a utilisé la même tactique pour chasser l'ancien Premier ministre Ariel Sharon, il y a une dizaine d'année.

Avant même son élection, les primaires de 2012 du Likoud ont peut-être fait de Netanyahou le membre le plus centriste de son propre parti.

Les sondages d'opinion confirment les gains de la droite israélienne durant le conflit actuel. Une enquête conduite par la Chaîne Parlementaire la semaine dernière indique que les partis de droite remporteraient 56 sièges [sur 120] dans la prochaine élection, alors qu'ils n'en ont obtenu que 43 l'année dernière. Le bloc de centre-gauche passerait de 59 à 48 sièges. D'autres enquêtes suggèrent que la droite remporterait à elle seule la majorité, sans avoir besoin des partis religieux ou des centristes pour former une coalition.

Mais ce qui est peut-être le plus frappant est le soutien public quasi-unanime de la pour la guerre à Gaza, de la part des Israéliens couvrant tout le spectre politique. Selon les derniers sondages, environ 90% des Israéliens juifs soutiennent la guerre. Moins de 4% d'entre eux pensent que l'armée a utilisé une force « excessive », a découvert l'Israel Democracy Institute, bien que les responsables politiques israéliens admettent qu'une majorité des 1800 Palestiniens tués jusqu'à présent sont des civils.

Pendant ce temps, le dirigeant du Parti travailliste, Isaac Herzog, le soi-disant chef de l'opposition, fait un travail de relations publiques pour Netanyahou, défendant la guerre lors d'une réunion de diplomates étrangers. Livni elle-même donne par moment l'impression d'être plus belliciste que le Premier ministre, en soutenant qu'Israêl devrait renverser le Hamas et construire un fossé pour le séparer de Gaza. « J'ai deux mots à vous dire : Allez vous faire voir ! » a-t-elle dit au conseil des droit de l'homme des Nations unies [UNHRC] après son vote pour enquêter sur de possibles crimes de guerre à Gaza.

Et le ministre des Finances Yair Lapid, qui avait auparavant menacé d'abandonner la coalition si les pourparlers avec les Palestiniens échouaient, a été un autre défenseur énergique. « C'est une guerre pénible, mais elle est nécessaire », a-t-il déclaré le mois dernier.

Il y a plusieurs dizaines d'années, un commentateur a forgé la phrase suivante : « silence, nous tirons » - un reflet de la tendance du public israélien à se rallier derrière l'armée en temps de guerre. Mais cette fois-ci, les voix discordantes n'ont pas seulement été réduites au silence, elles ont été pratiquement étouffées. Une comédienne populaire à été virée de son travail en tant que porte-parole d'une compagnie de croisière après avoir critiqué la guerre. Une radio locale a refusé de diffuser une publicité de B'Tselem, une association des droits de l'homme, qui voulait simplement donner le nom des victimes à Gaza.

Les manifestations anti-guerre éparses ont attiré peu de personnes, généralement quelques centaines ; la plus importante a réuni plusieurs milliers de personnes à Tel Aviv le 26 juillet. Mais la plupart des manifestations se sont terminées dans la violence provoquée par les ultranationalistes, qui les ont attaquées et ont installé des barrages itinérants pour chasser après coups les « gauchistes ». Des manifestants ont été tabassés, aspergés de gaz lacrymogène et matraqués avec des chaises.

Dans des centaines d'interviews avec des Israéliens au cours du mois dernier, on entend peu de critiques des actions de leur gouvernement, et encore mon de compassion pour Gaza. « Nous avons terriblement souffert, et lorsque vous êtes vous vous retrouvez acculés, vous n'avez pas d'autre choix », a dit un homme à Ashkelon. « Leurs enfants ? Et nos enfants, alors ? S'ils se préoccupaient de leurs enfants, ils n'auraient pas choisi le Hamas », a dit une femme à Kiryat Malachi, une ville israélienne méridionale.

Les médias, dans l'ensemble, ont formé un chour unanime pour soutenir la destruction du Hamas. La seule exception a été Haaretz, où Gideon Levy, l'un de plus célèbres chroniqueurs de ce journal, a commencé à se déplacer dans ses reportages avec un garde du corps après avoir été vivement accosté durant une interview télévisée en direct à Ashkelon. Yariv Levin, un membre Likoud de la Knesset et président de la coalition au pouvoir, veut faire inculper Levy pour trahison en raison de ses articles.

« Je n'ai jamais connu autant de dureté, de violence et de tension », a déclaré Levy.

« Après cette opération, nous nous retrouverons face à un autre Israël [.] nationaliste, religieux de bien des façons, le cerveau lavé, militariste, avec très peu d'empathie pour les sacrifices de l'autre camp. Tout le monde en Israël s'en fiche complètement ».

Déjà, des personnalités qui mettent en doute le récit dominant d'Israël à propos de ce conflit - ou même qui osent faire une mise au point par rapport à la sensibilité du public - ont été accueillis par des réactions vicieuses implacables. La semaine dernière, Hanoch Sheinman, un professeur de droit de l'université Bal-Ilan, a envoyé un courriel à ses étudiants au sujet du calendrier révisé pour leur examen. Il a commencé son message en souhaitant « que vous, vos familles et ceux qui vous sont chers ne font pas partie des centaines de personnes qui ont été tuées, des milliers de blessés ou des dizaines de milliers dont les maisons ont été détruites ».

Le doyen de l'école de droit s'est dit choqué par le courriel de Sheinman et a écrit aux étudiants que « la lettre offensante [de Sheinman] [.] contrevient aux valeurs de l'université ».

Même cette banale expression d'intérêt a excité une telle réaction, et ce n'est pas du tout insignifiant », a dit Sheinman à Foreign Policy. « Etre choqué ou en colère [.] par l'expression banale de la compassion à tous trahit le manque de compassion. »

Même à la Knesset, les voix discordantes ont été réduites au silence. La députée Hanin Zoabi, une citoyenne palestinienne d'Israël qui est l'une des cibles favorites de la droite, a été interdite de la plupart des activités parlementaires pendant six mois. Sa punition, l'une des plus dures infligées par la Commission d'étique, a été porise en représailles à une interview radiophonique dans laquelle elle disait que le kidnapping de trois adolescents du 12 juin n'était pas du terrorisme. « L'atmosphère est devenue très radicale », dit Basel Ghattas, un collègue de Zoabi.

De l'autre côté du spectre politique - et dominant les conversations - se trouvent des gens comme Moshé Feiglin, un personnage clownesque du Likoud et vice-président du parlement. Il a appelé la semaine dernière à la « conquête » de Gaza et à l'« élimination de toutes les forces militaires et de leurs supporters ». C'est notre terre, a-t-il écrit, « seulement la nôtre, y compris Gaza ». Personne n'a exigé sa censure.

Bien que l'actuelle poussée de combats à Gaza soit peut-être terminée, le virage à droite d'Israël semble bien là pour rester. La mort de plus de 60 soldats israéliens dans ce conflit n'a pas entamé le soutien du public pour la guerre ; il semble plutôt qu'elle a ouvert l'appétit de vengeance pour de nombreux Israéliens.

A des funérailles, le mois dernier, des centaines de personnes assistant aux obsèques sanglotaient doucement tandis que le cercueil d'un officier israélien recouvert du drapeau était emmené au cimetière. La mère du soldat a posé la tête sur le cercueil, refusant de laisser un garde d'honneur le descendre dans la tombe ; à quelques pas de là, l'épouse enceinte de l'officier consolait la souffrance du père du défunt, qui portait une chemise noire déchirée selon la coutume juive. A côté de la tombe se trouvait un autre trou fraîchement creusé.

Une jeune femme, une vague connaissance de l'officier, s'est penchée sur la barrière métallique de la police entourant la tombe. « Nous devrions tuer 100 des leurs pour chacun des nôtres, a-t-elle dit.

Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

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