accueil > archives > éditos


Assad et Ahmadinejad – « Personne ne peut séparer l’Iran et la Syrie »

Par Joshua Landis, le 26 février 2010

article original : "Assad and Ahmadinejad – “There is No Separating Iran and Syria"

Le Président Bachar el-Assad et Mahmoud Ahmadinejad, qui était à Damas vendredi, ont lancé un défi. Hillary Clinton avait prévenu la Syrie, seulement la veille, de « commencer à s’éloigner de sa relation avec l’Iran », et de cesser de soutenir le Hezbollah, le Hamas et les anciens Baasistes en Irak. Pendant plusieurs années, on a dit à la Syrie de « basculer » et de rompre avec l’Iran, si celle-ci espère qu’on lui permettra de sortir de son isolement diplomatique et économique. Israël a fait de la rupture de la Syrie avec l’Iran une condition de paix avec Damas.

Aujourd’hui, Assad s’est exprimé avec force et défiance pour mettre un terme à toute discussion de séparation.

« Nous avons dû mal comprendre Clinton, [peut-être] à cause d’une mauvaise traduction ou de notre compréhension limitée ; nous avons donc signé cet accord pour supprimer les visas [pour les ressortissants de nos deux pays] », a déclaré Assad. « Je trouve étrange qu’ils [les Américains] parlent de stabilité, de paix et d’autres merveilleux principes au Moyen-Orient et qu’ils appellent deux pays à s’éloigner l’un de l’autre », a-t-il ajouté.

Pour sa part, Ahmadinejad a levé son pouce et son index en les rapprochant de quelques centimètres pour indiquer le peu de choses qui séparent les deux pays. Ahmadinejad a menacé Israël, lequel a menacé de bombarder les installations de raffinage nucléaire de l’Iran et exhorte la communauté internationale à suspendre les ventes de produits pétroliers raffinés à l’Iran. Voici ses menaces : (merci à Alex)

1) Le Président Ahmadinejad, qui a été largement cité pour sa prédiction conditionnelle : SI ISRAËL DECIDE DE COMMETTRE UNE AUTRE « ERREUR » (commencer une nouvelle guerre), ce sera sa fin ; également vendredi à Damas :

« Je leur dis que le nouveau Moyen-Orient est en cours de formation […] J’appelle tous les Sionistes à revenir à la raison et à reconnaître les droits légitimes des peuples de la région et à les respecter, et [ils doivent] comprendre que s’ils continuent sur la mauvaise voie, qu’ils ont empruntée dans le passé, il n’y aura aucune place pour eux dans notre région. »

2) Si Israël ne veut pas changer sa manière de faire :

« Les informations indiquent qu’ils [les Israéliens] sont sur le point de répéter leurs erreurs passées. Le Président Assad et moi-même le savent, les Syriens et les Iraniens, de même que les autres peuples de notre région, le savent, […] si l’entité sioniste veut répéter ses erreurs une nouvelle fois [faire la guerre], une telle action conduira à sa disparition inévitable. Cette fois-ci, tous les peuples de la région, en particulier les Syriens, les Iraniens, les Libanais et les Irakiens, ainsi que tous les autres, se dresseront contre cette entité. »

Chose intéressante, le Liban et l’Irak sont désignés comme membres du front de la résistance. Ahmadinejad promet que l’Irak fera partie des nations qui riposteront à l’agression israélienne.

Certains pourraient se demander pourquoi la Syrie fait cette provocation maintenant, lorsque Washington a fait une série de gestes positifs en direction de la Syrie. Les Etats-Unis ont annoncé le retour d’un ambassadeur à Damas. La semaine dernière, William Burns, le plus haut cadre américain des affaires étrangères, était à Damas pour discuter avec le Président. Dans l’édition de jeudi du quotidien al-Hayat, Ibrahim Hamidi a écrit que des sources syriennes avaient laissé entendre que Burns leur avait assurés que les Etats-Unis lèveraient leur veto sur les efforts de la Syrie à rejoindre l’Organisation Mondiale du Commerce. On ne peut que supposer que Burns a lu à haute voix la longue liste d’exigences que Hillary Clinton a réitérées jeudi, à commencer par l’exigence que la Syrie prennent ses distances avec l’Iran. Mais pourquoi Assad devrait-il exposer publiquement son refus d’avancer selon le plan que Washington lui a proposé, en particulier d’une telle façon destinée à embarrasser Clinton ? Pourquoi ne pas se contenter d’encaisser ses gains et de garder le silence ?

On ne peut qu’émettre des hypothèses. Voici l’idée :

1) La Syrie pense que Washington est allé trop loin et que les Etats-Unis ont plus besoin d’elle que la Syrie a besoin d’eux.
2) Les Etats-Unis demandent essentiellement à la Syrie de renoncer à sa revendication sur le Golan, afin d’obtenir des relations normalisées avec les Etats-Unis. C’est ce que signifie prendre ses distances avec l’Iran.
3) La Syrie n’en peut plus qu’on lui impose de longues listes d’exigences et qu’on lui offre peu en échange.
4) Elle a dit à l’Amérique et à tous ceux qui écoutent qu’elle ne s’éloignera pas de l’Iran.
5) Lorsque Obama est revenu sur son exigence qu’Israël « cesse la colonisation », Assad a réalisé que l’Amérique ne pouvait pas lui offrir grand chose. Il a rétabli l’influence syrienne au Liban ; les Etats-Unis se retirent d’Irak ; l’Arabie Saoudite s’est mise d’accord avec la Syrie. La Turquie et la France sont divisées avec les Etats-Unis sur la politique d’isoler la Syrie et ces deux pays se sont ré-engagé avec la Syrie ; l’Europe a suivi. Les Etats-Unis sont seuls à faire semblant d’isoler la Syrie. L’isolement a eu l’effet inverse. La Syrie fait donc le calcul que le retour de l’ambassadeur de Washington était motivé par la faiblesse, pas la force, comme l’ont souligné avec insistance certains analystes à Washington. Qui plus est, la Syrie insiste sur le fait que les échanges d’ambassadeurs sont une attitude normale et qu’elle n’a pas à en payer le prix en cédant à une liste interminable d’exigences.
6) L’Iran a besoin d’un coup de fouet. Les Etats-Unis essayent d’isoler l’Iran et tirent l’oreille à la communauté internationale pour des sanctions plus sévères, en même temps qu’ils réprimandent en quelque sorte l’ONU. L’Iran a besoin de la Syrie pour commencer un peu de trafic de faveurs ; il a besoin d’un peu d’élan de résistance pour donner un prétexte à des pays, comme la Turquie, le Brésil, l’Inde et finalement la Chine et la Russie, de donner de la voix contre des sanctions et une action anti-iranienne supplémentaire.

Voici des commentaires de deux amis syriens et d’un ami israélien :

1:

Je suis heureux que le président ait finalement remis les choses en place en ce qui concerne cette notion stupide de séparer l’Iran de la Syrie. Entendre ce concept idiot est encouragé par la presse et la Maison Blanche est extrêmement énervant. Damas devait, une bonne fois pour toutes, mettre fermement un terme à cette idée. Aujourd’hui, le monde l’a entendu de source sûre. A partir de ce jour, les pourparlers de paix contre l’abandon de l’Iran ne marchent plus. Quant à Israël, la référence au Liban et à l’Irak, qui feraient partie du groupe, est un message disant que les deux pays se retrouveront sous les tirs croisés si Israël décidait d’agir bêtement. Jouer contre Hillary de cette façon embarrasse la Maison Blanche. Damas et Téhéran ont la main… Hillary, entends-tu ? Quant au Caire et à Riyad, pas un mot, évidemment. On peut entendre une mouche voler dans leurs palais présidentiels. Bachar doit avoir été irrité par la dernière visite de Burns, qui pourrait avoir remis une longue liste d’exigences à Damas. La réponse est arrivée avec force et clairement. Israël est parano vis-à-vis des Iraniens ? Eh bien, aujourd’hui, 75 millions d’entre eux peuvent se rendre sans visa chez leur voisin du nord quant ils le veulent ! Prend ça dans les dents, Bibi !

2:

Il se peut qu’ils veulent envoyer un message catégorique : aucun « détachement » de l’Iran de par la Syrie n’aura lieu. Arrêtez donc de jouer cette carte. Ou la Syrie fera monter les enchères avant une nouvelle série de négociations avec Israël.

3:

Les déclarations d’Ahmadinejad, dans tous les cas, sont agressives et menaçantes. Son double-langage est inutile, parce que les parties « raisonnables » (si vous pouvez en trouver une) s’éclipsent rapidement devant les contradictions et les menaces. Contrairement à son homologue syrien, il ne tend pas un bras pacifique. Tandis que l’usage différentiel qu’il fait des « Sionistes », « dirigeants sionistes », « entité sioniste » pourrait avoir un intérêt pour les Arabes (ya’ani, peut-être qu’il ne parle pas vraiment de tout Israël, seulement de la partie sioniste), nous, les Israéliens, ne sommes pas particulièrement intéressés à examiner minutieusement son choix de vocabulaire, tout comme les Syriens ne sont pas particulier intéressés par la rhétorique anti-régime syrien de Lieberman. Pour les Israéliens, l’ « entité sioniste » signifie Israël et tous ses citoyens, exactement comme pour les Syriens, « Vous (Assad) et votre famille » signifie la Syrie et ses citoyens, sa souveraineté et sa fierté. Lorsque le Président iranien (et son patron) déclare que la fin de l’entité sioniste arrivera bientôt, peu de personnes dans mon pays cherchent des significations alternatives à ses menaces. Avant que l’Iran ne cherche à acquérir des armes nucléaires, personne en Israël n’a jamais parlé de « frapper » [ce pays], malgré la rhétorique véhémente anti-israélienne qui sort de la République Islamique depuis la Révolution.


Copyright 2010 Asia Times Online Ltd / Traduction : [JFG-QuestionsCritiques]. Tous droits réservés.

lire aussi :
____________________

Verbatim: Bachar al-Assad, par Seymour Hersch, New Yorker, le 19 février 2010


Vous avez aimé cet article ?

Pourquoi faire une donation ?
Montant en euros: