controverses
Comment tuer les Goyim et influencer les gens
Par Max Blumenthal
article original : "How to Kill Goyim and Influence People"
AlterNet, le 24 juillet 2014Tweeter
Max Blumenthal, journaliste primé, dont les écrits ont été publiés dans The New York Times, The Los Angeles Times, The Daily Beast, The Nation, The Huffington Post, Al Jazeera English, etc. Ce texte, est extrait de son livre, Goliath: Life and Loathing in Greater Israel [Goliath: une vie de haine dans le Grand Israël] (Nation Books, New York, 2013). L'auteur y dresse un portrait au vitriol de l'extrême droite israélienne alliée au gouvernement de Benyamin Nétanyahou.
Par une nouvelle journée sèche et ensoleillée de l'été 2010, à Jérusalem, je me frayais un chemin à travers la foule de touristes, de soldats aux visages d'enfants et des hordes de colons orthodoxes qui se pressaient autour de la voie-piétonne Ben Yehuda, et me suis dirigé vers Pomeranz, une grande librairie juive sur Be'eri Street, une rue animée à quelques pâtés de maison de là.
Dès que je fus à l'intérieur du magasin, un homme de petite taille à l'air amène m'accueillit dans un anglais à fort accent américain. Il s'agissait du propriétaire, Michael Pomeranz, un ancien agent secret des stups et ex-pompier du New Jersey, qui avait eu un éveil religieux et avait immigré en Israël. Alors que je m'informai sur la disponibilité d'un livre qui avait fait l'objet d'intenses débats, Torat Ha'Melech, ou la Torah du Roi, une agitation s'ensuivit immédiatement.
« Êtes-vous sûr que vous le voulez ?" me demanda Pomeranz, plaisantant à moitié. Un collègue d'une cinquantaine d'années pouffa de derrière une étagère. « Le Shabak va vouloir avoir quelques mots avec vous si c'est le cas », prévint-il. Alors que plusieurs clients s'arrêtèrent de feuilleter leurs livres et commencèrent à me regarder fixement, Pomeranz pointa du doigt une caméra de surveillance fixée au mur. « Vous voyez ça ? » dit-il. « C'est relié directement au Shabak ! [Shin Bet - le service de sécurité intérieure] »
À sa sortie en 2009, Torat Ha'Melech provoqua un tollé national. La polémique démarra lorsque le quotidien israélien Maariv descendit en flammes le contenu du livre comme « 230 pages sur les lois qui concernent le meurtre des non-Juifs, une sorte de manuel d'instruction pour quiconque se pose la question de savoir si et quand il est permis de prendre la vie d'un non-Juif. » La description était parfaitement exacte.
Selon ses auteurs, le Rabbin Yitzhak Shapira et le Rabbin Yosef Elitzur, les non-Juifs sont « peu compatissants par nature » et peuvent être tués afin de « juguler leurs prédispositions maléfiques ». « Si nous tuons un Gentil qui a violé l'un des sept commandements [de Noé] . il n'y a rien de mal avec son meurtre », insistaient Shapira et Elitzur. Citant la loi juive comme source (ou du moins une interprétation très sélective de celle-ci) ils déclaraient, « Il y a une justification au meurtre de bébés s'il est clair qu'ils vont grandir pour nous faire du mal, et dans une telle situation, il est possible de leur faire délibérément du mal, et pas seulement lors de combats avec des adultes ».
Torat Ha'Melech a été rédigé comme un guide pour les soldats et les officiers militaires à la recherche de conseils rabbiniques sur les règles d'engagement. S'appuyant sur un salmigondis de textes rabbiniques qui semblaient soutenir leurs opinions génocidaires, Shapira et Elitzur y préconisent une politique impitoyable envers les non-Juifs, insistant sur le fait que le commandement contre le meurtre « ne se réfère qu'à un Juif tuant un autre Juif, et non à un Juif tuant un Goy, même si ce Goy est l'un des justes parmi les nations ».
Les rabbins poursuivent en déclarant rodef tous les citoyens de la population ennemie, c'est-à-dire des êtres maléfiques qui pourchassent les Juifs et sont donc des proies acceptables aux fins d'être abattues. Shapira et Elitzur ont écrit, « Tout citoyen dans le royaume qui est contre nous, qui encourage les guerriers ou exprime sa satisfaction devant leurs actions, est considéré comme étant rodef et son meurtre est permis ».
Les deux rabbins justifient aussi le meurtre de Juifs dissidents. « Un rodef est toute personne qui affaiblit notre royaume par la parole et le reste », ont-ils écrit. Enfin, ils ont publié une justification exhaustive mais grossièrement raisonnée pour le meurtre d'enfants innocents, soutenant que pour vaincre le « royaume malfaisant », les règles de la guerre « autorisent à s'en prendre intentionnellement aux bébés et aux personnes innocentes, si cela est nécessaire pour la guerre contre les gens malfaisants ». Ils ajoutent, « Si faire du mal aux enfants d'un roi malfaisant peut exercer sur lui une pression considérable qui l'empêcherait de se comporter d'une manière malfaisante, alors on peut leur faire du mal ».
Shapira et Elitzur justifient le meurtre de bébés et de jeunes enfants sur la base de l'assouvissement de la soif nationale de vengeance. « Parfois », écrivent les rabbins, « on commet des méfaits qui sont censés créer un équilibre correct de peur et une situation où les actes malfaisants ne prospèrent pas . et, en accord avec ce calcul, les nourrissons ne sont pas tués pour leur malice, mais du fait qu'il y a un besoin général pour tout le monde de se venger des personnes malfaisantes, et les nourrissons sont ceux dont le meurtre satisfait ce besoin ».
En janvier 2010, Shapira et Elitzur furent brièvement détenus par la police israélienne, tandis que deux rabbins éminents, subventionnés par l'État, Dov Lior et Yaakov Yosef, étaient convoqués pour être interrogés par le Shin Bet. Cependant, dans un pied de nez à l'État et à ses lois, ces rabbins refusèrent de se présenter à leurs interrogatoires. Et le gouvernement n'a rien fait. L'épisode souleva de graves questions sur la volonté du gouvernement israélien d'affronter la vague férocement raciste que connaît le rabbinat du pays. « Une chose pareille ne s'est jamais produite auparavant, même s'il semble que tout ce qui est possible soit déjà arrivé », remarque avec stupéfaction le commentateur progressiste Yossi Sand. « Deux rabbins [ont été] convoqués dans une enquête de police, et ont annonç[é] qu'ils ne s'y rendront pas. Même les colons sont assez conciliants pour répondre aux convocations. »
(En 2011, les responsables de la sécurité britannique ont interdit au Rabbin Elitzur d'entrer au Royaume-Uni dans une lettre officielle signée par le ministre de l'Intérieur pour « incitation à la violence terroriste ou sa défense . et pour chercher à inciter d'autres personnes à commettre des actes terroristes. »)
Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou a maintenu un silence de mort quant au mépris de la loi exprimé par ces rabbins. Après la publication de Torat Ha'Melech, Nétanyahou a évité coûte que coûte de critiquer son contenu ou les partisans les plus visibles de ses auteurs. L'attitude soumise de Netanyahou devant l'extrême droite religieuse du pays a mis en évidence le pouvoir que les personnalités religieuses nationalistes détiennent, à la fois dans son propre parti et dans sa coalition au pouvoir. Pour le Premier ministre, une confrontation avec les rabbins menaçait de défaire sa coalition, de faire dérailler son programme et de lui aliéner la base dure de son parti en « Judée et en Samarie ».
Lorsque le premier Premier ministre d'Israël, David ben Gourion, établit le Grand Rabbinat du pays, il puisa dans un groupe de nationalistes religieux qui suivaient la tradition du premier Grand Rabbin ashkénaze, Abraham Isaac Kook, et de son fils, Zvi Yehuda Kook, le leader spirituel des Gush Emunim, fer de lance du mouvement colonisateur de Cisjordanie et de la bande de Gaza après 1967.
« Je ne serai jamais d'accord avec la séparation de l'église et de l'État », a dit un jour ben Gourion à Yeshayahu Leibowitz. « Je veux que l'État tienne la religion dans la paume de sa main. » Ben Gourion entama une négociation faustienne, à la fois avec les ultra-orthodoxes non-sionistes et avec le camp nationaliste religieux encore marginal, achetant leur loyauté afin d'établir l'image dont le gouvernement séculaire d'Israël croyait avoir besoin pour apparaître comme « Juif » aux yeux du monde. Leibowitz réprimanda ben Gourion pour son irresponsabilité, l'avertissant que même si les rabbins d'État pouvaient sembler médiocres et malléables, leur soif de pouvoir était insatiable, et leurs pulsions réactionnaires évidentes. Comme d'habitude, ses prophéties furent ignorées, et ses pires prédictions s'accomplirent.
Convaincus qu'ils vivaient à l'ère de la rédemption, Zvi Yehuda Kook et ses fidèles exploitèrent l'alliance tacite avec le sionisme laïc pour réaliser les objectifs du nationalisme religieux visant à exercer une autorité souveraine, présentant l'État comme un âne que les Gush Emunim chevaucheraient jusqu'à « l'accomplissement de la vision sioniste dans sa totalité ». L'affaire de la Torat Ha'Melech a démontré jusqu'où sont parvenus les Kookistes depuis qu'ils se sont embarqués dans leur mission céleste. La dynamique que ben Gourion avait espéré créer a été complètement inversée, avec le rabbinat israélien tenant l'État dans la paume de sa main, et le modelant selon son gré.
Le 18 août 2010, un panthéon des plus éminents rabbins intégristes israéliens s'est réuni en congrès ad hoc à l'hôtel Ramada Renaissance de Jérusalemafin d'afficher leur pouvoir. Je me tenais dans l'assistance avec les colons et les partisans de la droite dure, observant avec étonnement les rabbins approuvés par l'État monter les uns après les autres au podium pour prendre la défense des auteurs de Torat Ha'Melech.
Mon colocataire, Yossi David, accepta de m'accompagner au congrès de Torat Ha'Melech. C'était la personne parfaite pour m'aider à traduire les formulations religieuses en hébreu apparemment ésotériques qui allaient sûrement emplir les discussions lors de cette manifestation. Yossi a été élevé dans un foyer ultra-orthodoxe et a été contraint de passer son adolescence dans une yeshiva (école hébraïque - NdT) étouffante, où le sport et l'étude des langues étrangères étaient interdits. Il était obligé de supporter plusieurs couches de vêtements religieux raides sous la chaleur accablante de l'été, mais il ne s'est jamais détourné de la foi jusqu'à ce que l'ambiance extrémiste cultivée par les rabbins ne devienne insupportable.
Cinq mois après avoir quitté son foyer et la communauté ultra-orthodoxe, il s'est engagé dans l'armée, s'étant laissé dire par sa famille adoptive que c'était le meilleur moyen pour s'intégrer dans la société civile. Après ses classes, Yossi fut affecté à ce qui est connu dans le jargon de l'armée comme « l'usine de textiles de Dimona », mais qui est en fait le réacteur nucléaire secret israélien. Toutefois, son affectation fut annulée quand il fut découvert qu'il sortait avec une Palestinienne, et il fut redéployé à Hatmar Etzion, une base près de la colonie d'Efrat. « Je portais toujours un uniforme chaud, comme dans la yeshiva, et je vénérais toujours le Dieu d'Israël, mais désormais Dieu c'était mes commandants - les généraux et les chefs d'état-major - et ma Torah était mon fusil ».
À la fin de son temps dans l'armée, Yossi remit tout en question, pas seulement la vie religieuse et militaire, mais toute la philosophie du sionisme. « La société t'éduque à être stupide. Si tu poses des questions, tu es automatiquement étiqueté comme étant une personne ennuyeuse. Si tu poses des questions, tu ne peux pas accepter le racisme », m'expliqua-t-il. « Si tu poses des questions, tu ne peux pas accepter la violence. Peut-être peux-tu l'accepter pendant dix ou vingt ans, mais après un moment, si tu continues à poser des questions, tout s'écroule. Notre devise nationale aurait pu être « Ne pose pas de questions, ne dis rien ».
En 2005, Yossi se rendit par curiosité à la première gay pride de Jérusalem. Il arriva à la fin de la manifestation et se retrouva dans une scène de chaos. Un jeune homme venait juste de bondir d'une foule de manifestants et de taillader trois hommes avec un couteau qu'il venait d'acheter. Le coupable s'avéra être un fanatique ultra-orthodoxe de 30 ans nommé Yishai Shlisel. « Je suis venu tuer au nom de Dieu. Nous ne pouvons pas avoir une telle abomination dans le pays », déclara plus tard Shlisel, n'éprouvant aucun regrès. Yossi se remémorait Shlisel et ses journées à la yeshiva. « Je me suis rendu compte que si j'étais resté, si je n'avais pas posé de questions, ça aurait pu être moi », confia-t-il.
Après avoir souffert au sein des deux institutions les plus puissantes de la société israélienne, l'armée et la synagogue, Yossi a enfin trouvé un peu de liberté personnelle en poursuivant des études de troisième cycle en sociologie à l'université hébraïque. Il y a étudié les questions d'identité et exploré son propre rapport avec le Proche-Orient à travers les conversations radicales mizrahites, expérimentées par des intellectuels d'avant-garde comme Ella Shohat et Sami Shitrit. Yossi, qui est né dans une famille tunisienne, se voyait comme faisant partie du monde arabe, défiant l'orientation israélienne typique tournée vers l'Europe. Il se remémora les jours qui ont précédé Oslo, avant la séparation, où il pouvait se rendre à Gaza avec son grand-père, qui parlait arabe et employait des Palestiniens sur sa ferme. Un jour, alors qu'ils se trouvaient sur un marché à Gaza City, son grand-père pointa du doigt en direction d'Israël, vers les Ashkenazim, et fit remarquer : « Ceux-là sont nos cousins ». Puis, désignant les Palestiniens dans la rue, il déclara, « Ceux-ci sont nos frères ».
« Il a complètement inversé la dynamique avec laquelle nous avions été élevés en Israël », me dit Yossi. « Cela a eu un grand impact sur moi ».
Avant que nous ne partions pour le congrès de Torat Ha'Melech, Yossi m'a montré comment mettre de l'eau sur une kippa brodée afin qu'elle reste collée sur ma tête. Nous voulions passer pour des colons orthodoxes modernes de peur que les médias laïcs ne soient pas les bienvenus dans un tel rassemblement, et dans l'espoir que les participants soient plus enclins à livrer leur opinion à leurs semblables religieux juifs.
À l'extérieur de la salle de conférence, dans un hall d'hôtel des années 70 garni de colonnes à miroirs, d'éclairage au sol et de plantes artificielles, un homme d'une trentaine d'années, propre sur lui et portant une kippa brodée, vérifia nos papiers d'identité, sans doute pour s'assurer que nous portions bien des noms juifs, et nous fit signe d'entrer en hochant la tête avec approbation. Dans la salle, les prières venaient de commencer. Maintenant je me balançais en avant et en arrière avec une foule de colons barbus, chantant en chour à chaque prière dont je pouvais me souvenir. Près de moi se tenait un jeune homme à l'air laïc, portant un T-shirt rouge de la Brigade Golani. Yossi le reconnut comme un activiste d'Im Tirtzu de l'université hébraïque. Son vêtement montrait un dessin grossier d'un char au-dessus du slogan « Force Sans Merci ».
À la fin des prières, huit rabbins supérieurs, financés par l'État, s'avancèrent sur la plate-forme au-dessus de la foule, constituée pour l'essentiel de membres représentant une yeshiva officielle d'une colonie ou d'une grande ville israélienne. Avec leurs longues barbes grises, leurs costumes noirs, leurs feutres noirs et leurs apparences ratatinées, ils semblaient être sortis tout droit de l'imagination de quelque antisémite dérangé. Et ils étaient là pour prendre la défense d'un livre qui justifiait ouvertement le massacre de bébés Goyim, même s'ils n'étaient certes pas tous prêts à dire qu'ils étaient d'accord avec son contenu. Le seul point sur lequel les rabbins se mirent d'accord, du moins ouvertement, était que l'État ne devrait jamais scruter ou punir la parole des autorités religieuses. Avec leur penchant pour les tirades enflammées à l'encontre des Arabes, des homosexuels et autres scélérats, ces rabbins savaient qu'ils étaient les prochains sur la liste si jamais Shapira et Elitzur étaient officiellement poursuivis.
Yaakov Yosef fut escorté dans ce rassemblement par Baruch Marzel, un chef notoirement violent du groupe terroriste juif, Kach. Arrivé sur le podium, Yosef acclama Marzel en tant que gever, ou homme d'honneur. Yaakov Yosef est le fils d'Ovadiah Yosef, le guide spirituel du parti Shas et ancien Grand Rabbin Sépharade d'Israël. Malgré le penchant d'Ovadiah Yosef pour les délires verbaux (« Les Goyim ne sont nés que pour servir. A part cela, ils n'ont aucune place dans le monde », avait-il proclamé dans un sermon hebdomadaire), il s'opposait à la publication de Torat Ha'Melech, décrivant ce livre comme étant « raciste » et dangereux pour l'image internationale d'Israël. Mais depuis qu'il avait rejoint la secte juive extrémiste cultiste Chabad, Yaakov avait adopté une position beaucoup plus radicale que son père. (Elitzur était un rabbin de Chabad.)
Dans son discours, Yaakov Yosef essaya de classer Torat Ha'Melech dans le courant traditionnel de la Torah. Citant les Psaumes du chapitre 79 afin de démontrer la supposée cohérence du livre avec les enseignements halakhiques établis, il déclama, « Déverse ta colère sur les nations qui ne te reconnaissent pas, sur les royaumes qui n'invoquent pas ton nom ; car ils ont dévoré Jacob et détruit sa patrie ». Il rappela ensuite à son auditoire l'histoire de la Pâque. « Nous avons demandé au peuple juif, 'Ne voulez-vous pas lire un passage de la Hagadah [citant le massacre de non-Juifs] à la table de la Pâque?' Quelqu'un veut-il changer la Bible ou les déclarations de la Torah ? » Le seul crime de Shapira et d'Elitzur, proclama Yosef, a été de rester fidèle aux déclarations orales et écrites contenues dans la Torah.
Ensuite, le Rabbin Haim Druckman se leva pour parler. Ancien membre de la Knesset et lauréat du Prix d'Israël 2012 pour l'éducation, Druckman a été une figure de proue de l'extrémisme juif en Israël. En 1980, après qu'un groupe de colons s'embarqua dans un complot terroriste en partie couronné de succès pour mutiler les principaux maires palestiniens de Cisjordanie (ils ont grièvement blessé les maires de Naplouse et de Ramallah), Druckman glorifia : « Qu'ainsi périssent tous les ennemis d'Israël ! » Penché sur le podium, Druckman, de sa voix rauque, fit bien attention d'éviter d'approuver le contenu de la Torat Ha'Melech, se contentant de dire qu'il « espér[ait] que ce qui s'est passé ici ne se reproduise jamais et que nous n'aurons plus jamais à organiser ce genre de conférence ».
Une déclaration de soutien plus véhémente vint du Rabbin Yehoshua Shapira, directeur de la yeshiva subventionnée par l'État de Ramat, dans la banlieue de Tel-Aviv. Voici de que Yehoshua Shapira brailla: « L'obligation de sacrifier votre vie dépasse toutes les autres obligations quand vous combattez ceux qui voudraient détruire l'autorité de la Torah. Ce n'est pas seulement vrai contre les non-Juifs qui essayent de la détruire mais aussi contre les Juifs de tous les camps ».
À l'extérieur de la salle de conférence, où le membre Kahaniste de la Knesset Michael Ben-Ari traînait avec Baruch Marzel et Itamar Ben-Gvir, un autre assistant qu'il avait prélevé des rangs de Kach, Yossi et moi discutions avec un colon de 22 ans qui nous parlait avec un accent américain. Nous voulions savoir s'il était prêt à prendre la défense des clauses de la Torat Ha'Melech justifiant le meurtre d'enfants innocents. Sans hésitation et toute honte bue, le jeune homme, qui refusa de donner son nom, nous dit, « Il existe un tel concept dans la loi juive définissant une population ennemie, et, dans des circonstances très, très spécifiques, selon diverses opinions rabbiniques, il serait permis de tuer, euh, euh. » Pendant un instant, sa voix s'est éteinte et son regard a fait le tour de la pièce. Mais le colon parvint à reprendre ses esprits et à terminer sa phrase. « Tuer des enfants », murmura-t-il avec gêne.
La philosophie génocidaire exprimée dans la Torat Ha'Melech a émergé de l'atmosphère enfiévrée d'une colonie nommée Yitzhar, située au nord de la Cisjordanie, près de la ville palestinienne de Naplouse. Shapira y aide à diriger la yeshiva Od Yosef Chai de la colonie, exerçant une influence sur une petite armée de fanatiques enthousiastes à l'idée de terroriser les Palestiniens qui s'occupent de leurs cultures et de leur bétail dans les vallées en contrebas. Shapira a grandi dans une famille religieuse nationaliste influente. Comme Yaakov Yosef, il a opéré un tournant radical après avoir rejoint la secte Chabad sous le patronage du Rabbin Yitzchok Ginsburgh, le directeur de la yeshiva Od Yosef Chai de Yitzhar, qui avait pris la défense de sept de ses étudiants après le meurtre d'une jeune-fille palestinienne innocente en affirmant la supériorité du sang juif. En 1994, quand le Juif fanatique Baruch Goldstein massacra 29 fidèles palestiniens dans le Caveau des Patriarches à Hébron, Ginsburgh encensa Goldstein dans un long article intitulé « Baruch, Hagever » ou « Baruch, le Grand Homme ». Ginsburgh jugea que la folie meurtrière de Goldstein était un acte cohérent avec les enseignements halakhiques essentiels, qui vont de l'importance de la vengeance légitime à la nécessité de « l'éradication de la semence d'Amalek. »
Sous la direction de Ginsburgh et de Shapira, Od Yosef Chai a soutiré, depuis 2007, presque $50.000 au ministère israélien des affaires sociales. Le ministère israélien de l'éducation a complété le soutien gouvernemental en injectant plus de $250.000 dans les coffres de la yeshiva entre 2006 et 2007. Od Yosef Chai a également grassement bénéficié de dons de la part d'une organisation américaine à but non-lucratif et non-imposable dénommée Central Fund of Israel. Située dans le magasin de textiles des Marc Brothers à Midtown Manhattan, le Central Fund a transféré au moins $30.000 à Od Yosef Chai entre 2007 et 2008. (Itamar Marcus, le frère du fondateur du Central Fund, Kenneth, est le directeur de Palestine Media Watch, une organisation pro-israélienne qui se consacre, de façon ironique, à démasquer l'incitation à la violence palestinienne). En avril 2013, le gouvernement israélien a finalement annoncé qu'il cesserait de financer Od Yosef Chai, disant que la yeshiva constituait une menace à la sécurité publique.
Bien qu'il n'ait pas spécifié l'identité de « l'ennemi » non-juif dans les pages de son livre, les liens de longue date du Rabbin Shapira avec les attaques terroristes contre des civils palestiniens expose la véritable identité de ses cibles. En 2006, un autre rabbin de la yeshiva de Shapira, Yossi Peli, fut brièvement retenu par la police israélienne pour avoir encouragé ses partisans à assassiner tous les Palestiniens de sexe masculin âgés de plus de 13 ans. Deux ans plus tard, Shapira fut interrogé par le Shin Bet car il était suspecté d'avoir aidé à orchestrer une attaque à la roquette artisanale contre un village palestinien près de Naplouse. Bien qu'il fût relâché, le nom de Shapira apparut en relation avec un autre acte terroriste, lorsqu'en janvier 2010, la police a investi sa colonie à la recherche des vandales qui avaient mis le feu à une mosquée voisine. Après avoir arrêté plus de dix colons, le Shin Bet plaça en garde à vue cinq complices de Shapira, suspectés d'acte pyromane. Aucun d'eux n'a jamais vu l'intérieur d'une cellule de prison.
A la question de savoir si les étudiants de la yeshiva d'Od Yosef Chai se faisaient justice eux-mêmes en attaquant les Palestiniens, l'un des collègues de Shapira, le Rabbin David Dudkevitch, répondit,« La question n'est pas de se faire justice soi-même, mais plutôt de prendre en main l'Etat tout entier ».
La violence des colons juifs a été une réalité de la vie en Cisjordanie occupée depuis les années 1970. Cependant, depuis 2007, la violence des colons a considérablement augmenté. Un article de 2008 publié dans Ha'aretz attribuait l'augmentation des attaques au retrait des colons de la bande de Gaza en 2005, après quoi les colons de Cisjordanie avaient juré de répondre à chaque action de l'État contre eux par un assaut contre les Palestiniens en guise de « facture », établissant ainsi un « équilibre de la terreur » dissuasif.
Mais une analyse détaillée des attaques documentées menées par les colons au cours des dix dernières années, effectuée par le Palestine Center, un institut basé à Washington, a révélé que la violence est structurelle et non réactionnelle. Ces attaques sont montées sans prétexte et le plus souvent dans des zones de Cisjordanie contrôlées par les services de sécurité israéliens, où les colons agissent en toute liberté. Ce rapport a identifié les colonies du nord telles que Yitzhar comme étant des foyers d'activités violentes, avec fusillades et incendies volontaires en augmentation. Selon Yesh Din, un groupement israélien des droits de l'homme, la police israélienne a clos 91% des enquêtes sur les attaques des colons sans inculper qui que ce soit, et a généralement échoué à localiser les suspects.
Selon un sondage de mars 2011 effectué par Ynet-Gesher auprès de 504 adultes israéliens, 48% des personnes interrogées soutenaient les violences des colons en représailles aux actions des Palestiniens ou du gouvernement israélien, et seulement 33% disaient penser que la violence de la part des colons n'était « jamais justifiée ». Alors qu'une très large majorité des orthodoxes ou des religieux nationalistes parmi les personnes sondées ont exprimé un fort soutien envers les attaques commises par les colons, il en était de même pour 36% des Israéliens laïcs - un chiffre remarquablement élevé pour une population qui vit principalement à l'intérieur de la Ligne Verte.
Tandis que Ginsburgh et Shapira approuvaient les saccages commis par les colons dans le nord de la Cisjordanie en disant qu'ils étaient halakhiques, au sud, leur camarade Dov Lior, le premier rabbin de Hébron, a applaudi le meurtre de quiconque, juif ou non-juif, qui semblait interférer avec la cause rédemptrice du Grand Israël. Aux funérailles de Baruch Goldstein, Lior fit l'éloge de l'auteur du meurtre collectif, en disant qu'il était un « homme vertueux » et juste, et qu'il était « plus saint que tous les martyrs de l'Holocauste ». En partie grâce aux efforts de Lior, un mausolée en mémoire de Goldstein se dresse à l'intérieur de la colonie juive de Kyriat Arba, où Lior est président de la yeshiva. En même temps, Lior déclarait que le Premier ministre Yitzhak Rabin était un « moser » (un Juif qui moucharde aux Goyim) et un « rodef » (un traître méritant l'élimination), contribuant à établir la justification religieuse pour que Yigal Amir, l'un des admirateurs de Lior, l'assassine.
Le penchant de Lior pour les diatribes violentes et fascistes n'a pas diminué avec l'âge. Il a mis en garde les femmes juives de ne pas permettre la fécondation in vitro avec le sperme de non-Juifs, affirmant que « le sperme des Gentils engendre des rejetons barbares ». Il a décrit les Arabes comme des « monteurs de chameaux malfaisants » et dit que les militants palestiniens en détention pouvaient servir de cobayes pour des expériences sur l'homme. Le petit rabbin à barbe grise a même fait un long discours sur les méfaits du « boogie-woogie », déclarant que le rock'n'roll « exprime les pulsions animales et les plus basses des gens ». Il a ajouté, « Quelque chose qui appartient aux rythmes des « kushim » [les Noirs] n'a pas sa place dans notre monde ».
Grâce au nombre croissant de jeunes nationalistes qui s'enrôlent dans le service militaire après avoir étudié dans des yeshivas hesder, qui allient enseignement talmudique et formation militaire, Lior s'est assuré une influence considérable au sein de l'armée. En 2008, lorsque le grand rabbin de l'armée israélienne, le général de brigade Avichai Ronski, emmena un groupe d'officiers militaires du renseignement à Hébron pour une tournée spéciale, il termina la journée par une réunion privée avec Lior, qui put régaler les officiers de ses opinions sur la guerre moderne, qui comprend un soutien véhément à la punition collective pour les Palestiniens. Ronski, pour sa part, a supervisé la distribution de tracts extrémistes à des soldats pendant l'opération « Plomb Fondu » [2008-2009 contre Gaza], incluant « Baruch, Hagever » et un pamphlet déclarant, « Quand vous faites preuve de clémence envers un ennemi cruel, vous êtes cruel vis-à-vis des soldats purs et honnêtes ».
En octobre 2009, lors d'une cérémonie de prestation de serment au Mur Occidental, un groupe de soldats du bataillon Shimshon, bien connu pour sa brutalité, a hissé une banderole de protestation jurant de ne pas évacuer de colonies - « Shimshon n'expulse pas ». Quand l'armée a puni les deux soldats qui avaient organisé cette manifestation de déloyauté en les éjectant de l'unité, les rabbins Ginsburgh et Lior ont promptement programmé un rassemblement religieux à Jérusalem en leur honneur. Une source avait rapporté au Jerusalem Post que la cérémonie inclurait la distribution massive de la Torat Ha'Melech nouvellement publiée. Des semaines après l'incident, deux autres brigades majeures de l'armée israélienne, Nahson et Kfir, ont décoré leurs bases d'entraînement avec des banderoles annonçant leur refus d'évacuer des colonies.
Moins de deux ans plus tard, Matanya Ofan, le co-fondateur d'un exutoire médiatique extrémiste basé à Yitzhar, est apparu dans une vidéo virale en ligne en uniforme complet de l'armée, tenant un M-16 de l'armée dans une main et un exemplaire de Torat Ha'Melech dans l'autre. Ce livre avait fini par représenter le code officieux du soldat nationaliste religieux. Fixant la caméra, Ofan déclarait, « Lorsque je me rendrai à la frontière, avec la grâce de Dieu, je n'écouterai pas les bêtises que me disent les commandants, et si je vois un ennemi s'approchant de la frontière, je ferai tout pour l'arrêter de passer et j'essaierai de lui faire du mal - parce que c'est ainsi que nous pouvons sauver la vie des Juifs. C'est seulement de cette manière qu'aucun Soudanais ou Syrien n'arrivera à Tel-Aviv ». Un sous-titre à la fin de la vidéo disait, « Juifs, à nous de gagner ».
Dès lors, les rangs de l'armée ont été submergés par les nationalistes religieux, avec plus d'un tiers des officiers d'infanterie exprimant un point de vue de la droite religieuse - un bond de 30% depuis 1990. Une étude de 2010 a démontré que 13% des commandants de compagnies vivaient dans des colonies de Cisjordanie. Le commandant en second de l'armée, le chef d'état-major adjoint Yair Naveh, fut le premier officier religieux à être nommé à un poste de l'état-major. Il était aussi l'officier impliqué dans le scandale d'Anat Kamm pour avoir ordonné l'assassinat de militants palestiniens en violation flagrante d'une décision de la Cour Suprême. Un autre sioniste religieux de premier plan était Yaakov Amidror, l'ancien directeur de la branche d'analyse du renseignement militaire de l'armée et commandant de ses académies d'officiers. Colon à la barbe blanche touffue, Amidror fut désigné par le Premier ministre Benyamin Nétanyahou au poste de directeur de son Conseil de Sécurité Nationale. En plus de défendre la réoccupation de la bande de Gaza, Amidror a soulevé la controverse en appelant à des exécutions sommaires de soldats israéliens qui refusaient d'avancer dans les combats, et à user d'une force disproportionnée contre la population civile de l'adversaire.
« Ce qu'il faudrait dire est, 'tuez plus de salopards du camp adverse', afin que nous puissions gagner. Un point c'est tout », brailla-t-il durant un débat d'experts sur les « valeurs nationales dans les forces de défense israéliennes ».
Bien que les opinions d'Amidror semblent concorder avec certaines de celles des auteurs de Torat Ha'Melech, il n'a pas osé prendre leur défense. C'était un travail pour les rabbins Lior et Yaakov Yosef, qui devinrent les plus virulents apologistes, sinon les supporters les plus enthousiastes de Torat Ha'Melech. Début 2011, alors que la polémique autour du livre faisait toujours rage en Israël, Yosef et Lior ont donné l'approbation rabbinique suprême : une « haskama », la sorte de référence donnée par des érudits en préface d'ouvrages judaïques attestant de leur valeur halakhique et de la véracité de leur contenu.
« Je me suis réjoui de voir cette merveilleuse création », a dit Lior à propos de ce livre. En février de cette année-là, le ministre de la sécurité intérieure a émis un mandat d'arrêt contre Lior, après le refus de ce dernier de venir répondre à des questions sur des soupçons d'incitation à la haine raciale, un crime en Israël qui est rarement puni, mais qui est passible d'une peine maximale de cinq ans de prison. Lior rejeta l'ordre de l'Etat en arguant qu'il n'avait aucune obligation de se plier à ses règles ; c'est le procès de la Torah elle-même que l'on fait, a-t-il proclamé.
Par conséquent la voix auto-proclamée du Judaïsme dans sa forme la plus pure s'était placée au-dessus des lois.
Pendant ce temps, le mandat d'arrêt provoqua des appels à la résistance totale de la part de membres de l'aile droite de la Knesset, comme Yaakov Katz, qui a déclaré que le gouvernement se comportait comme les « sombres régimes » qui ont persécuté les Juifs à travers l'histoire, attribuant au ministre de la justice le rôle du Nazi ou du Pharaon. Vingt-quatre membres de la coalition de Nétanyahou, dont David Rotem, le président de la Commission de la Constitution, des Lois et de la Justice de la Knesset, se joignirent à Katz pour dénoncer l'arrestation de Lior. Les deux Grands Rabbins d'Israël, Yona Metzger et Shlomo Amar, publièrent une déclaration conjointe dénonçant l'arrestation d'un homme qu'ils décrivaient comme « l'un des plus grands rabbins d'Israël ».
La colère de la droite religieuse a explosé lors d'une manifestation houleuse à l'extérieur de la Cour Suprême en juillet 2011, avec des centaines de jeunes colons qui ont fait une brèche dans un mur entourant le palais de justice et ont essayé de prendre le bâtiment de force. Le même mois, après que deux activistes de l'aile droite furent attrapés en train de s'introduire chez lui, Shai Nitzan, le substitut du procureur, fut contraint de se déplacer avec un détachement spécial de sécurité. En mai 2012, le gouvernement a plié sous une pression sans relâche - l'aile droite est passée à l'extrême droite - avec le ministre de la Justice Yehuda Weinstein décidant qu'il ne disposait pas de preuves suffisantes pour conclure que Torat Ha'Melech incitait au racisme, principalement parce que le livre était écrit d'une « façon vague ». Lior fut relâché en compagnie des auteurs du livre, Shapira et Elitzur, consolidant leur domination politique tout en s'assurant que le tract qu'ils avaient produit continuerait à circuler librement au sein des rangs de l'armée. Abasourdi par la décision de l'État, Selif Rachlevsky, un chroniqueur progressiste de Ha'aretz, déclara que Lior était « le dirigeant d'Israël ».
Ayant exercé son influence avec succès sur les militaires et le système judiciaire, la droite religieuse s'est rendue dans toutes les villes mixtes d'Israël pour promouvoir la ségrégation et punir les unions (et naissances) mixtes dans une campagne qui s'est étendue de pâté de maison en pâté de maison et de rue en rue.
Max Blumenthal
Traduction [JFG-QuestionsCritiques].
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