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     L'Homme de la Droite Américaine
    Par Paul Krugman
The New York Times, lundi 13 mars 2006

Il est temps d'avoir une discussion franche à propos de John McCain. Ce n'est pas un modéré. Il est beaucoup moins non-conformiste que l'on croit. Et il n'a pas le franc-parler qu'il prétend avoir.

La réputation de M. McCain, en tant que modéré, se base peut-être sur son ancienne opposition aux réductions d'impôt de Bush. En 2001, il a déclaré : "Je ne peux pas en mon âme et conscience soutenir une réduction d'impôt dans laquelle une grande partie des bénéfices va aux plus fortunés d'entre nous".

Mais à présent - dans une période d'énormes déficits budgétaires avec une guerre coûteuse, lorsque l'affaire des réductions d'impôt pour les riches se fait plus criante - M. McCain est satisfait de couvrir les plus riches de bénéfices. Il a récemment voté une extension des réductions d'impôt sur les dividendes et les revenus financiers, une action qui aggravera le déficit budgétaire tout en bénéficiant principalement à ceux qui ont des revenus très élevés.

Lorsque l'on en vient à la politique étrangère, M. McCain n'a jamais été un modéré. Pendant la campagne de 2000 il a appelé à une politique pour "faire reculer les Etats voyous", anticipant la "doctrine de Bush" de guerre préventive, dévoilée deux années plus tard. M. McCain a appelé à un effort systématique pour renverser les vilains régimes même s'ils ne posaient pas de menace imminente contre les Etats-Unis ; il a pris pour cible l'Irak, la Libye et la Corée du Nord. Les vues agressives de McCain en ce qui concerne la politique étrangère, et sa volonté exprimée - presque de l'empressement - à engager les forces terrestres américaines à l'étranger, explique pourquoi c'était lui, et pas George W. Bush, le candidat préféré des experts néoconservateurs, tels que William Kristol de l'Evening Standard.

Que M. McCain aurait trouvé des prétextes, à l'instar de M. Bush, pour envahir l'Irak ? Personne ne le saura jamais. Mais M. McCain pense toujours que la guerre était une bonne idée et il rejette toute tentative de nous extraire de ce bourbier. "Si la victoire nécessite d'accroître en 2006 le nombre de soldats américains", écrivait-il l'année dernière, "alors nous devrons accroître nos effectifs là-bas". Il n'a pas expliqué où l'armée américaine sur-déployée est supposée trouver ces soldats.

Lorsque l'on en vient aux questions sociales, M. McCain, qui appelait autrefois Pat Robertson et Jerry Falwell des "agents de l'intolérance", a rencontré M. Falwell en fin d'année dernière. Peut-être est-ce pourquoi il prend désormais des positions amicales avec la droite religieuse. Plus remarquable encore, le porte-parole de M. McCain déclare qu'il aurait signé la nouvelle loi extrémiste anti-avortement du Dakota du Sud.

Le porte-parole a poursuivi en disant que le sénateur aurait pris "les mesures appropriées sous la loi de l'Etat" pour être sûr que les grossesses à la suite de viols et d'incestes seraient exclues [du champ de la loi]. Mais cette tentative de qualification n'a aucun sens : la loi du Dakota du Sud a produit des ondes de choc nationales, précisément parce que celle-ci interdit les avortements, même pour les victimes de viol ou d'inceste.

La conclusion est que M. McCain n'est pas un modéré ; il est un homme de la droite dure. Jusqu'où est-il à droite ? Une analyse des statistiques des résultats électoraux récents de McCain, que l'on peut consulter sur www.voteview.com, le classe comme le troisième membre le plus conservateur du Sénat.

Alors, qu'en est-il de sa réputation de non-conformiste ? Elle vient du fait que de temps en temps, il semble déclarer son indépendance vis-à-vis de l'administration Bush, comme il l'a fait en poussant sa loi contre la torture.

Mais une chose rigolote s'est produite sur le chemin de Guantanamo. Le Président Bush, lorsqu'il a signé la loi, a ajouté une déclaration qui disait en réalité qu'il était libre de ne pas respecter la loi quand il le voulait. M. McCain a protesté, mais il n'y a visiblement pas de rancune : lors de la récente Conférence de la Direction Républicaine Sudiste il a fait l'éloge de Bush avec effusion. Et je suis au regret de dire que cela est typique de M. McCain. De temps en temps, il fait les gros titres en donnant l'impression de défier M. Bush, mais il retourne toujours au bercail, même si les abus contre lesquels il s'est insurgé se poursuivent avec la même vigueur.

Donc, voici ce qu'il vous faut savoir sur John McCain.

Il n'est pas franc du collier. Ses volte-face sur les réductions d'impôt, son appel à envoyer en Irak des soldats que nous n'avons pas en Irak et son appui à la législation anti-avortement du Dakota du Sud, tout en clamant qu'il trouvera un moyen de contourner la provision centrale de cette législation, montrent qu'il est un politicien aussi suspect et évasif que, eh bien !, George W. Bush.

Il n'est pas un modéré. Les positions politiques de M. McCain et ses votes au Sénat ne le placent pas seulement à l'extrême droite du spectre politique américain, ils le placent dans l'aile droite du Parti Républicain.

Et il n'est pas un anticonformiste, du moins pas lorsque cela compte. Sous le feu des caméras, M. McCain peut de temps en temps être vu prenant une position courageuse d'opposition à la Maison Blanche. Mais lorsque cela est important, lorsque la capacité de l'administration Bush de faire ce qu'elle veut est en cause, M. McCain suit exactement la ligne du parti.

Cela vaut la peine de se rappeler que lors de la campagne électorale de 2000, George W. Bush était largement décrit par la presse à la fois comme un modéré et quelqu'un qui va droit au but. Comme M. Bush l'a dit : "Trompez-moi une fois, vous devriez avoir honte ! Trompez-moi - vous ne pouvez pas me tromper à nouveau !"

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par [JFG-QuestionsCritiques]