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DiEM25

Seul un Grec peut sauver l'Europe

Par Pepe Escobar
RT, le 20 février 2016

article original : "It takes a Greek to save Europa"


Europe, dans la mythologie grecque classique, était cette princesse phénicienne canon qui rendit complètement cinglé ce grand dragueur qu'était Zeus.

Malin comme un singe, Zeus se transforma en taureau, amenant par la ruse Europe à le chevaucher, et avant qu'elle ne puisse s'échapper, plongea dans la Mer Egée et l'emmena en Crète. Le produit de leurs inévitables ébats amoureux fut le Roi Minos. Il faut donc garder à l'esprit qu'Europe est la grand-mère par alliance du Minotaure.

Zeus avait beau être un amant prolifique, il finissait toujours par retourner vers sa femme, Héra. Mais cette fois-ci, il ne quitta pas Europe sans lui avoir préalablement concocté quelques cadeaux sélectionnés. L'un de ces cadeaux était Laelaps, un chien de chasse qui ne ratait jamais sa proie. Ensuite, un jour, le destin voulut que Laelaps se lance à la poursuite du renard de Teumesse — lequel, selon les desseins divins, ne pourrait jamais être attrapé.

Imaginez donc la situation dans laquelle Zeus s'est retrouvé ! Après s'être creusé ses méninges divins, Zeus trouva finalement un moyen facile de s'en sortir : il les pétrifia tous les deux et les projeta dans le ciel nocturne.

On peut toujours faire appel aux bacchanales psychédéliques de la mythologie grecque classique pour trouver une illustration imagée des troubles de notre époque. Imaginez, par exemple, l'élite de l'Europe — Mario Dragui & Compagnie — se creusant les méninges en mode « Laelaps rencontre Teumesse » pour essayer de résoudre l'énigme de la zone euro. Et imaginez de même un nouveau Minotaure dévorant les nouveau-nés de l'Europe.


A la rencontre de DiEM25

Voici maintenant une nouvelle histoire qui se déroule au cœur de l'Europe.

Sept mois après avoir démissionné de son poste de ministre des finances de la Grèce, Yanis Varoufakis, celui qui se considère comme un « marxiste erratique », refait surface (sur la Mer Egée ?) avec brio.

Le 9 février dernier, au Volksbühne Theater de Berlin, Varoufakis a lancé un nouveau projet : DiEM25 (son mouvement pour la démocratie en Europe — 2025), dont l'objectif est de transférer à terme le pouvoir de l'élite européenne, farouchement autoritaire et irresponsable, et de le remettre — équitablement — aux citoyens européens.

Un mythe grec ? Pourquoi pas ? Et, au moment même où l'Europe a un besoin criant d'un nouveau mythe fondateur, Varoufakis fait le pari que ce mouvement finira par connaître un « consensus de base » sur ce qu'il faut faire pour véritablement introduire des pratiques démocratiques dans la manière dont le monstre européen est géré. Puis, vers une démocratie parlementaire, à travers des élections.

Le diagnostic de Varoufakis devrait résonner auprès de tous les citoyens européens ayant un peu de jugeote : des élites européennes n'ayant de compte à rendre à personne ; la « grande finance » et la « grande industrie » formant le « cartel contre nature » qui est le « principal moteur de la politique européenne » ; la Banque Centrale Européenne (BCE) soutenant le « cartel » en imprimant de la monnaie à travers l'assouplissement quantitatif (AQ), comme s'il n'y avait pas de lendemain ; l'Italie, étouffée par le remboursement de sa dette, devenant la nouvelle Grèce ; l'erreur que commet la BCE, théoriquement apolitique, en contrôlant les taux d'intérêt dans des pays extrêmement disparates ; et le comportement mafieux de l'Eurogroupe (qui comprend les 19 ministres des finances de la zone euro).

Il n'est pas surprenant que le raisonnement erroné de ce « modèle » pour diriger la zone euro ait produit un chômage dévastateur et facilité la montée inexorable de l'extrême droite.

Le concept de DiEM25 est inspiré par ce que les Européens auraient dû construire dans les années 1930, avant l'ascension du nazisme et du fascisme : un mouvement démocratique et trans-politique paneuropéen. Dans le bouleversement abyssal actuel qui engouffre l'Europe, Varoufakis y voit toutes les tendances toxiques des années 1930.

Il veut que DiEM 25 soit plus qu'un « simple think-tank et . une simple communauté sur internet ».

En même temps, il voudrait que ce mouvement n'ait essentiellement pas de leader. Et c'est la que ça coince, l'Europe n'a peut-être pas besoin de héros, mais telle qu'elle est, elle a définitivement besoin de vrais leaders.


A la rencontre du nouveau Minotaure

Considérant le vide intellectuel actuel qui caractérise l'Europe dans son ensemble, Varoufakis secoue au moins le cocotier pour tenter de la réveiller. Tout ce que l'on a besoin de savoir à propos des causes profondes de la crise financière mondiale de 2008 a été disséqué dans son livre majeur, Le Minotaure planétaire (Editions du Cercle, décembre 2014).

La métaphore du Minotaure est indispensable pour comprendre le « modèle » — défini comme la « désagrégation contrôlée de l'économie mondiale » — imposé sur toute la planète par l'ancien président de la FED, Paul Volcker. Commençant dans les années 1980 hautement spéculatives, ce « chaos organisé d'un état de constant flottement», tel que Varoufakis le définit, s'est traduit par l'envoi quotidien de milliards de dollars à Wall Street par les investisseurs étrangers, finançant ainsi le double déficit américain — et alimentant le Minotaure planétaire.

Retournons dans la mythologie grecque. Minos, le roi de la Crète, demanda à Poséidon un magnifique taureau en signe de son approbation divine. Il promit à Poséidon de sacrifier ce taureau en son honneur. Mais il ne le fit pas. Le châtiment fut donc inévitable.

Vous parlez d'un châtiment créatif ! Les dieux, utilisant les expertes qualifications d'Aphrodite, firent en sorte que la femme de Minos, Pasiphaé, tombe follement amoureuse du taureau. A l'aide de divers accessoires construit par l'ingénieur légendaire Dédale, la reine parvint à se faire mettre enceinte. Le résultat de cette union fut le Minotaure : mi-humain, mi-taureau.

Lorsque le Minotaure devint énorme et incontrôlable, Minos demanda à Dédale de lui construire un labyrinthe. La seule façon d'apaiser le Minotaure dans son labyrinthe était de lui offrir de la chair humaine. Et là, nous arrivons au Crétois Minos obtenant sa vengeance contre Athènes ; le roi d'Athènes, Egée, avait tué le fils de Minos après avoir remporté toutes les épreuves des jeux panathéniens. Donc, après une brève guerre menée par Minos contre Athènes, Egée fut forcé d'envoyer chaque année sept jeunes hommes et sept jeunes filles nubiles, pour qu'ils se fassent dévorer par le Minotaure.

Ceci — selon le mythe — était la configuration d'un tribut régulier de l'étranger, qui maintenait le Minotaure bien nourri. De nos jours, ou jusqu'à 2008, ce fut la configuration de la Pax Americana. Mais contrairement au mythe, où Thésée — le fils d'Egée — finit par tuer le Minotaure, ce qui condamna le monstre moderne fut le sordide racket des subprimes et un tsunami de CDO et de CDS [les produits financiers dérivés issus de cette arnaque].

Varoufakis ne pouvait qu'être attiré par un remix de la métaphore du Minotaure ; un tribut périodique unilatéral — en dollars US — de la part de la planète entière, permettant aux « exceptionnalistes » hégémoniques de projeter leur puissance sur les océans. Ce Minotaure est à présent mourant, mais le monde est toujours empêtré par sa carcasse en décomposition, et personne ne sait quel nouveau monstre va lui succéder.

Pour l'instant, il est temps de combattre un autre Minotaure, plus petit, un monstre qui dévore les enfants de la grand-mère par alliance de l'Europe, par l'autocratie, l'austérité, le chômage et la peur. Et une fois encore, seul un Grec, en aucun cas un héros, pourra montrer la voie aux Européens.

Copyright 2016 Pepe Escobar/[JFG-QuestionsCritiques]

Le nouveau livre de Pepe Escobar 2030 (en français) : .../... Et toujours, le Minotaure planétaire de Yanis Varoufakis :

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Disponible en version numérique Kindle
Sortie en librairie : 5 avril 2016




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