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     Ben Laden : Un monstre que nous avons créé nous-mêmes
    Par Robert Sheer
Truthdig, 7 mai 2011

article original : "A Monster of Our Own Creation"



©2011 Dave Brown - The Independent

Il était des nôtres, jusqu’à ce qu’il ne le soit plus, un allié durant la guerre froide jusqu’à ce qu’il ne soit plus utile à nos objectifs. Le problème avec Oussama ben Laden n’était pas qu’il fût un guerrier saint fanatique, nous aimions bien ce qu’il était tant que les infidèles qu’il prenait pour cible n’étaient pas nous mais les Russes et les Afghans laïcs au pouvoir à Kaboul que les Soviétiques soutenaient.

Mais lorsque ben Laden s’est retourné contre nous, il s’est métamorphosé en un personnage démoniaque et, aujourd’hui, trente ans après avoir pris la décision de nous servir de lui, ainsi que d’autres zélotes musulmans, pour nos objectifs de la guerre froide, nous nous sentons purifiés par sa mort [et lavés] de toute responsabilité pour les carnages qu’il a perpétrés. Nous commettons parfois des erreurs, mais nous n’avons jamais tort. USA ! USA !

C’est un peu comme lorsque la CIA confia à la mafia l’assassinat de Fidel Castro, et que les mafiosi s’avérèrent avoir leur propre agenda, ou lorsque le Pentagone protégea le catholique cinglé Ngo Dinh Diem, comme étant le George Washington du Sud-Vietnam à prédominance bouddhiste, avant qu’ils ne ressentent le besoin de l’exécuter. C’est le sort qu’a connu Saddam Hussein, dont l’infâme poignée de main avec Donald Rumsfeld l’avait fait reconnaître comme notre agent dans la guerre pour défaire les ayatollahs en Iran.

Je sais qu’il est embarrassant de faire remarquer que ben Laden était un autre de ces monstres que nous avons nous-mêmes créés, l’un de ces « combattants pour la liberté » musulman que le Président Ronald Reagan célébrait pour avoir répondu à l’appel de la CIA de tuer les Soviétiques en Afghanistan. Cette sainte croisade contre les infidèles était financée par l’Arabie Saoudite et armée par les Etats-Unis, des armes pour s’opposer à un gouvernement laïc en Afghanistan et soutenu par les Soviétiques, mais avant que les troupes soviétiques n’aient franchi la frontière. Bref, c’était une intervention malheureuse et injustifiée des Etats-Unis dans les affaires intérieures d’un autre pays.

Ne me croyez pas sur parole ! Contentez-vous de lire les mémoires, parues en 1996, de l’ancien fonctionnaire chargé de la sécurité dans l’administration Carter et […] secrétaire à la Défense [d’Obama jusqu’au 28 avril 2011, date à laquelle il a été remplacé par Leon Panetta]. Un livre vanté par son éditeur comme exposant « le soutien secret jamais révélé auparavant aux moudjahidine afghans par Carter, six mois avant que les Soviétiques n’envahissent [l’Afghanistan] ». Ce refus de prendre en compte la prétendue excuse de la guerre froide pour soutenir les moudjahidine a été reconnu par le conseiller à la sécurité nationale du Président Jimmy Carter, Zbigniew Brzezinski, lequel, interrogé par le magazine français, Le Nouvel Observateur, pour savoir s’il regrettait « avoir donné des armes et des conseils à de futurs terroristes », a répondu par la négative : « Qu’est-ce qui est plus important au regard de l’histoire du monde ? […] Quelques musulmans excités ou la libération de l’Europe centrale et la fin de la guerre froide ? »[1]

Ces paroles ont été prononcées trois ans avant que quelques « musulmans excités », comme ben Laden et le présumé cerveau du complot du 11/9, Khaled Cheikh Mohammed[2] – que ben Laden finançait et qu’il avait rencontré pour la première fois en Afghanistan lorsqu’ils étaient tous deux des combattants soutenus par les Etats-Unis –, ne lancent l’attaque meurtrière contre les Etats-Unis. Le coût de la riposte américaine à cette attaque est monté en flèche pendant 10 ans. Le budget de la défense que le premier président Bush avait essayé de réduire drastiquement parce que la guerre froide était terminée a été poussé jusqu’à son plus haut niveau en temps de paix par le second président Bush et, à présent, avec trois guerres en cours, ce budget est équivalent aux dépenses militaires de tous les autres pays [de la planète] réunis.

Mais, alors que la Libye et l’Irak ont du pétrole à exploiter, comment justifierons-nous la poursuite de cette guerre interminable en Afghanistan, à présent que ben Laden n’est plus ? Les experts à la sécurité nationale de la Maison Blanche ont déjà concédé qu’il y avait moins d’une centaine d’agents d’al-Qaïda éparpillés en Afghanistan et qu’ils étaient incapables de monter des attaques anti-américaines. Il est clair que ce qui reste d’al-Qaïda n’est plus basé en Afghanistan, comme l’a démontré l’endroit où se cachait ben Laden – dans un centre militaire au Pakistan. Il n’y a pas non plus d’indication que les Taliban que nous combattons en Afghanistan soient autre chose que des combattants du cru avec des motivations et des dirigeants très éloignés des desseins de feu-ben Laden.

Il est temps de reconnaître que le foutoir qu’est l’Afghanistan est le résultat de l’utilisation cynique que nous avons faite de ces gens et de leur terre pour des objectifs qui n’ont rien à voir avec leurs besoins ou leurs aspirations. Même si ben Laden avait été tué dans quelque grotte sinistre en Afghanistan, cela n’aurait pas été suffisant pour dire qu’il se servait de ce pays comme d’une base. Mais le fait qu’il se trouvait dans une région amplement peuplée de ces mêmes militaires et agents des services secrets pakistanais que nous avons armés, et qu’il aurait donc dû être facile à attraper, montre bien que l’affirmation selon laquelle il faut obtenir une victoire vitale en Afghanistan, dans ce que deux administrations ont choisi de définir comme la guerre contre le terrorisme, est un mensonge.

Traduit l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

Note du traducteur :
_________________________

[1] Le Nouvel Observateur n° 1732, du 15 au 21 janvier 1998, p. 76. Lire aussi l’article suivant : La stratégie anti-russe de Zbigniew Brzezinski , par Arthur Lepic, Réseau Voltaire, 22 octobre 2004.

[2] Lire au sujet de Khaled Cheikh Mohammed :
- Arrestation du cerveau du 11 septembre : on nage en plein mystère !, Par Phil Reeves, The Independent, 3 mars 2003.
- L'Homme d'al-Qaïda qui a été capturé était un espion du FBI, par David Rennie, 23 juin 2003.[1]


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