accueil > archives > éditos


     

Offensive de printemps contre Cheney

    Par Simon Tisdall
The Guardian, mardi 27 février 2007
article original : "Spring offensive comes early for Cheney"

L'attaque suicide d'aujourd'hui contre la base afghane
de Bagram souligne à quel point la sécurité est vitale
dans le combat que mène l'Otan contre les Taliban.


L'offensive de printemps en Afghanistan, qui était largement anticipée, est arrivée plus tôt que prévue pour Dick Cheney. En effet, le vice-président américain a semblé avoir été la cible de l'attaque suicide de ce mardi, contre la base de Bagram près de Kaboul. Cette attaque souligne comment l'absence de sécurité élémentaire entrave les efforts menés par l'Otan de sauver ce pays — ainsi que l'ampleur à laquelle les Taliban, qui ont revendiqué le coup, ont refait surface en tant que puissante force combattante.

M. Cheney a lancé quelques bombes diplomatiques de son cru, durant un voyage qui l'a emmené aujourd'hui au Pakistan. Son président, Pervez Musharraf, a dû endurer un nouveau round de pressions directes à propos de l'utilisation que font les Taliban de la province frontalière du Pakistan, qui s'en servent de havre de sécurité pour planifier et lancer des attaques à l'intérieur de l'Afghanistan.

Poussé par la Maison Blanche, M. Cheney a pressé le Général Musharraf de "faire plus" pour sévir contre les agitateurs dans les zones tribales telle que le Waziristân-Nord. Comme lors des dernières conversations récentes avec le secrétaire américain à la défense, Robert Gates, et la secrétaire d'Etat, Condoleeza Rice, le Général Musharraf a répondu qu'il faisait déjà "le maximum".

Mais la pression croissante exercée en coulisse par Washington n'a jamais été aussi importune alors que la Grande-Bretagne et l'Australie se joignent aux Etats-Unis pour déployer des troupes supplémentaires, afin de repousser l'offensive attendue des Taliban dans le sud. [Quant à lui,] le Canada, dont les soldats se sont laissés entraînés profondément dans la province de Kandahar, a craché cette semaine 172 millions de dollars de dons supplémentaires pour la reconstruction.

Il y a des spéculations, alimentées par les récentes remarques du Général Karl Eikenberry (le commandant américain sortant en Afghanistan), selon lesquelles l'aviation américaine pourrait prendre elle-même les choses en main au Waziristân, si l'armée pakistanaise ne prend pas des mesures plus énergiques. Et le Congrès [américain] menace de couper l'assistance financière [au Pakistan], une menace dont se sert l'administration Bush pour accroître sa pression contre Islamabad.

Toutefois, l'impatience des Pakistanais vis-à-vis des tactiques de pression étasuniennes s'accroît aussi. Les officiels disent qu'on leur reproche d'être responsables des problèmes à l'ouest de l'Afghanistan — et de l'incapacité du Président Hamid Karzaï à contrôler son pays. Ceux-ci font remarquer que les précédentes frappes aériennes américaines sur les supposés Taliban ou militants d'al-Qaïda et les cachettes dans les zones à la frontière pakistanaise ont eu pour conséquence de faire des victimes civiles mais pas forcément d'éliminer des cibles de "choix".

"Dans cette situation, il n'y a pas de baguette magique", a déclaré un responsable pakistanais. "Vous ne pouvez pas nous demander continuellement de bombarder notre propre peuple. Et si ce sont les Américains qui le font, les dommages collatéraux seront énormes. Cela bénéficiera à la MMA" L'alliance des partis religieux, Muttahida Majlis-i-Amal, a tiré profit dans les urnes de l'invasion de l'Afghanistan menée par les Etats-Unis en 2001 et espère en profiter à nouveau, lors des élections législatives prévues d'ici l'année prochaine.

Ce haut-fonctionnaire a dit qu'Islamabad avait proposé de boucler les camps de réfugiés à l'intérieur du Pakistan — censés être des centres de soutien et de recrutement des Taliban — et d'augmenter les patrouilles frontalières et les barrages militaires, afin de restreindre les infiltrations en Afghanistan. En tout, 80.000 soldats ont été déployés ; plus de 700 sont morts depuis 2001. [Il a dit aussi que] le Pakistan fermait des postes frontières.

"Que veulent-ils que nous fassions de plus ? L'impact politique de tout bombardement américain sur l'issue des élections et sur le Président Musharraf lui-même pourrait avoir des conséquences lourdes", a déclaré ce fonctionnaire. Le Général Musharraf doit bientôt se soumettre lui-même au parlement pour sa ré-élection.

De telles déclarations sous-entendent une mise en garde, relayée fréquemment par les hommes politiques et les médias, selon laquelle s'ils exercent de trop grosses pressions, les Etats-Unis pourraient "perdre" le Pakistan tant sur le plan diplomatique que comme allié musulman dans la "guerre contre la terreur".

"Il faut un changement de paradigme, à la fois à Kaboul et à Islamabad, pour restaurer la paix en Afghanistan", a déclaré Tayyab Siddiqui, un ancien ambassadeur pakistanais, qui a publié cette semaine un article dans The Nation. "Ce jeu d'accusation devrait cesser... les actes terroristes croissants à l'intérieur du Pakistan et le tapage de Washington et de l'Otan à "faire plus" place le Pakistan en position de grande vulnérabilité. Le Pakistan traverse actuellement un état très délicat, avec des dangers pour sa sécurité et sa souveraineté qui s'approchent dangereusement".

Washington l'a compris à-moitié : George Bush a récemment admis [lors d'une conférence de presse au Mayflower Hotel à Washington, le 15 février dernier] que les zones frontalières étaient "plus sauvages que le Far West". Et, un officiel de l'administration Bush, s'exprimant à Londres, a reconnu que les Etats-Unis avaient placé trop de confiance, dans le passé, dans les solutions militaires, parfois au détriment de la reconstruction et de la réhabilitation menées par les civils.

Mais le problème, comme l'a découvert M. Cheney ce mardi, est que la sécurité vitale reste la pré-condition essentielle pour toute forme de progrès.

Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques]

_______________________
Notes :



On (re)lira avec intérêt : Pakistan : Au revoir l'Amérique, bonjour al-Qaeda !, par Syed Saleem Shahzad, Asia Times Online (8 septembre 2006)

et : La Campagne contre les Taliban "engendre misère et faim", par Kim Sengupta, The Independent (6 septembre 2006)