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Lier les mains des Nations-Unies

    Par Simon Tisdall
The Guardian, vendredi 28 juillet 2006

La semaine précédant l'attaque transfrontalière du 12 juillet, par le Hezbollah, à l'intérieur d'Israël, et qui a déclenché la guerre du Liban, le conseil de sécurité de l'ONU se débattait avec un projet de résolution sur Gaza. Soutenue par les pays arabes, elle appelait à la libération inconditionnelle d'un soldat israélien, capturé le 25 juin par les militants palestiniens, à la fin des tirs de roquettes de Gaza sur Israël et à un arrêt de la riposte militaire "disproportionnée" qui tuait et blessait des douzaines de civils Palestiniens.

Dans ce cas, les Etats-Unis mirent leur veto sur la résolution concernant Gaza, au prétexte qu'elle n'était "pas équilibrée" et qui, de façon ironique à la lumière des événements qui ont suivi, aurait exacerbé les tensions régionales. John Bolton, l'ambassadeur étasunien auprès des Nations-Unies, a déclaré que ce projet "place des exigences sur l'une des parties du conflit au Proche-Orient, mais pas sur l'autre". Pour donner un avant-goût des choses à venir, la Grande-Bretagne s'est abstenue lors du vote.

L'échec du conseil de sécurité, pendant la période qui a commencé le 25 juin, à offrir ne serait-ce qu'une déclaration d'inquiétude sur les événements à Gaza est une des raisons possibles qui expliquent l'action incendiaire prise le 12 juillet par le Hezbollah, qui a capturé deux soldats israéliens supplémentaires et en a tué plusieurs autres. La milice libanaise chiite avait aussi, sans aucun doute, d'autres motivations. Mais elle est apparue déterminée à se dresser pour les Palestiniens lorsqu'il devint évident que la communauté internationale n'y était pas disposée ou qu'elle était incapable de le faire.

Les performances ultérieures du conseil de sécurité, alors que la guerre du Liban se déroule dans toute sa barbarie incontrôlée, ont été encore moins édifiantes. Celui-ci a été mis sur la touche avec efficacité au fur et à mesure que les Etats-Unis ont perturbé les tentatives collectives d'obtenir un arrêt immédiat de la violence. Les efforts de la présidence française du conseil de sécurité de réunir un soutien pour une résolution de cessez-le-feu ont fait de maigres progrès face à l'obstruction continue des Etats-Unis.

Et, mettant de façon cruelle en lumière l'incapacité de l'ONU à s'occuper des siens, mercredi soir, Washington a bloqué une déclaration du conseil condamnant le bombardement par Israël d'un poste de surveillance de l'ONU au sud-Liban. Bombardement qui a causé la mort de quatre observateurs. Ni la Chine, qui a perdu l'un de ses ressortissants dans les bombardements, ni la Russie, qui a exigé un "rôle central" de l'ONU dans cette crise, n'ont été capables de faire dévier Washington.

Philippe Douste-Blazy, le ministre français des affaires étrangères, a mis en garde que plus la communauté internationale est lente à agir, plus les risques potentiels sont grands. "Si nous n'arrêtons pas les choses maintenant, une spirale absolument infernale se déclenchera", a-t-il déclaré sur une radio française. "Ce ne serait plus seulement une histoire entre Israël et le Hezbollah, mais de plus en plus une histoire entre Israël et les pays arabes et ensuite entre l'Occident et le monde musulman". Hier, Al-Qaïda a fait écho, d'un ton grave, à cette mise en garde. "Le monde entier est un champ de bataille qui s'ouvre devant nous", a déclaré l'organisation.

La colère monte contre la tactique étasunienne de pourrissement continu. "L'humeur des Américains n'a pas changé, malgré le carnage grandissant au Liban", a déclaré hier un officiel européen. "Les Américains font toujours de l'obstruction à l'ONU, à moins qu'ils veuillent obtenir quelque chose". Un exemple est la résolution onusienne attendue sur les programmes nucléaires de l'Iran, résolution fortement soutenue par les Etats-Unis. Elle a toutes les chances de passer dans les prochains jours.

"Ce n'est pas la faute de l'ONU", a ajouté cet officiel. "Ce qui est en jeu est la capacité des soi-disant grandes puissances à "accoucher". Kofi Annan [le Secrétaire-Général de l'ONU] a fait quelques déclarations fortes. Mais il ne se trouve pas en position d'imposer quoi que ce soit. C'est une question de volonté, de responsabilité, de vision. C'est une question de gouvernance. Si les gouvernements qui participent au conseil de sécurité ne peuvent se mettre d'accord sur un plan d'action, l'ONU restera impuissante". Mais la pression monte. Lord Hannay, l'ancien ambassadeur de Grande-Bretagne auprès de l'ONU, a déclaré : "Il est temps à présent pour le conseil de sécurité de s'engager à fond dans des tentatives pour mettre fin aux combats".

Les problèmes de l'ONU, répercussion de la crise en Irak et des prises de bec récentes avec les Etats-Unis au sujet de la réforme interne, sont symbolisés, jusqu'à un certain degré, par le fait que M. Annan se soit laissé entraîné dans des querelles personnelles après qu'il a accusé Israël d'avoir délibérément visé les observateurs onusiens.

Dan Gillerman, l'ambassadeur d'Israël auprès de l'ONU, a déclaré hier à More4News que l'affirmation de M. Annan était "grotesque, très précipitée, malheureuse, scandaleuse et irresponsable… Aucune personne sensée n'accuserait Israël de faire quelque chose de tel".

Traduction de l'anglais : [JFG-QuestionsCritiques]