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     La charge du New York Times
    Par Uri Avnery
publié le 25 juillet 2011
article original sur Gush Shalom : "The Charge of the New York Times"


Petite devinette : Quelle est la flotte qui n'est pas arrivée à destination mais qui a rempli sa mission ?

Eh bien ! c'est la flottille de solidarité avec Gaza de cette année.

On pourrait dire, bien sûr, que la « petite flotte » de l'année dernière - c'est ce que flotilla veut dire en espagnol, tout comme guerilla signifie « petite guerre » - peut prétendre légitimement à ce titre. Elle n'est jamais parvenue à Gaza, mais le commandant de la marine israélienne pourrait très bien reprendre à son compte les mots de Pyrrhus, le roi d'Epire, dont la victoire sur les Romains fut si coûteuse qu'il se serait exclamé : « Une autre victoire comme celle-ci et je suis perdu ! »

La Flottille 1 n'est pas arrivée à Gaza. Mais l'attaque du commando naval contre elle, qui coûta la vie de neufs militants turcs, a provoqué une telle levée de boucliers que [le] gouvernement [israélien] s'est vu obligé de desserrer de façon significative son blocus terrestre de la Bande de Gaza.

Les répercussions de cette action n'ont pas encore disparu. Les relations très importantes entre les militaires israéliens et turcs sont toujours rompues, avec la Turquie qui exige des excuses et des indemnisations. Les familles des victimes ont entamé des poursuites judiciaires, au pénal et au civil, dans plusieurs pays. Une prise de tête qui continue.

La Flottille 2 est arrivée à son terme le week-end dernier, lorsqu'une énorme action navale a conduit à la capture d'1 (un !) petit yacht français et à la détention de son équipage, de journalistes et d'activistes - tous les 16 (seize) ! Même [les] journalistes [israéliens] de radio et de télévision n'ont pas pu s'empêcher de railler : « Pourquoi n'ont-ils pas envoyé un porte-avions ? »

Les 14 bateaux qui ont été empêchés de prendre la mer, ainsi que celui qui a effectivement navigué, ont non seulement maintenu [la] marine [israélienne] en alerte pendant des semaines, mais également contribué à maintenir le blocus de Gaza dans l'actualité. Et cela, après tout, constituait l'objectif essentiel de cet exercice.

* * *

QU'EST-IL ARRIVÉ aux 14 bateaux qui n'ont pas pris la mer ?

Aussi incroyable que cela puisse paraître, la marine grecque et ses gardes-côtes les ont empêchés de force de quitter les ports grecs. Il n'y avait aucun argument légal pour cela, ni aucun faux-semblant de légalité. Il ne serait pas exagéré de dire que la marine grecque a agi sous les ordres du chef d'état-major israélien. Une fière nation de marins qui a une histoire nautique de plusieurs milliers d'années (il se trouve même que « nautique » soit un mot grec) s'est humiliée en entreprenant des actions illégales pour faire plaire à Israël.

Elle a aussi fermé les yeux sur les actes de sabotage menés par des commandos navals - devinez lesquels - contre les bateaux dans des ports grecs.

En même temps, le gouvernement turc, qui a parrainé avec provocation le Mavi Marmara, le bateau sur lequel les activistes turcs ont été tués l'année dernière, a empêché ce même bateau à prendre le large cette année.

Egalement en même temps, les groupes d'activistes pro-palestiniens qui ont essayé de rejoindre la Cisjordanie par voie aérienne ont été stoppés en chemin. Etant donné qu'il n'y a pas d'accès direct à la Cisjordanie par voie terrestre, maritime ou aérienne, sauf à passer par le territoire israélien ou par les barrages routiers israéliens, ils devaient voyager via l'aéroport international Ben Gourion, la porte d'Israël vers le reste du monde. La plupart n'y est pas parvenue : sous les instructions du gouvernement [israélien], toutes les lignes aériennes internationales ont bloqué ces passagers au départ, utilisant des « listes noires » fournies par [le] gouvernement [israélien].

Il semble que le bras très long du service de sécurité [israélien] très appliqué puisse tout atteindre et que ses ordres soient obéis dans tous les pays, quelle que soit leur taille.

* * *

IL Y A CENT ANS, la police secrète du Tsar de Russie, la si redoutée « Okhrana », falsifia un document intitulé « Les Protocoles des Sages de Sion ».

(En ces temps-là, partout, la police secrète s'appelait « Police Secrète », avant d'être honorée du titre de « Services de Sécurité ».)

Ce document rapportait une réunion secrète de rabbins dans l'ancien cimetière juif de Prague, afin de décider de la stratégie en vue d'assurer la domination juive sur le monde. Il s'agissait d'une falsification grossière, qui reprenait mot pour mot des passages entiers d'un ouvrage écrit plusieurs dizaines d'années auparavant.[1]

Dans ses pages, la situation réelle des Juifs était grotesquement déformée - ils n'avaient réellement aucun pouvoir du tout. En fait, lorsque Adolf Hitler - qui se servit des Protocoles pour sa propagande - mis en ouvre la Solution Finale, presque personne dans le monde ne leva le petit doigt pour aider les Juifs. Même les Juifs américains avaient peur d'élever la voix.

Mais si les auteurs de cette falsification devaient retourner aujourd'hui sur la scène de leur crime, ils se frotteraient les yeux avec incrédulité : le produit de leur imagination malade semble devenir réalité. L'Etat Juif - comme les Sionistes aiment appeler [Israël] - peut donner des ordres aux autorités navales grecques, obtenir de la Turquie qu'elle cède, obliger une demi-douzaine d'Etats européens à stopper des passagers à leurs aéroports.

Comment [les Israéliens] y parviennent-ils ? Il y a une réponse simple, qui tient en trois lettres : USA.

* * *

ISRAËL EST devenu une sorte de portier kafkaïen pour la seule superpuissance qui reste dans le monde.

A travers son immense influence sur le système politique américain, et en particulier sur le Congrès, Israël peut prélever une taxe politique sur quiconque à besoin de quelque chose des Etats-Unis. La Grèce est en faillite et a besoin désespérément de l'aide américaine et européenne. La Turquie est partenaire des Etats-Unis dans l'OTAN. Aucun pays européen ne veut se quereller avec les Etats-Unis. Par conséquent : ils ont tous besoin de donner [aux Israéliens] un petit pourboire politique.

Pour cimenter cette relation, Glenn Beck, l'odieux protégé de Rupert Murdoch, s'est rendu [en Israël] et a été reçu avec enthousiasme à la Knesset, où il a dit « n'ayez pas peur », parce qu'il (et par extension, Fox et toute l'Amérique) soutenait inconditionnellement [les Israéliens].

* * *

C'EST à cause de cela que quelques lignes, qui ont parues dans le New York Times [NYT], ont provoqué une quasi-panique à Jérusalem.

Le NYT est peut-être le journal le plus pro-israélien dans le monde, y compris Israël. Les antisémites l'appellent le Jew York Times. Un grand nombre de ses éditorialistes sont de fervents sionistes. Un article d'information critique envers Israël n'a pratiquement aucune chance d'y être publié. Sans parler du mouvement israélien pour la paix ! Ni des douzaines de manifestations en Israël contre la deuxième guerre du Liban et l'Opération Plomb Fondu. L'autocensure y est extrême.

Mais cette semaine, le NYT a publié un édito féroce critiquant Israël. La raison : la « Loi anti-Boycott », votée par la majorité de droite à la Knesset, qui interdit aux Israéliens d'appeler au boycott des colonies. Cet édito reprend pratiquement ce que j'ai écrit dans l'article de la semaine dernière : à savoir que cette loi est ouvertement antidémocratique et qu'elle viole les droits de l'homme essentiels. D'autant plus qu'elle arrive après une série de lois antidémocratiques qui ont été promulguées ces derniers mois. Israël est en danger de perdre son titre de « Seule démocratie au Moyen-Orient ». Soudainement, tous les feux rouges à Jérusalem se sont mis à clignoter furieusement. Au secours ! Nous sommes sur le point de perdre notre seul actif politique dans le monde, le pilier de notre force, la base de notre sécurité nationale, la pierre angulaire de notre existence.

* * *

LE RESULTAT a été immédiat. Mercredi, la clique de la droite, qui contrôle désormais la Knesset sous la direction d'Avigdor Lieberman, a amené au vote final une résolution qui aurait nommé deux Commissions d'Enquête dans les ressources financières d'ONG de droits de l'homme. Pas toutes les ONG, seules celles de « gauche ». C'était un nouvel article de la longue liste de mesure maccartistes, dont un grand nombre a déjà été adopté et dont beaucoup attendent leur tour pour être votées.

La veille, Benjamin Netanyahou avait fait une apparition spéciale à la Knesset pour assurer ses fidèles qu'il avait totalement approuvé, et en fait parrainé, la Loi anti-Boycott. Mais après l'édito du NYT, lorsque la résolution sur la Commission d'Enquête est arrivée à l'ordre du jour, Netanyahou et presque tous les ministres de son cabinet ont voté contre. Les factions religieuses ont disparu de la Knesset. Cette résolution a été refusée par une majorité de 2 contre 1.

Mais un fait inquiétant est apparu : A part Netanyahou et ses ministres captifs, tous les membres du Likoud présents ont voté pour cette résolution. Parmi eux, tous les jeunes dirigeants du parti - la future génération des patrons du Likoud.

Si le Likoud reste au pouvoir, ce groupe d'extrémistes de droite constituera le gouvernement d'Israël dans les dix ans. Et le New York Times pourra aller au diable !

* * *

HEUREUSEMENT, on voit des signes qu'un nouveau phénomène est en train de produire.

Ce phénomène a commencé innocemment avec une attaque réussie des consommateurs contre le cottage cheese, afin d'obliger le cartel des grosses huiles à baisser les prix. Ceci a été suivi d'une action de masse par les jeunes couples, essentiellement des étudiants d'université, contre les prix élevés impossibles des appartements.

Un groupe de protestataires a planté des tentes dans le centre Tel Aviv et y réside maintenant depuis plus d'une semaine. Peu après, de tels campements ont surgi dans tout le pays, de Kiryat Shmona, à la frontière libanaise, à Berr Shiva, dans le Néguev.

Il est trop tôt pour dire s'il s'agit d'une protestation à court-terme ou si l'on assiste au commencement d'un phénomène israélien comme celui de la Place Tahrir [en Egypte]. Mais cela montre clairement que la prise de contrôle d'Israël par un regroupement néo-fasciste n'est pas courue d'avance. La lutte a commencé.

Peut-être - seulement peut-être ! - même le New York Times pourrait-il commencer à rendre compte de la réalité de notre pays.

Uri Avnery est un écrivain israélien et un activiste pour la paix au sein de Gush Shalom.


Traduction [JFG-QuestionsCritiques]

Note du Traducteur :
_______________________

[1] Ce roman, ou plutôt cet essai, est le fameux « Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu », de Maurice Joly, publié en 1864.




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