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Salutations du dirigeant du Hamas, Khaled Meshal

Par Amos Harel et Avi Issacharoff
Haaretz, le 18 juillet 2011

article original : "Regards from Hamas leader Khaled Meshal"

Alors que septembre approche, les Palestiniens ne sont pas sûrs de connaître
eux-mêmes leur projet. Mais une chose est sure : Ce n'est pas l'économie, idiot!


Le baklava a bien failli rester coincé dans la gorge des officiers. Il y a une semaine, Mounib al-Masri, le plus riche de tous les Palestiniens dans le monde, a accueilli, dans sa maison de Naplouse, un groupe d'officiers israéliens de l'unité de coordination de la Cisjordanie. A un moment, il a mentionné qu'il avait reçu cette pâtisserie de son ami Khaled Meshal, le chef du bureau politique du Hamas. « Khaled vous envoie ses salutations », a-t-il dit.

Le milliardaire de Naplouse a joué un rôle d'arbitre, bien qu'apparemment plus marginal qu'il ne le prétend, dans la réconciliation entre le Fatah et le Hamas, il y a deux mois. Masri est inquiet pour septembre prochain, lorsque l'Autorité Palestinienne (AP), comme elle l'a prévu, cherchera la reconnaissance de leur Etat par les Nations Unies. La position rigide de Benjamin Netannyahou le désespère et il est convaincu que si celui-ci n'opère pas un changement radical, les deux camps retourneront à la violence.

Masri s'est fait construire une demeure spectaculaire sur le Mont Gerizim, en dessous du quartier des Samaritains. Il considère que cette structure somptueuse est une démonstration de l'indépendance et de la fierté palestiniennes : elle a été construite durant la deuxième Intifada, qui a laissé Naplouse anéantie.

L'hôte, un homme svelte de 77 ans, s'est lancé dans une discussion sur l'histoire, la paix et la liberté.

Les officiers israéliens ont écouté poliment en prenant bien soin d'éviter tout argument politique direct.

Masri, dont le nom a été évoqué à plusieurs reprises ces dernières années comme possible dirigeant palestinien, a répété ce qu'il avait dit aux médias israéliens deux mois auparavant. Il se considère comme un ami des Israéliens, mais il en a marre d'eux : sans une solution rapide et un retrait israélien totalt et immédiat de Cisjordanie, toute la région s'enflammera et entraînera avec elle l'avenir de nos petits-enfants. Il est particulièrement fâché que le plus âgé de ses petits-enfants - qui porte son nom - ait été gravement blessé le Jour de la Nakba, à la frontière libanaise. Il en attribue la responsabilité à un sniper israélien.

Tous les points chauds

La semaine dernière, le coordinateur gouvernemental des activités, le Général Eitan Dangot, a fait la tournée des territoires et a passé en revue tout se qui fâche et dont s'occupe son bureau : les efforts pour calmer les Palestiniens ; la coordination en matière de sécurité ; les tentatives pour faire avancer les projets économiques ; l'espace de manouvre limité au sein de l'échelon politique israélien ; et, le maintien des relations sous la double menace de la réconciliation Fatah/Hamas et des troubles qui approchent dangereusement pour septembre.

Peu importe ce que disent les reportages de presse israéliens, les Palestiniens n'ont pas de stratégie concrète pour les mois à venir. Il y aura la requête auprès de l'ONU, même si quelques membres de l'AP doutent de l'utilité de cette manouvre (ils appréhendent certainement les risques inhérents à l'action populaire généralisée qui pourrait s'ensuivre). Le Premier ministre [palestinien] Salam Fayyad s'oppose à l'usage de la violence directe et les Palestiniens rencontreront des difficultés à l'ONU, notamment avec l'opposition des Etats-Unis et le soutien des Européens qui s'effiloche.

Sur la route principale du village de Beit Wazan, à l'Ouest de Naplouse, [le Général] Dangot a rencontré le gouverneur de Naplouse, Djibril Bakri, sous une sécurité palestinienne importante et quelque peu nerveuse. Le gouverneur a promis que l'AP pouvait rester tranquille si Israël faisait sa part du travail. Pour l'instant, l'accord de réconciliation avec le Hamas n'a pas affecté les unités de sécurité de l'AP, et la coopération avec les Forces de Défense Israéliennes (FDI) n'a pas été réduite.

Ensuite, Dangot a visité une usine d'aluminium, un projet moderne complexe qui implique visiblement un investissement important. Les propriétaires ont demandé de l'aide afin d'obtenir un permis pour importer du matériel permettant de produire de l'aluminium. Les services de sécurité du Shin Bet s'y opposent, puisque ces matériels pourraient également être utilisés pour fabriquer des bombes. Les signes d'un boom économique sont visibles partout. Des douzaines de nouvelles entreprises ont été créées à Hawara, dans la banlieue sud de Naplouse. Autrefois, c'est ici qu'on attrapait les poseurs de bombes suicides en herbe ; à présent, il y a un petit parc d'attraction et une succursale d'une chaîne de hamburgers.

L'unité du coordinateur joue un rôle de stabilisation essentiel. En même temps que ses hommes maintiennent le dialogue avec les Palestiniens, ils sont censés détecter les changements d'humeur dans les territoires. Dangot exhorte son personnel à rendre compte sans mentir aux commandants de la brigade. Mais ce qui entrave évidemment cet effort est l'absence d'une politique israélienne claire à long terme. Jusqu'où les FDI peuvent-elle aller dans l'aide à l'AP ? Ces mesures sont-elles stratégiques ou sont-elles des efforts pour réparer les fissures en attendant la grande explosion ?

« Le problème est que nous n'avons aucune idée si ce que nous faisons maintenant sera bon ou mauvais pour les générations futures », admet un officier en poste en Cisjordanie. Si l'on creuse sous la surface, on découvre que même ce prétendu consensus, selon lequel l'amélioration économique dissuade la guerre, est sérieusement remis en question.

Début 2006, cette thèse fut présentée à une réunion d'officiers supérieurs du Commandement Central. Deux d'entre eux - Yair Golan (jusqu'à cette semaine, général en chef du commandement nord) et Chico Tamir - n'étaient franchement pas d'accord. Ils soutenaient que ce conflit était bien plus profond et qu'il se poursuivrait sans tenir compte de l'économie. Mais vu le calme des dernières années,et même si plus personne ne parle des espoirs d'Oslo, les FDI sont progressivement retournées au bon vieux concept économique. Pour les officiers, comme pour la plupart des Israéliens, ce rêve semble être parti en fumée avec les bus qui ont sauté et la deuxième Intifada.

Dangot, en discussion avec Masri, a insisté sur la nécessité de renforcer les projets économiques. « Général, vous autres ne comprenez pas la situation », s'est mis en colère Masri « Le problème est politique, pas économique. L'économie peut aller au diable ».

De l'huile sur le feu

Alors que la jeep de Dangot passait le carrefour de Tapuah, un jeune homme à péotes a jeté un coup d'oil furtif par la fenêtre du véhicule. Ici, quelques jours plus tôt, des jeunes [Israéliens] d'extrême droite ont encerclé la voiture du commandant militaire israélien de la Cisjordanie, Nitzan Alon, et l'ont copieusement insulté.

Dans les médias, cet « incident » a été rapporté comme une attaque contre le véhicule du général.

Sans raison particulière, Alon est considéré comme le grand ennemi de l'entreprise de colonisation. Dangot, lui, est moins connu ici.

Des nouvelles inquiétantes ont été rapportées au coordinateur à propos d'une colline située entre le village palestinien de Burin et la colonie de Yitzhar. Ses officiers indiquent qu'il y a une augmentation marquée de la tension entre colons et Palestiniens. Ces derniers mois, les Israéliens ont été à l'origine de la plupart des agressions. Le meurtre de la famille Fogel, en mars, par deux jeunes Palestiniens, a enflammé les passions, ici.[1] Les colons de Yitzhar prennent des mesures systématiques pour effrayer les Palestiniens et utilisent la violence pour les maintenir à distance de la colonie.

Un phénomène similaire est visible à Havat Gilad et à Bracha.

Durant la première moitié de 2011, les Juifs ont incendié une mosquée, endommagé 29 maisons palestiniennes brûlé une maison en Samarie. Quelques 600 oliviers et 750 jeunes arbres ont été endommagés, empoisonnés ou abattus, ainsi que 300 pins. L'Administration Civile a dressé une liste de 48 troubles occasionnés par des Juifs et de 27 affrontements physiques entre colons et Palestiniens.

Pour l'instant, il n'y a eu aucune réaction violente aux dernières attaques de la part des Palestiniens. Les FDI c'est grâce, entre autres, aux efforts déployés par le gouverneur Bakri pour contrôler la situation. Certains incidents ne sont apparemment pas rapportés, parce que les Palestiniens y ont renoncé face à la négligence dont les FDI et la police israélienne font preuve dans le traitement de leurs plaintes.

Dans un mois, la récolte des olives commencera en Cisjordanie. Cette année, étant donné les évènements politiques attendus en septembre, ce sera une période encore plus sensible qu'à l'accoutumée. Mais le plus inquiétant est le danger auquel les mosquées sont confrontées et cela pourrait déclencher des troubles beaucoup plus graves. Ces deux dernières années, quatre mosquées ont été incendiées par les colons, et le même sort pourrait arriver à d'autres, essentiellement parce que, malgré les nombreux raids de la police et du Shin Bet, il n'y a eu aucune poursuite.

Bruce Lee

Burin est devenue une cible de premier choix pour les résidents des postes d'implantation avancés. « Parfois, ils viennent de Yitzhar et parfois de Bracha, voire de plusieurs directions », dit M., qui vit à Burin.« Dans le passé, ce type d'action était « pour faire payer le prix » de la démolition de l'une de leurs structures par l'Administration Civile. « Mais à présent, on a l'impression qu'ils viennent brûler des voitures ici lorsque le prix de l'électricité augmente », dit-il avec ironie.

Il y a deux semaines, ajoute-t-il, un groupe de colons a mis le feu à une douzaine de < a title="un dunam = 1000 m2">dunams d'oliveraies des villageois. « Cela s'est passé jeudi dernier, à 11h35 précises. Environ 15 colons de Yitzhar sont venus vers le carrefour, mais la police les attendait. Ils se sont dirigés vers les oliveraies et la police les a suivis. La police a donné l'ordre « Rentrez chez vous ! » et ils ont commencé à remonter vers Yitzhar. Mais ensuite, lorsque la voiture de police est partie, ils sont immédiatement redescendus à travers les oliveraies vers la route et le carrefour d'Hawara, ils ont allumé un feu et ont brûlé nos oliveraies. Puis ils sont partis ».

M. a eu plusieurs altercations physiques avec ses voisins israéliens. Il y a quelques jours, il s'est rendu au poste de police d'Ariel pour accompagner un ami sur lequel des colons avaient tiré. Cet ami, dit-il, « vit à la périphérie Est du village, à proximité du poste avancé de Givat Ronen.

Son nom est Bruce Lee

Bruce Lee Eid, un policier de l'Autorité Palestinienne, sort pour saluer les visiteurs. Sa main est bandée. « La nuit dernière, des colons se sont approchés de ma maison et ont braqué des lampes torches », raconte-t-il à Haaretz. « Ils ont vu que nous étions à la maison et ils se sont sauvés ». Il est né à Burin sous le nom d'Ahmed Eid, mais alors qu'il était encore relativement jeune il a décidé de se rebaptiser du nom de l'acteur de cinéma. Sur sa carte d'identité, son nom est écrit « Burus Lee ».

Le 19 avril, raconte-t-il, il est rentré chez lui après une nouvelle longue nuit de garde au poste de police de Naplouse. « Vers 2h30 du matin, nous sommes montés sur le toit pour manger. J'ai vu un troupeau de moutons à quelques centaines de mètres de la maison, en dessous de Givat Ronen. J'ai dit aux enfants de rentrer dans la maison, j'ai fermé la porte et j'ai marché vers les moutons - qui se trouvaient à seulement 50 mètres de la maison. J'ai vu des gens s'approcher. Je dirais qu'ils étaient environ 15 colons. Ils ont commencé à nous lancer des pierres avec des lance-pierres - c'est une chose qu'ils ont appris de nous. J'ai immédiatement appelé la police palestinienne, mais les colons ont continué à s'approcher et ils m'ont tiré dessus. Une balle m'a touché à la main et une autre à la jambe, près de la hanche. Je ne peux plus me servir de trois doigts à la main qui a été touchée.

Eid a identifié deux de ses assaillants dans une séance d'identification de police au poste d'Ariel. Il a emménagé assez récemment dans sa nouvelle maison qui n'est pas très loin de Givat Ronen. « A deux reprises ils ont brûlé la maison et par quatre fois ils ont essayé d'en stopper la construction. Ils ont cassé les tuiles et des parpaings et ils ont essayé de détruire les piliers des fondations. Ils ont brûlé les poutres destinées à la construction du toit. J'ai peur pour mes enfants. Toutes les nuits, je suis effrayé que [les assaillants] ne reviennent.

Ces incidents ne se limitent pas à Burin ou aux villages du Sud de Naplouse. Mercredi dernier, un jeune Palestinien de 18 ans, Bassem al-Hatib, est arrivé à l'hôpital de Jénine avec des contusions à la tête. Ses amis ont relaté qu'ils avaient été pris dans un guet-apens dressé par des colons, près de l'ancienne implantation d'Homesh, qui a été évacuée durant le désengagement de Gaza. Ils ont déclaré que plusieurs colons avaient caillassé leur voiture, alors qu'ils quittaient Naplouse pour Jénine, blessant Hatib. Il semble que ce ne soit qu'une question de temps avant que des Palestiniens ne soient tués dans l'un de ces incidents. En attendant, les décideurs politiques semblent beaucoup plus préoccupés par les lois anti-boycott que par les colons hors la loi en Cisjordanie.

(Copyright 2011 - Haaretz, traduction [JFG-QuestionsCritiques])

Note :
__________________

[1] [NdT] La famille Fogel vivait à Itamar, une colonie juive orthodoxe, créée en 1984 et appartenant à la mouvance du sionisme religieux. Elle a été le théâtre d'enchaînements de violence : radicalisme de ses résidents, meurtre de trois étudiants de la yeshiva en mai 2002, de quatre membres d'une famille de résidents en juin 2002, agressions contre les paysans palestiniens des villages environnants pour se venger. La tuerie de mars 2011 s'inscrit dans cette succession de violences. La famille Fogel était auparavant installée dans la Bande de Gaza, qu'ils ont dû quitter en août 2005, après la décision d'Ariel Sharon d'un retrait unilatéral.


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