La veuve de Moshé Dayan : Israël ne sait pas comment faire la paix
Par Gideon Levy
article original : "Moshe Dayan's widow: Israel doesn't know how to make peace"
Haaretz, 27 août 2009
Elle a fêté ses 93 ans vendredi dernier, selon le calendrier hébreu. Jeudi, Herzliya l’a faite citoyenne d’honneur. Ruth Dayan ne se repose pas un instant. Dans la ville bédouine de Segev Shalom et dans le village palestinien de Kharbata, elle a fondé un atelier d’artisanat d’art pour les femmes. Une fois par semaine ou tous les quinze jours, elle s’y rend elle-même en voiture. Elle s’occupe également d’innombrables questions humanitaires dans les territoires. Il y a quelques mois, elle s’est envolée pour Malte, afin de rencontrer la sœur de Yasser Arafat, la grand-mère de son âme sœur, Raymonda Tawil.
Durant son interview, son fils, le cinéaste Assi Dayan, a émergé de sa chambre, dans l’appartement de Ruth, qui est situé au nord de Tel Aviv. Elle l’a renvoyé se reposer encore un peu. La veille de l’interview, Maariv a publié un poème déchirant qu’elle a écrit. Elle a beaucoup d’admiration pour « La Fin du Conflit », le livre d’Avinadav Begin, le petit-fils de l’ancien Premier ministre. Elle s’affaire également à aider son biographe, Anthony David, dans la poursuite de son travail. (David a également écrit une biographie de Salman Schocken, qui avait acheté Haaretz dans les années 30.)
Elle me montre la toute première photo qui a été prise d’elle : alors bébé dans les bras de sa mère. Au dos de cette photo décolorée est écrit à la main : « Ruth. Trois mois. 1917 ».
Ruth Dayan, êtes-vous fière d’être israélienne ? En avez-vous honte ?
Cela dépend. Je suis fière d’être israélienne dans certaines limites. Chacun se ressent israélien à sa manière.
Quel est votre Israël ?
Mon Israël est le pays, le paysage que je vois, lorsque je voyage du nord au sud. Les montagnes, l’océan – exactement comme c’était alors. Pendant un moment, je m’amuse même. Je me souviens lorsque nous cueillions des anémones de diverses couleurs sur les collines qui entourent Nahalal. Je suis de Jérusalem et il y avait, là, des anémones rouges. L’ancien Israël me manque, lorsqu’il y avait encore des idéaux, lorsque nous nous sommes installés sur cette terre.
Et nous expulsions ?
Nous n’expulsions pas. Durant mon enfance, nous n’expulsions pas. Nous avons acheté ces étendues de terre. Cependant, beaucoup de choses se sont produites depuis et, aujourd’hui, Israël n’est plus le même. C’est un cliché de dire que nous sommes un Etat occupant et que nous essayons d’occuper de plus en plus. Je suis arrivée à un âge où je ne parle même plus de paix. Nous ne savons pas comment faire la paix. Nous allons de guerre en guerre et ça ne s’arrêtera jamais.
A qui la faute ?
La nôtre, principalement. Sommes-nous incapables, avec toute notre puissance, de prendre une initiative ?
Moshé Dayan était là lorsque l’occupation a commencé.
Non. L’occupation était la seule option qui restait. Rien d’autre n’était possible. Moshé était celui qui a réellement conduit la politique consistant à établir des relations.
Peut-être cela a-t-il perpétué l’occupation ?
C’est possible. Je ne pense pas que ce soit le cas. Même Arafat, l’homme qui m’a embrassé lorsque nous nous sommes rencontrés, m’a dit qu’il admirait Moshé. Même le chef d’état-major jordanien m’a dit en 1948 : « Quel plaisir d’avoir votre mari comme ennemi ». Son attitude envers les Arabes était positive, même après la Guerre des Six Jours. Il se rendait seul à Naplouse ; il aimait être avec eux. Il dialoguait avec eux. Aujourd’hui, qui leur parle ? Pour le gouvernement actuel, la paix n’est qu’un mot.
Avez-vous perdu tout espoir de paix ?
Je pense que le sionisme a terminé son travail. J’ai enduré beaucoup de guerres et je ne peux ignorer le fait qu’ils ne nous voulaient pas. Lorsque je me rends dans les territoires, je ne me donne même pas la peine de leur instiller de l’espoir. Par courtoisie, je leur dis que j’espère que quelque chose va changer, mais la détérioration est tout simplement effroyable. En particulier la clôture. C’est quelque chose que je ne peux tolérer.
Les gens disent qu’il [le mur] a stoppé le terrorisme
Oh, s’il vous plaît ! « Il a stoppé le terrorisme ». Rien d’autre que le dialogue ne pourra stopper le terrorisme.
Shimon Peres admirait Dayan. Quelle était l’attitude de Dayan envers Peres ?
Moshé n’admirait personne. Peut-être Ben Gourion. C’était un loup solitaire.
Quelle est la contribution de Peres à la paix ?
Je pense qu’il peut toujours y contribuer beaucoup. Bien qu’un président ne soit pas censé intervenir, il doit intervenir. Il doit avoir un impact, même sur le peuple. Le peuple est dispersé par un certain nombre de points de vue et de groupes différents et même par des religions au sein de notre religion. Mon grand-père a passé son diplôme à la Sorbonne, ma mère était laïque et ce n’est pas comme si j’entendais quelqu’un me parler de derrière les nuages.
Etes-vous juive ?
Je suis juste israélienne. C’était un grand honneur d’être israélien, même lorsque j’étais encore une Palestinienne juive durant mon enfance à Londres. Je suis la première fille de diplômés du Lycée Herzliya, après que Yehudi Menuhin fut le premier fils. A Londres, j’allais prier avec les Gentilles.
Que pensiez-vous trouver ici ?
Nous vivions l’instant présent. A Nahalal, 17 enfants ont été tués durant la Guerre d’Indépendance. Nous ne pensions qu’au présent et à rien d’autre.
Deux Etats ou un seul ?
Autrefois, je pensais un Etat pour deux peuples. A présent, je vois que nous devons avoir deux Etats, parce que nous sommes réellement différents et qu’il serait mieux si chacun s’occupait de ses affaires. Nous sommes une clique qui ne peut même pas s’entendre à l’intérieur. Alors, allons-nous nous entendre avec eux ?
Y a-t-il un homme politique que vous admirez aujourd’hui et qui vous donne de l’espoir ?
Avishay [Braveman, député travailliste et ministre des affaires des minorités]. Personne n’est comme lui. J’ai été impressionnée par son travail à l’Université Ben Gourion. Il peut très bien être Premier ministre et il veut le devenir.
Que feriez-vous si vous étiez Premier ministre ?
Exactement comme nous avons commencé. Comme lorsque nous avons rencontré [le Roi de Jordanie] Abdallâh et lorsque [Yitzhak] Rabin a essayé. Rabin aurait pu apporter la paix.
Jusqu’à présent, seul le Likoud a fait la paix.
Que ce soit le Likoud ! Que ce soit qui vous voulez ! Actuellement, Avinadav Begin m’a mise dans un état second. Il dit qu’il n’y a pas de Juifs, qu’il n’y a pas de Musulmans. C’est le fondement. Cela me plaît beaucoup. Plus je lis son livre, plus je suis décontenancée. C’est vraiment un « Begin », tout comme l’étaient son père et son grand-père. Il croit en quelque chose. Il ne se rend pas à Bil’in[1] juste pour y être vu. Il y va parce qu’il y croit.
Je veux vous lire un passage de son livre : « Avons-nous besoin de mots pour observer les bourgeons se développer, pour observer nos enfants, pour observer les gouttes de rosée qui brillent dans le soleil matinal ? Comment aimerons-nous, si le mot amour n’est rien d’autre qu’un outil utilisé pour resserrer notre emprise sur ceux que nous chérissons le plus ?
Moshé Dayan disait toujours que j’étais romantique. Dans les lettres qu’il m’écrivait de prison, il disait toujours qu’un jour nous atteindrions un état de tranquillité et que je m’assiérais à ses côtés et que je tricoterais pour lui. Et je porterais mon kilt écossais. Les gens avaient l’habitude de dire que j’étais d’extrême gauche, mais j’aime ce pays.Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques] Note :
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[1] Bil'in est un village de Palestine qui veut continuer à exister, qui lutte pour sauvegarder sa terre, ses oliviers, ses ressources, sa liberté.Vous avez aimé cet article ?