accueil > archives > éditos


Obliger Israël à reconnaître sa responsabilité

par James Bowen,

Professeur à l'Université Nationale d'Irlande, à Cork, et
président national de la Campagne de Solidarité Irlande-Palestine
Haaretz, 15 septembre 2006
article original : "Making Israel take responsibility"

De nombreux pays essayent de justifier leurs échecs en accusant les étrangers. Durant plusieurs décennies, après l'indépendance, le peuple de la République d'Irlande a mis sur le dos de siècles de domination britannique sa sous-performance économique. De la même manière, Israël se sert de l'antisémitisme pour justifier l'expulsion des Palestiniens en 1948, sa discrimination contre ceux qui ont réussi à rester à l'intérieur de la Ligne Verte et son expansionnisme territorial après 1967.

Toutes les bonnes excuses portent en elles le germe de la vérité. La famine irlandaise du 19ème siècle, qui a été exacerbée par la politique britannique, a causé des dégâts sur la morale des survivants et sur celle de leurs descendants. De la même manière, le judéocide nazi a laissé une immense cicatrice sur les survivants de cette catastrophe. Cependant, pour échapper au dysfonctionnement, chaque société doit admettre ses propres échecs. Les jérémiades économiques des Irlandais trouvaient leur origine dans leur culture du refus de prendre des risques qui, tout en étant dérivés de l'histoire coloniale, devait être admise et surmontée par les citoyens du [nouvel] Etat indépendant. De la même manière, les Israéliens ne seront jamais en sécurité tant qu'ils n'admettront pas qu'il est de leur responsabilité de réparer les crimes que leur Etat a commis contre les Palestiniens. Les Israéliens devraient se méfier des faux amis qui les incitent à fuir cette responsabilité en présentant à tort ceux qui critiquent la politique d'Israël comme des antisémites.

Un exemple saillant de ce phénomène est apparu la semaine dans un article de Haaretz ("One hundred years of hostility," Sept. 8) qui soutenait que le Sinn Fein était et est antisémite et qui a tenté de salir, par association d'idée, la Campagne de Solidarité Irlande-Palestine [ Ireland-Palestine Solidarity Campaign] (IPSC). N'appartenant à aucun parti, je laisserai le soin au Sinn Fein de se défendre lui-même. Toutefois, ces Juifs irlandais sionistes qui était des supporters de premier plan du Sinn Fein seraient surpris de la représentation qui a été faite d'eux, la semaine dernière.

Dans son autobiographie ("Living History"), Chaim Herzog écrivait : "Mon père [Yitzhak Herzog, qui devient plus tard le premier chef rabbin ashkénaze d'Israël] était un partisan déclaré de la cause irlandaise. Le dirigeant juif peu commun de la révolution [irlandaise] était Robert Briscoe".

Pendant la révolution, Eamon de Valera (président du Sinn Fein de 1917 à 1926) s'est caché à plusieurs occasions dans la maison du Rabbin Herzog. Ce dernier, qui était l'un des tenants de la ligne dure du Sinn Fein, fit plusieurs voyages en Allemagne pour acheter des armes et suivi de Valera en rejetant le traité de 1921 avec la Grande-Bretagne - un événement qui déclencha la guerre civile dans le nouvel Etat. Briscoe était un Sioniste qui, tout en ayant passé 38 ans au Parlement irlandais, a trouvé le temps de se rendre en Pologne en 1938 en tant qu'agent de Jabotinski et de lever des fonds à New York, en 1939, pour l'Irgoun, utilisant sa stature de combattant juif dans l'indépendance irlandaise. De Valera devint l'ami d'Herzog pour la vie. Il rencontra David Ben Gourion dans la maison d'Herzog à Jérusalem et fut honoré par la communauté juive irlandaise dans le milieu des années 60 par la plantation d'une forêt en Israël.

Au début de son existence, Israël a reçu un gros paquet de sympathie de la part des Irlandais. Même si la place de premier ordre que tenait Briscoe dans la politique irlandaise ait pu avoir joué un rôle, les deux raisons de cette sympathie étaient : d'une part, leur sentiment fraternel vis-à-vis des Juifs, en tant qu'autre peuple ayant connu la persécution religieuse ; et, d'autre part, leur ignorance de la dépossession des Palestiniens. Au fur et à mesure que la vérité sur 1948 se fit jour et que les horreurs de l'occupation d'après 1967 devinrent évidentes, leur position changea.

Tout à fait par hasard, le premier article en anglais qui brisa le mythe selon lequel les réfugiés palestiniens de 1948 étaient partis sur les ordres diffusés par la radio arabe ("The Other Exodus," by Erskine Childers, The Spectator, May 1961) fut écrit par le petit-fils et homonyme d'un militant de tout premier plan du Sinn Fein, qui utilisa son yacht pour importer des armes d'Allemagne en 1914 et qui choisit le même camp que Briscoe dans la Guerre Civile Irlandaise.

L'IPSC reflète le fait que le peuple irlandais, ayant connu le colonialisme des implantations, comprennent la souffrance des Palestiniens qui l'endurent aujourd'hui. Toutefois, parmi les membres de l'IPSC il y a indifféremment des Juifs et des Palestiniens vivant en Irlande. De plus, loin d'être "un sous-ensemble du mouvement Républicain", comme il est prétendu, la branche de Belfast a dans ses membres des Unionistes et des sympathisants unionistes.

Notre objectif commun est la défense des droits universels de l'homme. Nous voulons que tous aient le droit de résider entre le Jourdain et la Méditerranée, y compris les réfugiés, pour jouir de ce droit dans la paix. Malheureusement, de nombreux Israéliens pensent que les Palestiniens devraient avoir moins de droit sur leur pays d'origine que les Juifs qui ont immigré en Palestine depuis 1882. L'ISPC pense que ces deux groupes ethniques devraient jouir de tous les droits stipulés dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Nous n'avons aucun point de vue particulier sur l'organisation future du territoire. Cette décision incombe à tous les Palestiniens ou Israéliens ou les deux, y compris les réfugiés.

De nombreux membres de l'IPSC sont des vieux routiers d'autres campagnes antiracistes, telle que celles qui ont concerné l'Afrique du Sud, le Timor Oriental et les droits des Amérindiens. Les membres de l'ISPC soutiennent aussi des campagnes pour les Papous Occidentaux, les Kurdes, les Tibétains et d'autres. La branche de Belfast est affiliée à un réseau qui s'oppose aux attaques contre les travailleurs immigrés dans cette ville. C'est dans cette perspective très large que nous voyons l'hafrada (la séparation) comme la forme sioniste de l'Apartheid et nous soutenons donc qu'Israël devrait être traité comme l'ancienne Afrique du Sud.

Notre campagne prend de l'ampleur. Récemment, plusieurs événements culturels irlandais ont rejeté la demande d'Israël à disposer d'une ambassade [en Irlande] et les syndicalistes irlandais ont empêché que le tram de Dublin ne serve à former le personnel du futur système de tramway qui reliera entre elles les colonies de Cisjordanie. Mais ce n'est que le début.

Cette campagne, qui s'inscrit dans une initiative à l'échelle mondiale d'aider les Israéliens à surmonter leur refus dysfonctionnel de reconnaître leur responsabilité, ne s'arrêtera que lorsque Israël se conformera à la Loi Internationale.

Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

___________________

* Lire absolument : Les Origines du Conflit Israélo-Palestinien