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L’Iran est une superpuissance régionale, même sans armes nucléaires

Par Zvi ba'rel
Haaretz, le 21 février 2010

article original : "Iran is regional superpower even without nukes By Zvi Bar'el, Haaretz Correspondent"


(Reuters)

On ne peut pas dire grand chose sur le Premier ministre Benjamin Netanyahou, mais on ne peut pas nier sa chevalerie. « Par chance », il est tombé sur son homologue grec, George Papandréou, durant sa visite à Moscou, et il a n’a pas mis longtemps à l’alerter que l’un des dangers derrière le programme nucléaire iranien est « une course à l’armement nucléaire au Moyen-Orient, où des pays comme la Turquie, l’Arabie Saoudite et l’Egypte chercheront à acquérir des armes nucléaires ». La menace contre la Grèce, a indiqué Netanyahou, repose en la possibilité que la Turquie musulmane acquiert des armes nucléaires.

Evidemment, Netanyahou a oublié de mentionner à Papandhréou ce qu’il sait déjà – qu’il y a environ 90 armes nucléaires tactiques de fabrication américaine en Turquie, qui font partie de l’arsenal de l’OTAN et dont personne ne sait quoi faire alors que la Turquie n’a pas d’avion dédié à cet effet. L’Arabie Saoudite n’a pas l’infrastructure scientifique pour une capacité nucléaire et l’Egypte débat depuis plus de 25 ans où construire son premier réacteur nucléaire. Un Moyen-Orient nucléaire reste un rêve éloigné.

La Grèce semble beaucoup plus concernée par sa crise financière que par l’arme nucléaire iranienne, mais la beauté du dialogue israélo-grec au Restaurant Pouchkine réside en la portée de la « bombe iranienne ». Voici ce que cette bombe, qui n’existe pas encore, a réussit à faire : provoquer une friction dangereuse entre la Chine et les Etats-Unis, avec Washington qui vend des armes à Taiwan, en vue de tordre le bras à la Chine ; prendre en otage le programme de défense antimissile européen, qui dépend du soutien de la Russie à des sanctions contre l’Iran ; déclencher une querelle entre le Président Obama, qui ne veut pas de sanctions trop sévères contre l’Iran, et le Congrès US, qui recherche des sanctions étendues ; faire naître un débat au sein de l’administration US entre ceux qui pensent que l’Iran devrait être considéré comme un acteur pouvant contribuer à la stabilité en Afghanistan et en Irak, et ceux qui s’opposent à cette approche ; créer un fossé entre les Etats arabes inquiets de l’hégémonie iranienne dans la région et ceux qui ne veulent pas être du même côté qu’Israël contre l’Iran.

Par conséquent, avant même de fabriquer une seule bombe, l’Iran est devenu une superpuissance régionale, influençant la politique internationale. Pour préserver sa position de pays autour duquel tourne le monde, il n’a même pas besoin de construire la moindre bombe. Pour rendre le monde nerveux, encore et encore, il lui suffit, par exemple, d’annoncer l’enrichissement progressif de l’uranium, de 20 à 40%, puis 60% et 80%. Ainsi, l’Iran peut perpétuer le dilemme face auquel sont confrontés les services de renseignements occidentaux qui sont incapables de déterminer si l’Iran a décidé de construire une arme nucléaire. Autrement dit, ils sont toujours incapables d’identifier l’intérêt de l’Iran à construire une bombe nucléaire.

Les déclarations de la Secrétaire d’Etat US Hillary Clinton reflètent cette confusion. Elle a prévenu que l’Iran est sur le point de devenir une dictature militaire, otage des Gardes de la Révolution. Cela veut-il dire que les Gardes de la Révolution décideront de construire une arme nucléaire ? Après tout, c’était Mohammed Khatami, le président libéral, qui a poussé en avant le programme nucléaire iranien, tandis que certains vétérans des Gardes de la Révolution y sont opposés. En tout cas, une dictature militaire est-elle pire qu’une dictature islamiste radicale ?

La combinaison effrayante des Gardes de la Révolution, d’un programme nucléaire et des Ayatollahs fait que l’Iran ressemble à un pays irrationnel. Mais, s’il n’est pas rationnel, pourquoi des sanctions devraient-elles lui faire peur ? Amèneront-elles le public iranien à faire tomber le régime ou celui-ci se retrouvera-t-il stabilisé contre l’ennemi occidental ? Personne ne peut donner de réponse et, de toute façon, une telle réponse est impossible à trouver.

La course aux sanctions est devenue une lutte pour le prestige du statut de superpuissance, avec sa propre vie et avec l’Iran qui joue le rôle de metteur en scène. Exprimer le moindre doute sur l’imposition de sanctions est sacrilège. Néanmoins, il n’y a pas d’autre choix que d’arriver avec une nouvelle stratégie qui offrira une solution au cas où l’Iran acquérrait des armes nucléaires, à l’instar de plusieurs autres pays de la région – le Pakistan, l’Inde et, dit-on, Israël. Comment la menace sera-t-elle neutralisée alors ? Il est difficile d’imaginer l’Iran comme candidat au rôle de superpuissance contribuant à la résolution des problèmes mondiaux.

Peut-être que l’effort déployé pour formuler des sanctions devrait à la place se tourner vers la recherche d’un moyen d’ôter la motivation de l’Iran à utiliser les armes en en faisant un partenaire à la prise de décision dans le club international des décideurs politiques. Après tout, ce ne serait pas une évolution si révolutionnaire : L’Iran joue déjà un tel rôle.


Traduit de l'anglais par [JFG-QuestionsCritiques]

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